America ne s'absente jamais plus d'une heure. Bien sûr, les autres ne remarquent pas son petit manège. Ils ne se doutent même pas qu'elle est là, parfois. Mais pourtant, elle ne s'éloigne jamais très longtemps de Kaplan. Elle sait que pour mener sa mission à bien, elle doit sacrifier sa liberté, celle qu'elle aime tant. Elle ne peut pas se permettre de partir même pour une demi-journée, il est évident que ce serait ce moment-là que Kaplan choisirait pour se foutre dans la merde jusqu'au cou. Non, elle ne peut pas se laisser déconcentrer, elle doit rester dans les parages, au cas où quelque chose arriverait. Très franchement, la vie est beaucoup moins drôle depuis qu'elle assure la protection de ce petit morveux. Il y a beaucoup de choses de sa vie d'avant qui lui manquent. Prendre un verre au bord de la mer dans une dimension paradisiaque. Cette belle brésilienne à qui elle avait promis un date quelques mois plus tôt. Pouvoir aller passer quelques heures à se défouler ailleurs, dans une dimension qui lui permettrait de faire ce qu'elle aime le plus : défoncer des démons ou des créatures dégueulasses. Oh, qu'est-ce qu'elle donnerait pour passer une soirée avec une jolie fille sans se soucier de quoi que ce soit. Elle aimait bien cette époque où elle pouvait se permettre de ne pas se tracasser pour la survie de Billy Kaplan. Mais elle n'a pas le choix. Elle ne sait pas combien de temps elle va réussir à tenir dans cette vie merdique, mais elle n'a pas le choix.

Aujourd'hui, elle a réservé son heure de tranquillité pour un footing dans Central Park. Elle aurait très bien pu courir près de leur QG, ou sur les tapis roulants de leur salle d'entraînement. Mais elle avait besoin de prendre l'air. Les Young Avengers ont le don de l'exaspérer au plus haut point. Ils sont tous parfois si immatures dans leur manière d'appréhender les choses. Oh oui, certains ont vécu des choses pas particulièrement drôles. Mais parfois, elle a l'impression qu'ils n'ont pas appris de leurs erreurs. Et puis il y a la musique de Noh-Varr. Elle ne supporte plus la musique de Noh-Varr, toujours à fond dans l'appartement. Il fallait qu'elle sorte avant d'exploser son tourne-disque d'un coup de poing. Pendant une heure, elle a profité un peu de cette solitude qu'elle chérit tant. Pas de Kate pour la faire chier, pas de Billy pour lui poser des questions chiantes. Juste un peu de nature, de la bonne musique et plein de jolies filles. America n'a pas choisi Central Park par hasard. S'il y a bien une chose qui la détend, ce sont ces cheveux qui se balancent au rythme de la course, ces leggings moulants qui dévoilent les formes, ces sourires d'encouragement que lui envoient les autres filles sans se douter que pour America, c'est tout autre chose. Elle est rentrée à contre cœur au bout d'une cinquantaine de minutes, et s'est affalée sur son lit.

Ce sont les coups contre la porte qui la réveillent. Elle fronce d'abord les sourcils, et se dit qu'elle va plutôt se rendormir. Puis elle se rappelle qu'on ne frappe jamais à sa porte. Les autres habitants du QG lui envoient plutôt des sms, quand ils veulent quelque chose. Trop effrayés de déranger le dragon et de se brûler les pattes. C'est ce qui la fait se lever et se traîner avec un soupir jusqu'à la porte. Bien sûr, l'idiot qui a osé la réveiller est accueilli avec une expression faciale des plus antipathiques. America n'est pas du genre à prétendre qu'elle est contente de voir quelqu'un. Encore moins quand ce quelqu'un est Tommy Shepherd. Ses sourcils se haussent avec une pointe d'exaspération quand elle reconnaît le speedster. La dernière fois qu'elle l'a vu, c'est quand les groupe a essayé de le recruter. Quelle belle connerie. Boucles d'or n'a pas l'air particulièrement bien, franchement. Il a des cernes sous les yeux, il est pâle comme un vampire. Il n'a visiblement pas beaucoup dormi ces derniers jours. Il entre sans attendre de permission dans la chambre de Miss America, et la bouche de cette dernière forme un o offusqué quand elle est obligée de faire quelques pas en arrière pour qu'il n'entre pas dans l'espace vital qu'elle aime garder autour d'elle. Elle reste sur ses gardes, incertaine de la raison de la présence du speedster dans sa chambre à elle. Après tout, elle est bien l'une des seules qu'il ne connaît pas ici. « Balise pas, America. » Elle lâche une petit rire moqueur. Comme si elle avait peur de lui. « Je suis venu te demander une faveur. Tu m'as pas l'air d'être le genre de filles qui fait des faveurs, mais j'ai rien à perdre. » Elle perd son sourire amusé et reprend son air exaspéré, croisant les bras devant sa poitrine. Elle sait déjà qu'il va la faire chier. « Renvoie-moi dans mon monde. S'il te plaît. » Elle lève un peu la tête, assimilant l'information, et sourit légèrement. Il est véritablement sérieux. « Mais bien sûr, Boucles d'or. » dit-elle d'abord, elle aussi avec un air parfaitement sérieux. « Et puis après on ira manger une glace et on chantera tous des chansons sur l'amitié. » Elle s'approche et lui tapote l'épaule. « Allez, retourne jouer, j'ai des choses plus intéressantes à faire. »

« Tu te fous de moi ? » lance-t-il, visiblement surpris. Oh, elle ne va pas le blâmer, après tout, elle ne lui a pas laissé le temps de plaider sa cause, et il pense sûrement qu'il va finir par la convaincre s'il utilise les bons arguments. Mais il est très dur de convaincre Miss America, et s'il ne le sait pas encore, il va bientôt le comprendre. Ils n'ont pas eu l'occasion de beaucoup se parler, jusqu'à maintenant, et il ne sait donc pas comment les choses sont, avec elle. « Ça te coûte quoi ? Claque tes talons, twerke un coup, peu importe comment ça marche, mais ramène-moi là-bas ! » Elle lève les yeux au ciel en se tournant vers lui, et elle croise les bras devant sa poitrine. Il fait d'ailleurs la même chose, laissant comprendre à America qu'il ne bougera pas tant qu'ils n'auront pas eu une discussion digne de ce nom et sûrement qu'il ne bougera pas tant qu'il n'aura pas eu gain de cause. « J'ai quelqu'un à tuer et tu vas m'aider. Je peux être aussi chiant que Billy, quand je veux. » America laisse retomber ses bras. « Oh bordel, j'y crois pas. » Elle lâche un soupir énervé. Elle a déjà assez de problèmes avec Wiccan, son frère jumeau ne va pas en rajouter sur la tartine. Hors de question qu'elle s'embarasse d'un deuxième gamin qui pourrait foutre la merde dans un demi-million d'univers en l'espace d'une seconde. Tommy investit son espace vital, et elle le regarde comme s'il était plus répugnant que Noh-Varr et son ADN cafard. « Mais tu ne sais probablement pas à quel point il peut devenir insupportable. Tu n'étais pas dans mon monde. Je suis sûr que tu n'étais pas dans le sien et celui de Noh non plus. » Oh bien sûr que si elle sait. Bien sûr que si, elle était là. America est partout, mais ça, le speedster ne le sait pas. Elle sait tout, elle voit tout, même quand on pense qu'elle n'en a rien à faire du reste du monde. « Tu es qui, déjà ? Tu viens d'où ? » Elle lui offre un sourire moqueur, un regard exprimant amusement et dégoût à la fois. Elle n'a pas répondu aux autres, elle ne va pas lui répondre à lui. Devant son silence, il cherche des yeux des choses auxquelles se raccrocher, mais elle ne le quitte pas du regard, le défiant d'une certaine manière. Il aura beau chercher, il ne trouvera rien sur quoi il pourra l'attaquer. « Oublie. C'est pas mes affaires. Je veux juste que tu me ramènes. Je sais que tu peux le faire, alors si tu le fais pas, c'est que tu veux pas. Pourquoi ? » Elle n'aurait jamais du laisser ça sortir, l'autre jour. Quoi qu'il dise, elle va jouer la carte de l'innocente, celle qui a dit ça juste pour le menacer. Qui pourra prouver qu'elle peut faire quelque chose comme ça, hein? Qui? Ils ne savent rien d'elle, et ne l'ont jamais vu le faire. La balle est dans son camp.

« Tu refuses que je tue le Billy de mon univers ? C'est un de tes amis ? Ou bien tu veux juste pas m'envoyer loin de ce Billy là ? » Elle lève les yeux au ciel. Il pense vraiment que tout tourne autour de lui, c'est ça? Bordel, s'il savait. Billy n'est que la face cachée de l'Iceberg. Et puis Shepherd parle. Parle. Parle. Il ne s'arrête pas. Elle ferme les yeux, tentant de garder son calme du mieux qu'elle peut, mais tout le monde sait que ce n'est pas la plus grande force d'America, le flegme. Quand il semble avoir fini, elle lance, plus lassée qu'autre chose : « Tu te fatigues pas toi-même des fois? » Elle fronce les sourcils. « Je crois que j'ai même pas réussi à suivre la moitié de ce que t'as dit, tellement c'était chiant. » Elle recule un peu et baille dans sa main. « Bon, écoute, boucles d'or. Tu m'as l'air très sympa hein, tu m'as l'air de vouloir vraiment faire tout ça, mais tu veux que je te dise quelque chose? » Elle lève les bras légèrement de chaque côté. « J'en ai rien à faire. » Elle secoue la tête, un air exaspéré sur le visage. « Je suis pas venue là pour aider la veuve et l'orphelin. » balance-t-elle, presque acide. « Même si je pouvais te ramener là-bas, ça changerait rien, t'as pas compris tout ça encore? » fait-elle finalement, faisant mine de coller un post-it sur le front de Shepherd comme pour lui faire entrer les informations dans la tête.

« C'est quand même sacrément hypocrite, c'que tu dis. » America hausse les sourcils. Il veut vraiment aller sur cette pente-là? Et il la regarde avec un petit sourire, qui a quelque chose de profondément désagréable. Elle-même arbore une drôle de moue, à mi-chemin entre la colère et le dégoût. Une expression qui lui est quotidienne, finalement, quand on y réfléchit. « J'te connais pas. Billy te connaît pas. Ça veut dire que tu viens d'ailleurs. Un autre monde. Une autre planète, un autre univers, un truc comme ça. Et si t'es là, si t'es avec les Young Avengers, alors qu'il me paraît très clair que l'avenir du monde, tu t'en contrefous... C'est que y a un truc que tu protèges, y a un truc que tu veux changer, quelqu'un que tu veux sauver, ou tuer. T'es là pour une raison. » La jeune femme ferme les yeux, et se masse les tempes. Elle va le dégommer, comme une quille. Clairement, s'il n'y avait qu'eux dans la maison, elle se ferait une joie de le faire sortir de là d'une pichenette sur l'épaule, conjuguée à sa super-force. Ce serait si facile. Elle pourrait aussi le prendre sous le coude, et l'emmener avec elle à quelques kilomètres du sol et le menacer de le faire tomber. Un speedster sans jambes, ça fait quoi? Bon, elle se demande sincèrement ce que ça ferait, même si elle n'est pas cruelle à ce point. Et puis elle ne va pas faire de mal à Shepherd, parce qu'il y a déjà assez de problèmes dans le groupe, et qu'elle n'a pas franchement envie que Kaplan soit encore plus énervé qu'il ne l'est déjà contre elle. Elle est quand même là pour lui, alors s'il la repousse pour de bon, elle sait très bien que sa mission va tomber à l'eau, et c'est bien la dernière chose qu'elle souhaite. N'empêche qu'elle est clairement impressionnée, au fond, derrière ce visage indifférent, par la perspicacité du petit blond. Il en a plus capté sur elle en la voyant aussi peu que tous les autres alors qu'ils vivent avec elle. « J'veux une conclusion, un point final à l'autre monde et au Billy de là-bas, c'est tout. Ça te coûte un bras d'ouvrir un portail ? » Il fut un temps où, oui, ça lui aurait demandé beaucoup. Mais America a eu des années à errer dans le multiverse, toutes les déclinaisons de cette terre et des autres, pour se perfectionner. Aujourd'hui elle ne ressent même plus l'espèce de pincement que ça lui faisait autrefois. C'est comme respirer, c'est comme marcher. Parfaitement naturel. Mais America a aussi appris à ses dépends que parfois, toucher à la timeline d'un multiverse peut avoir des conséquences terribles, inattendues. Et ça, le petit Tom ne peut sûrement pas l'imaginer. Une meuf sympa aurait pris le temps de tout expliquer, mais elle a jamais été particulièrement sympa, surtout avec les gens qui lui tapent sur les nerfs. « Tu pourrais juste être indifférente, claquer des doigts, ouvrir le portail et basta. Aucune implication de ta part. Mais t'as besoin d'être mauvaise en plus de ça, t'as besoin d'être difficile, bornée. Quelle conne. » Elle laisse échapper un soupir clair et plutôt clair sur ses intentions. Elle ne l'aidera pas. Cependant, elle ne dit rien, là où dans d'autres circonstances, elle aurait sûrement rétorqué quelque chose, sans la moindre délicatesse. « J'parle à un mur de toute manière. T'es une Young Avenger, que tu le veuilles ou non. Quelque part, j'pensais que ça suffirait, que ça voulait dire que t'étais une fille solidaire. Il doit bien y avoir une raison pour que tu fasses partie du groupe de ce monde. » Une fille solidaire. Il est mignon. « Mais non. Tant pis. » Elle secoue la tête. « Si tu veux pas aller jouer ailleurs, mon gars, c'est moi qui m'en vais. » Elle se dirige vers sa fenêtre ouverte, et saute, sans se retourner une seconde. Quelques secondes plus tard, un éclair traverse Manhattan.


Deux semaines plus tard. Elle n'a pas eu de mal à le retrouver. Kate avait toutes les infos, et America a juste eu besoin de s'infiltrer dans son téléphone portable, et à supporter la vue de messages dégoulinants entre elle et Teddy. Il lui a ensuite juste suffi d'identifier le bâtiment dans la jungle New-Yorkaise, mais quand on peut prendre de la hauteur, rien n'est trop compliqué. Elle entre dans l'hôtel et ignore parfaitement la femme, à l'accueil, qui veut qu'elle décline son identité. Elle entre dans la cage d'escalier, ne se fatigue pas avec les marches et se contente de s'élever en plein milieu de la cage d'escalier jusqu'à l'étage indiqué sur le téléphone de Kate. Elle ne prend pas non plus la peine de frapper quand elle arrive devant la porte de la chambre de Shepherd. Rien ne résiste à sa super-force, et elle s'infiltre dans l'appartement sans demander la permission à qui que ce soit. « Boucles d'or. » salue-t-elle cordialement le jeune homme, assis sur le canapé. « J'ai bien étudié ton dossier, et c'est ton jour de chance. J'ai décidé d'être sympa. » lâche-t-elle tout simplement, comme si elle ne l'avait pas laissé comme un con la dernière fois au milieu de sa chambre.