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❝spark in the dark❞ Evelyn — Richard Être aussi loin et aussi proche à la fois. Être un étranger… ou l’être devenu. Un putain de fantôme. Je sais pas ce que je fous ici. Je sais que je n’aurais pas dû y aller, de toute façon. Ça représentait trop de risques (j’ai encore la voix de Strange qui m’irrite les tympans sur le sujet). C’est ce qu’ils disent tous de toute façon. Pourtant je suis remonté jusqu’à New-York, j’ai lâché mon poste, ai complètement changé d’environnement. Est-ce que me tenir plus proche d’un rêve soulageait un peu ma peine ? J’étais en train de me poser la question, mais faut croire que ce n’était pas du positif qui en ressortait pour l’instant. Au final, je tourne en rond et je passe pour un taré. Oui, un taré : est-ce que ça viendrait à l’idée d’un type normal de surveiller le plus souvent possible vos êtres chers ? Bah voilà. Je suis pas normal. Et si je me retrouve face à elle, c’est ainsi que je me sentirais. Je me sentirais différent, comme les premiers jours, une tâche dans le décor. Un homme qui voulait vivre mais qui n’était plus invité à jouer parmi les siens, ou plus comme il l’aurait entendu. Ça me fait penser que j’ai préféré boire avant… de sortir. Boire pour survivre, pas pour me bousiller. Ça fait longtemps que ça marchait plus vraiment ces conneries-là… Le ciel chiale. Froid, chaud ? C’est comme si ça glissait sur moi, imprégnait mes fringues et mes cheveux mais ne sentais rien d’autre qu’un poids à l’intérieur de moi. Et avant que vous ne vous fassiez la réflexion : ce n’était pas celui de mon cœur mort. C’était autre chose. Les émotions. Celles qui vous restent au creux de la gorge ou pressent votre cage thoracique sans vergogne. J’ai l’impression d’en avoir gardé beaucoup trop ces dernières années. Tellement que je suis sur le point de craquer : là, on me voit sur le pied de leur porte. La masse sombre que je forme sous cette pluie orageuse n’est pas tant rassurante pour un voisinage qui aurait été encore alerte. Non, il est bien trop tard me disais-je, bien trop tard pour que quiconque me prenne sur le vif. Comme il me semblait bien trop tard pour essayer de recoller les morceaux de vies brisées. Mes pas sont plutôt lents, teintés d’une anxiété qui a lieu d’être à mon sens. Le son des gouttes qui tambourinent contre le cuir qui recouvre mes épaules, glissent le long de mon dos qui en était lui aussi recouvert. J’observe les lieux, muet. Je ne suis clairement pas au meilleur de ma forme ce soir, je n’arrive pas à me mentir encore une nuit. Lève les yeux vers le ciel, la lumière de la ville parasitant sa toute noirceur. Enfin, pas tout à fait. Il y a bien la lune qui s’essaie encore à libérer ses rayons opaques entre les nuages qui lui passaient devant en permanence. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là à végéter debout, à capter le moindre mouvement extérieur, à ‘profiter’ de l’instant. Mais je pense que cinq bonnes minutes était déjà une estimation correcte. J’ai pivoté avant de m’avancer vers cette porte. Une porte qui était une barrière incommensurable vers tout ce que je refoulais, vers tout ce que j’aimais et dont j’avais besoin. J’étais incapable de rentrer à moins d’y être invité. D’autant que ce n’était pas chez moi, ça ne l’avait jamais été, quant bien même je ressentais encore le besoin de lui dire la vérité, de la voir, de l’aimer, d’être présent malgré ces années d’absence. Nécessaires. Pour la protéger. De qui ? De l’autre enculé de vampire qui m’avait transformé ? Ou de moi ? Je l’avoue, je suis encore aujourd'hui à me faire la réflexion. Une perte de temps. L’orage gronde dans mon dos. J’ôte cette main qui s’était apprêtée à laisser sa trace contre la surface boisée qui me séparait de leur foyer. Je force un soupir alors qu’aucun mouvement respiratoire n’est réellement perceptible initialement. Mon bras s’aligne à nouveau le long de mon corps, non moins avec hésitation mêlée à une certaine lassitude. Une lassitude qui ne voulait dire que chose : j’abdiquais ; purement et simplement. Je crois que j’étais con d’espérer qu’un jour, tout redevienne comme avant. Je crois que j’étais con de m’être pointé ici, d’avoir succombé. Je crois que j’étais con depuis un moment déjà, en fait… Et j’aurais dû écouter cette voix qui avait été mon salut. J’enfonçais une de mes mains dans mes poches de manteau, sentis un papier qui se froissa à l’intérieur. Un léger froncement de sourcils alors que je fais alors dos à la porte. Je sors le papier, le découvre dans la nuit. Une nuit qui était aussi claire que les autres à mes yeux. De fait, je discerne tous les traits… je suis encore abrité, moi et le dessin que je tiens entre mes doigts humides. C’est elle, encore une fois. C’est elle parce que j’avais eu peur d’oublier son visage avec les années. J’avais enterré Richard James Hooker, comme elle avait pu le faire elle aussi, mais ne m’étais jamais résolu à oublier ce que j'avais été. Mes sens affûtés perçoivent quelque chose, cependant. Une présence. Proche, trop proche. Là, derrière. J’aurais pu disparaître, là, maintenant. J'aurais pu. Je crois que la porte s’ouvre… ( Trop tard) | © Pando |
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it's a revolution, i suppose not affiliated • leave me alone | | | Spark in the dark Une faible lueur parvenait à l'extérieur, entre les volets en bois de la maison des St. John. A l'intérieur, et malgré l'heure qui avançait, Evelyn n'était pas encore prête à aller se coucher, comme chaque soir en réalité. On pourrait dire qu'elle montrait un mauvais exemple à sa fille qu'elle envoyait dormir de bonne heure, mais c'était pour le bien de sa scolarité. Et l'anglaise ne pouvait pas réellement montrer ses recherches à sa progéniture, notamment sur l'énorme bête qui terrorisait une partie de la ville. Elle était plus calme pour le moment, ou plus discrète en tout cas puisque les journaux parlaient de moins en moins d'elle. Peut-être était-elle partie pour une autre ville ? Peut-être Evelyn devrait faire des recherches sur le net à ce sujet, après tout. Sur la table du salon se trouvait tous les documents qu'elle avait pu retrouver, des articles découpés dans les canards locaux mais également les notes qu'elle avait pu récupérer de son entretien avec le SHIELD. Si seulement l'agent Coulson était au courant de ses agissements, il ne serait pas forcément d'accord. Tant pis pour lui. Mais toutes ces preuves de son existence étaient orphelines d'un élément… aucune photo, que des témoignages de personne trop loin pour la voir avec exactitude. Des témoignages qui parfois se contredisaient à tel point qu'on pourrait croire à une hallucination collective comme le chupacabra. Et c'était sans doute la conclusion que l'écrivain aurait pu se faire si elle n'avait pas vu la créature de ses yeux et de près. Elle était sa seule survivante… pourquoi ?
Toutes ces questions lui donnaient le mal de crâne. Elle se leva alors du canapé pour se rendre à la cuisine afin de se vider un verre d'eau du robinet histoire de se rafraichir un peu les idées. Elle enviait presque les forces de l'ordre qui pouvaient utiliser d'immenses tableaux pour recouper les informations plutôt que son petit calepin. Mais c'était beaucoup trop risque d'installer un tel dispositif à la maison avec une ado un peu fouineuse sur le bord. Elle reprit la route du salon, son verre à la main, mais plutôt que de reprendre directement sa place derrière ses feuilles, elle s'approcha d'une fenêtre. La nuit était souvent très calme le soir dans le Queens, à l'exception d'une patrouille de police qui passe environs tous les quarts d'heure, le quartier n'est perturber par rien et présente une certaine sérénité. Ce calme avait un effet relaxant sur l'anglaise et lui permettait bien souvent de se mettre les idées en place. Cependant, un élément inhabituel attira son regard, une silhouette dans l'allée devant sa maison qui semblait s'en aller. Un voleur ? Un fan un peu trop encombrant ? C'était déjà arrivé que des gens, ayant aimé son bouquin, trouvent son adresse et vienne la harceler pour avoir un autographe. Peu importe lequel des deux était devant sa demeure, elle n'était pas du genre à le laisse partir sans avoir une explication. Elle fit les quelques pas qui la séparait de la porte et l'ouvrit assez violement, comme pour surprendre la personne en face. "Hey, vous ! " Elle voulut continuer sa phrase mais la paralysie l'empêcha d'aller plus loin. Sa main lâcha son verre qui débuta sa longue et lente chute vers le sol alors qu'elle reconnaissait les traits de la personne devant elle. "Toi… mais… tu…" elle n'arrivait pas à aligner plus de deux mots à la suite, le passé venant la gifler en plein visage pour se rappeler à elle. Était-ce seulement bien lui ? |
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❝spark in the dark❞ Evelyn — Richard J’aurais pu lui faire oublier ce qu’elle a vu. Là, d’un simple contact visuel et à la force de ma volonté. Mais j’étais fatigué. Fatigué de faire semblant. Fatigué de me cacher. Je me serais pas permis une telle chose face à Evelyn. Je n’aurais pas pu lui retirer cette vision-là, car je l’aurais gardé égoïstement et j’en aurais souffert. Seul, encore. Alors à quoi bon ? Entretenir tout ce tissu de mensonge ne rimait plus à rien.
Du moins… plus depuis qu’elle avait ouvert cette porte, m’interpellant avec une féroce insistance. Fatigué certes, mais pas insensibilisé. Qui a dit que tous les morts profitaient tous de leur séjour ? C’était un au-delà que je n’avais jamais espéré, ni considéré comme accessible. Disons simplement que ce n’était pas le but de l’opération, j’avais simplement souhaité jouir du meilleur pour le temps qu’on m’avait donné à vivre. À vrai dire, si j’avais prié de mon vivant, je n’avais imploré aucune divinité pour qu’on m’offre une « vie après la mort ». Navré de vous l’apprendre d’ailleurs, mais non, malgré sa pilosité faciale, Strange n’a rien d’un Dieu. Juste un type qui sait y faire avec la magie, ce qui n’était clairement pas la même chose. Des fois, je ressassais jusqu’à me demander si mon choix avait été le bon. J’avais choisi la vie. En était-ce simplement une ? Qu’étais-je donc en train de piétiner en cet instant ? Cette vie perdue, ou celle à qui je tentais de redonner des couleurs ?
Je ne me suis pourtant pas retourné immédiatement. J’ai senti son regard sur mon dos, sa silhouette tendue dans cette nuit grondante sous l’orage qu’elle accueillait. J’ai entendu les battements de son cœur, son souffle chaud qui s’échappait entre ses lèvres. Je crois que mon cœur mort a mal, mais je n’en suis pas sûr. En tout cas, mon esprit foisonne et mes membres se sont raidis. Mon visage s’est incliné de biais, j’ai cherché à regarder par dessus mon épaule… jusqu’à me laisser pivoter, me laissant ainsi exposé au regard de ma… enfin, d’Evelyn. Je la cible de mes yeux verts un instant, vrillent un bref instant dans le décor avant de retrouver ses prunelles à nouveau. Ça ne sert plus à rien de fuir. Le papier froissé retrouve le chemin de ma poche. L’eau que crache le ciel se déverse sur ma carcasse. Des gouttes cascadent de ma tignasse à mon visage, l’averse ne se calme pas. De fait, l’orage s’approche encore un peu plus. Et là, j’entends le son du verre qui se brise. Il éclate en un nombre incalculable de morceaux. Mon regard chute sur ce sol qui était couvert de son cadavre à l’allure de puzzle.
Ce n’est même pas une question qu’elle me cède, c’est rien de concret, juste… une surprise. Non, une mauvaise surprise.
Et effectivement, je me sens foutrement mal. Je me sens con. Différent. Monstrueux.
Je vais devoir mentir, c’est évident. Je ne me cache plus mais je ne peux pas lui dérouler la vérité sur un plateau d’argent. D’ailleurs, avait-elle simplement envie de m’écouter ? Était-elle prête à le faire ? J’en doutais fortement. Qui voudrait écouter un « faux mort », absent depuis des années et qui avait préféré vivre dans l’ombre plutôt que de revenir voir sa bien-aimée ? Ça c’est la version qu’on me ferait porter, je ne me fais pas trop d’illusions là-dessus. Comme si j’avais vraiment eu envie de la laisser à Londres, seule, sans nouvelles alors que j’aurais pu… ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire, au final ? Est-ce qu’on aurait mieux vécu ? Avec un défunt aimé sur les bras, en prime ? Des mensonges. Non, j’avais eu envie de revenir, et pas qu’un peu. J’avais eu envie de la serrer dans mes bras tellement de fois… lui dire la vérité… juste, revivre. Être celui que j’avais été. Richard James Hooker. C’est lui que je suis quand elle me regarde, là, maintenant. C’est un fantôme que je suis, c’est une erreur ressuscitée.
Entre le son de la pluie qui cogne sur le sol, sur mes fringues ou encore sur les toits des bagnoles qui étaient garées pas loin dans la rue, ma voix porte. Grave sous le brouhaha faiblard que forme cette symphonie pluvieuse. « Mort, ouais. C’est ce que je croyais moi aussi. » J’avais déjà connu mieux comme entrée en matière. Celle-là était loupée. Clairement. Je m’étais revu encore et encore dans cette situation. Je m’étais rejoué la scène tellement de fois… qu’elle n’avait plus rien d’authentique lorsque je la vivais en cet instant. Authentique dans le bon sens du terme. C’était démodé. Je ne savais même plus comment réagir. Je ne sais plus comment réagir et d’ailleurs, ce que je lâche n’a rien de préparé. Ça se sent. Je suis pris par mes émotions et rien d’autre. Un véritable torrent, à vrai dire. Et ce n’était que le début des festivités.
« Je suis désolé Evelyn. Tout ça… je l’ai pas voulu. », m’étais-je contenté de dire, fuyant malgré moi le contact visuel qu’elle semblait vouloir maintenir plus que tout. J’avais secoué ma tête, n’avais bougé de mon emplacement. Une erreur…
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it's a revolution, i suppose not affiliated • leave me alone | | | Spark in the dark Evelyn se retrouvait paralysée devant l'ombre de son passé, son cœur était fracturé depuis tant d'années, à l'image du verre qui trônait à présent sur le sol, et elle venait de retrouver l'une des pièces manquantes. Elle aurait eu un milliard de questions à poser, puis un autre milliard, mais elle se contentait de laisser sa bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. Si seulement la personne en face se montrait un peu plus loquace mais malheureusement, il se contentait de quelques phrases, d'un pardon demandé comme si tout avait été parfaitement normal. A l'intérieur de sa poitrine, son cœur battait la chamade, comme s'il voulait s'extraire, pour se serrer contre son âme sœur ou pour le gifler de chagrin, même elle n'en était pas sûre. Elle se sentait tremblante, ses jambes vacillaient sur le poids de cette révélation. Sa main se rattrapa à la porte ouverte, lui permettant de ne pas tomber dans les pommes. Si c'était bien lui devant elle, si c'était bien le Richard qu'elle avait connu et non pas une illusion de son esprit, elle savait qu'en ce moment même, de la voir comme ça, il accourait pour la soutenir, il serait là, posant ses bras sur elle… quelque chose pour lequel elle n'était pas encore prête. Alors, dépensant les dernières forces qui lui restaient encore, elle saisit fermement la porte et la referma au nez de son ancien compagnon. De l'autre côté de la porte, il pouvait entendre des coups de poing contre la séparation en bois. Elle ne pouvait pas se faire à l'idée, à l'idée qu'il était toujours en vie… à l'idée qu'il l'était depuis tout ce temps, à l'idée qu'il ne revenait que maintenant… 16 ans plus tard. Ce n'est pas comme s'il avait dû attendre qu'il pleuve pour rajouter plus de drama à la scène.
Les coups finirent par s'estomper. Sa main était tremblante et légèrement douloureuse. A présent, c'était la paume qui caressait le bois alors que son imagination projetait le visage de Richard sur cette dernière. Elle se souvenait à présent, elle se souvenait de la silhouette qui s'éloignait un jour, après avoir raccompagné Betty. Un inconnu qui l'avait aidé dans le bus, voilà ce qu'elle lui avait répondu… un inconnu, elle ne se doutait pas qu'elle était en présence de son propre père. Et lui, savait-il qu'elle était sa fille ? Elle cherchait à se calmer, à ralentir les battements de son cœur en respirant profondément. Peu importe les raisons qui l'avait poussé à revenir après autant de temps, pour le moment du moins. Il était réapparu comme un fantôme, il était venu à sa porte et à présent il était là, sous la pluie. Sa main s'approcha de la poignée qu'elle tourna pour une nouvelle fois pour ouvrir la porte sur l'homme qui commençait à ressembler à un chien mouillé. Son regard croissait le sien, sans pour autant dire un mot, sans pour autant trahir une émotion, si ce n'est l'eau qui commençait à perler au coin de ses yeux, et elle ne pourrait blâmer la pluie pour ça. Le silence qui sembla durer une éternité fut brisé par le bruit d'une paume rencontrant une joue. Son autre poing était fermé pour tenter de canaliser sa colère, preuve qu'elle n'avait pas tout donné dans cette gifle. Son regard ne bougeait pas et attendait que celui de Richard le recroise à nouveau. C'était lui, c'était ses yeux, c'était ce regard qui l'avait fait fondre, c'était 16 ans d'absence qui lui revenait comme un retour de manivelle… c'était plus que ce qu'elle pouvait le supporter. Ces nerfs à bout, elle s'effondra moralement, se laissant partir en sanglot elle qui se présentait depuis toujours comme une femme forte. Elle se laissa alors tombé dans les bras de son petit ami de l'époque, du père de sa fille, se serrant contre lui, une position, une sensation, qui lui avait manqué. |
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❝spark in the dark❞ Evelyn — Richard Il fut un temps où un simple sourire - niais, précisons - aurait pu effacer l’ardoise. C’est une époque qui, malgré le fait qu’elle fut lointaine, n’avait jamais été vraiment oubliée. Là est le souci. Impossible de se reconstruire. Est-ce que je le voulais réellement ? J’en doute. Le souvenir était toujours là, terré quelque part. Il n’attendait qu’à être entretenu. Et c’est ce que je faisais, désespéré de cette vie bafouée, de cet amour perdu : c’est ce visage que j’avais dessiné, encore et encore, afin de ne pas la perdre. Cette vie-là — cette vie où j’étais qu’un Homme, un peu croyant, vivant à son rythme et sans prétention aucune. Un mec un peu grande gueule qui avait encore des parents aimants, une adorable fiancée et un boulot qui lui plaisait. Trop stable, trop bisounours pour que ça perdure. Maintenant j’ai compris.
La porte se referme et mes paupières rejoignent ce mouvement sitôt après, me noyant dans le noir des mes yeux. Je me mordis l’intérieur de la joue, et bien sûr que je me loupais pas - avec des dents pareilles, vous vous attendiez à quoi ? Un goût immonde - ma propre sève - alors que la plaie se refermait aussitôt. Même si je le voulais, je n’aurais pas pu rentrer. Est-ce que j’en avais eu simplement l’idée ? Non. J’étais complètement paumé alors que j’avais toujours eu le don de me sortir de pétrins monstrueux. Même en ce qui concernait ma mort, c’est pour dire. Et si quelque chose ne m’aida pas à avoir les idées au clair, c’est bien ces coups portés contre la porte. Je ne pouvais rien faire d’autre qu’attendre. Que la pilule passe. (À croire que la dernière en date avait été très difficile à avaler — Elizabeth, blague à part.) Qu’est-ce que je pouvais dire pour ma défense ? Pour le moment, elle se contentait de frapper et j’allais pas en placer une dans un moment pareil. La tempête était en train de passer, furieuse, tandis que j’accueillais une autre qui chialait sur mes épaules. Je ne pris même pas la peine de bouger, j’étais planté là comme un piquet. Mes émotions évanouissaient toute envie de disparaître, ne serait-ce que de bouger un peu. Peut-être ne rouvrirait-elle jamais — plus rien ne sera comme avant.
Lorsque j’entendis la poignée faire un son caractéristique, j’avais rouvert les yeux, croisant son regard mouillant. Je connaissais ces mimiques. Elle était en colère. Percée par une tristesse que j’avais moi-même ressenti, et même jusqu’à me la trimbaler jusqu’aujourd’hui. Ça n’aurait pas pu en être autrement. J’aurais jamais pu m’en défaire. À moins d’être expédié. Dans la vraie mort. Je vis venir cette claque. J’aurais pu l’empêcher, mais ça n’avait aucun sens. Pas plus que ma présence ici ce soir, me disais-je. Au lieu de ça je pris sur moi. Pas qu’un peu à vrai dire, et lorsque sa main vint frapper ma joue froide, là non plus je ne réagis pas vraiment comme quelqu’un de normalement constitué. Pas une grimace, pas un soupir naturel (d’où vouliez-vous que je le sorte, celui-là ?). J’avais déjà fini un bras tranché, je me bousillais sans arrêt à vouloir purger le mal de la ville, et quant bien même je savais me régénérer la douleur était là avant que les plaies ne se referment. Certaines restaient béantes d’ailleurs, mais il ne s’agissait pas du même type de maux.
Mon visage s’inclina à nouveau - et péniblement - vers le sien. Mes yeux criaient un amour désespéré, un chagrin réprimé depuis longtemps… et la satisfaction, secrète, d’avoir réussi à lui faire face, lorsqu’elle se laissa franchir le seuil de la porte pour finir contre moi. Que le début. Je sais que ça l’était. Or, c’était déjà beaucoup à mes yeux. Je sentais son pouls affolé, ses quelques spasmes - de colère et de peine mêlées - alors que je l’enlaçai à mon tour. Un seul cœur qui pompait de quoi alimenter ses organes vitaux. (Les miens se gardaient bien de cet effort depuis longtemps.) Je le sentais bien trop fort, si fort que j’eus l’envie soudaine, brève et non assumée d’aller chercher une artère battante. Non, non, non. Et lorsque ce sont ces sanglots qui fusent, c’est à mes yeux de finir rougis. Je resserrai un peu plus mon étreinte, prenant garde de ne pas aller trop loin. Tu ne respires pas, Richard. C’est ce que je crus entendre alors qu’aucun mot n’avait été prononcé. Tu ne respires pas, pourtant tu es là. Es-tu vraiment celui que j’ai aimé ? Est-ce toi ? Des films. Je me fais des films, rien de plus. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’accepter… Tu es mort. Et de fait, j’aurais certainement rien à faire ici. « Je suis désolé… », avais-je soufflé alors que ma carcasse froide et humide se pressait contre elle. Je me répète. Mais c’est sincère. Je simule une inspiration… qui ne servirait forcément à rien. Mais c’était devenu presque un automatisme… depuis que j’étais devenu Trevor Vaughan. Je sentis qu’elle voulut se détacher un peu, chose que je lui accordai. Néanmoins… « Attends, » j’avais attrapé son poignet où, dans son prolongement, une main formait un poing. Encore. « Je suis pas… » Plus humain ? C’est ça que tu veux dire ? …pas mort ? Ça aurait pu marcher remarque, si t’avais pas eu la tête de l’emploi. « Je suis un mutant. » C’est mieux comme mensonge, tu l’as déjà balancé à d’autres. Dans un mouvement qu’elle connaissait que trop bien, l’autre vint dégager son profil des cheveux rebelles qui s’y étaient reposés. « J’aurais pas pu revenir chez nous… il fallait que je me cache, je n’avais pas le droit. Ils auraient su… », mon regard se barre un peu en biais, inquiet. Je l’étais toujours concernant ce point-là. Et j’étais loin de m’imaginer qu’on en avait vraiment pour mon cul. « Tu aurais été mise en danger, toi aussi… j’ai pas pu faire autrement. Elizabeth aussi et… » Ce n’était pas tout à fait faux. Les mutants n’avaient pas encore été révélés au grand jour à l’époque… mais là n’était pas vraiment la question. Si j’étais revenu d’entre les morts de manière officielle, ça n’aurait pas pu être sans encombres, ni conséquences. Et le sacrifice avait été accepté (difficilement, mais sûrement) dès lors où on m’avait proposé un ultimatum. Un ultimatum qui n’avait plus tant l’air d’en être, car j’avais bafoué une des règles d’or.
Le monde tournait pas rond, nous allions nous aussi nous prendre les pieds dans le tapis et ma couverture ne tiendrait pas éternellement… y croire aurait été idiot. Je secoue un peu la tête, la mine grise. (S'il y a de la colère en cet instant, elle m'est exclusivement dédiée.) « J'ai été con. Tu vois, j’aurais pu rester un fantôme. J’aurais dû. Tout le monde s’en serait mieux porté. » Sauf moi, à vrai dire. J’avais sans doute été trop égoïste, ou trop faible pour ne pas réussir à supporter la souffrance moi-même. Alors je m’étais pointé ici, l’espoir sous le bras. « J’ai été trop loin pendant trop longtemps. Et regarde ce que t’as en face de toi aujourd’hui ? » Un monstre, c’est comme ça que je me voyais, quand j’avais encore le cran de penser à ma condition sans vriller. Mais les mutants ne l’étaient pas… les vampires, oui. Un véritable fléau, et j’en faisais partie malgré moi. Malgré ma spécificité. Elle ne comprendrait certainement jamais si je lui en faisais l’aveu. Pas plus que si je le faisais aux autorités avec lesquelles je bossais parfois — cela mettrait trop de choses en péril. Toujours est-il que c’est l’émotion qui me fait dire des conneries pareilles et je n’arrive pas à m’arrêter dans ma lancée. J’avais pris ma tête entre mes mains, paumes contre mes tempes marquées par le passage de la pluie. « Que ce soit Elizabeth, toi… vous méritiez pas ça. Pourquoi vous voudriez de moi aujourd’hui ? Je ne sais même plus si… » Je ne sais même plus si tu m’aimes, Evie. Et j’avais beau voir des choses dans son regard, je n’arrivais pas à me faire à l’idée que cela puisse être vrai. Comme si, dans mon esprit, il était inconcevable qu’un homme revenu d’entre les morts puisse encore être aimé… après autant de temps, de souffrances, de moments que nous n’avions pu partager. Je ne voyais que la leur pour l’instant, (la douleur), faisant l’impasse sur celle qui avait pu être mienne. Je n’étais pas là pour ça, même si l’exprimer serait peut-être une bonne chose… un autre mensonge à retirer sur cette foutue liste.
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