Do you remember the way it made you feel? Do you remember the things it let you feel?
Agile, servile à tes habitudes, à ce sourire indélébile plein de certitude. Tu transpires l’assurance et la prestance, chaque geste est calculé inconsciemment au détriment d’une spontanéité que tu délaisses volontairement. Il n’y a jamais rien de bon qui découle de l’instinctif. Agir sans réfléchir t’a toujours mené vers des ennuis, et c’est pour cela que maintenant, tout se passe dans ton cerveau. Toutes les suppositions s’amassent dans ta boîte crânienne. Toutes les théories foireuses et judicieuses pullulent et t’acculent dans une prévoyance plutôt ennuyeuse parfois. Tu distribues les verres en même temps que ton rictus dragueur, alors que tu les observes tous te le rendre. Parfois par simple politesse, parfois par un intérêt marqué. Tu troubles la plupart, tu consternes d’autres. Ne doutant pas un seul instant de tes charmes, tu sais très bien que tu pourrais rentrer au bras de n’importe lequel de ces individus. Ils viennent ici pour reluquer les déesses de ce club, ces sirènes aux jambes interminables et à la peau brillante sous les feux des projecteurs allumés rien que pour elles. Ils viennent ici pour délester leurs poches des quelques billets qu’ils contiennent, dans le simple espoir de respirer le même air que leurs échappatoires provisoires. Puis ils tombent sur toi, ils ne comprennent pas, ils se posent toutes sortes de questions. Pourquoi ce blond me fait-il de l’effet ? Tout simplement parce que toi, tu dégages cette aura particulière. Tu as ce don, cette façon de les séduire sans qu’ils ne puissent combattre ce magnétisme irrémédiable. Un millier de soleils propulsent leurs rayons sur une même cible, et c’est toi. Ils essayant de brûler cette entité qui arpente la terre à pas légers et discrets. Antinomie vivante, qui respire et qui règne sur des empires. Le doré de tes cheveux charme l’œil aussitôt. Deux puits de splendeur incontestée où peuvent se lire tellement de choses ouvertes à l’interprétation. Anatomie qui incite à la luxure, à en vouloir t’arracher ta belle chemise pour voir les merveilles qu’elle dissimule. Bouche pulpeuse sur laquelle passe occasionnellement la langue. Une manie à ne pas vouloir qu’elle soit sèche. Geste dont tu as appris à soupçonner la portée en voyant les autres chavirer. Séduisant, intimidant. Les manières apprises, qui attisent les convoitises. Les doigts s’attardent sur les dos des mains lorsque tu tends les cocktails. Espiègle, tu décoches de ces clins d’œil dont tu as le secret, le fantôme de l’approbation hantant tes traits. Tout ton corps crie ce désir de séduire, d’être agréable à la vue. Faire tanguer les envies et jouer avec les interdits te remplit d’une satisfaction indéfectible. Tu chercheras à enjôler. Un enchanteur qui convoite l’ensorcellement. Envoûteur de ces messieurs qui n’étaient pas venus pour toi. Le serpent charmeur, joueur au rire qui carillonne, qui résonne et qui déraisonne. Un sourire, et ils soupirent. Ils rêvent de te conquérir, de t’acquérir, de t’anéantir. La voix séductrice, qui inflige le supplice, qui rapproche du précipice. Elle se fait lente, accablante. Elle envahit les sens dans une sorte de danse dont on ne peut s’échapper, dont on ne veut pas se détourner. Tu gagnes toujours. Tu ne perds jamais.
La pulpe de tes doigts effleure sa patte. "It’s on the house." Tu sifflerais presque d’allégresse en voyant le rouge lui monter aux joues. Faibles hommes si facilement flattés, il en suffit de peu pour qu’ils perdent les pédales. Mais tu le quittes déjà, le délaissant pour d’autres comme si ça ne signifiait absolument rien pour toi. Tu distribues un verre gratuit de temps à autre lorsqu’il y en a un qui est agréable à regarder, mais ça s’arrête là. Ce n’est jamais dans l’espoir qu’il fasse attention à toi, ou de te lancer dans un discours lourd de séduction et de passion. Toi, tu aimes ceux qui prennent les devants. Qui se dépêtrent de leur timidité et leurs peurs pour t’aborder sans regrets. Ceux qui oublient les nymphes pour succomber à tes charmes et demander plus, toujours plus. Ce n’est pas là ton terrain de chasse où tu choisis tes proies pour les diriger vers ta couche. Autrement, tu travaillerais dans un bar gay où ce serait tellement plus facile d’assurer au moins un coup par soirée. Ici, c’est l’endroit où tu feins l’innocence, où tu uses de ta grâce pour les abasourdir. Ce n’est que s’ils demandent qu’ils obtiennent récompense. Les timides n’ont pas leur place dans ton royaume de dépravation. Sondant la foule, et suivant ta dernière victime du coin de l’œil qui se demande sûrement comment t’aborder à nouveau, tu es soudain pris d’un coup de poing dans l’estomac. "Fuck. Fuck, fuck, fuck." Il est là. Dans toute sa magnificence. Tu ne vois plus que lui maintenant. Tu ne peux pas faire autrement. Ça te pique les yeux, ça te brûle les entrailles. Et les souvenirs affluent comme une musique oubliée, les notes assourdissent tes tympans et tu ne peux plus bouger. Éberlué par ce fantôme du passé que tu n’aurais jamais cru revoir un jour. Ils disent que le monde est petit. Et tu commences à le croire. Même dans une ville aussi grande que New York, il a fallu que tu tombes sur lui. Bien sûr, les probabilités grandissent lorsque tu fréquentes le même lieu toutes les nuits, alors que lui change constamment. Tu as le regard obnubilé par cette silhouette que tu reconnaîtrais entre mille. Ce visage qu’on dirait sculpté dans la glace, les iris qui le contemplent trépassent et s’extasient devant une telle apparition. "Hey, man. Wanna … Wanna get out of…" "Shut the fuck up." Tu brises ses espoirs en lui accordant à peine un regard. Interrompu dans ta contemplation, tu incarnes l’irritation absolue. Plus rien d’autre n’a d’importance que lui. Blake. Son prénom est une litanie qui a longtemps résonné dans ton esprit afin de te hanter pour l’éternité. C’est toi qui l’as quitté. Pourtant, tu es incapable de renoncer à lui. Il dort dans les travers de ta mémoire. Il s’élance dans les esquisses de tes rêves. Il est même un cauchemar qui te taraude continuellement. Encore et encore. Il est la scène d’une course effrénée, la raison des ailes qui grandissent sous tes semelles. L’excuse derrière laquelle se cache ton cœur pour battre à en rêver, à en crever. Une dernière chance de le poursuivre, de ne pas le laisser s’enfuir t’est offerte. Une chance à ne pas laisser passer, il n’y a pas de place pour la défaite. Tu t’en fous de perdre ton souffle, d’arrêter de respirer. Tu t’en fous d’étouffer, de recracher tes poumons. Il n’y a que lui dans tes nuits lorsque tu ne contrôles plus rien.
Tu toises ton collègue sans une once d’hésitation. "Cover for me. Please." Tu n’oses pas utiliser ton pouvoir sur quelqu’un qui travaille avec toi, préférant compter sur sa bienveillance. Il hoche de la tête, résigné, sachant très bien que tu lui rendrais la pareille dès que tu en auras l’occasion. Tu prépares deux verres que tu emportes avec toi, t’éloignant du bar avec le feu de la volonté qui vit en toi. Avisant l’un des clients, tu n’as pas de réticence cette fois. Peu importe si tu l’utilises sur lui, il n’appartient pas à ton entourage. Il ne réalisera pas le degré de ton influence sur ses actes. "Hey, you." L’hypnotisme opère aussitôt que vos mirettes se confrontent. C’est presque trop facile, et tu lui tends déjà le breuvage destiné au spectre de ton passé. "Can you please take this aqua blue cruise to the guy over there ? Tell him it’s from me, then go back to your business." Tous les pions sont placés sur ton échiquier, et soudain, tu te sens nerveux. Tellement nerveux que tu as l’impression d’avoir des vertiges. Acculé à un mur, le récipient porté à tes lèvres, tu attends. Et tu n’es pas déçu. Un index est tendu vers toi, mais tu l’ignores. Tout ce qui t’importe, ce sont les prunelles de l’autre qui se figent sur toi. Guettant la moindre de ses réactions comme la chose la plus essentielle au monde. Les sens en éveil, l’imagination qui s’émerveille. L’anticipation de retrouvailles que tu n’aurais jamais crues possibles. Mais c’est plus fort que toi. Tu n’as pas trop le choix. Tu ne peux pas lui échapper. Tu ne peux pas lui tourner le dos une nouvelle fois. Des particules électriques vibrent entre vous. Tu as déjà l’illusion de le toucher, de le respirer. Tu le sens sur chaque parcelle de ta peau. Tu te rappelles de chaque sourire, chaque plaisir, chaque injure, chaque souillure. Chaque coup de rein asséné dans la luxure. Chaque tressaillement lorsque la folie vous avait enveloppé entièrement. Vous en étiez devenus déments. Viens à moi, Blake que tout ton physique semble hurler dans la cacophonie ambiante. Et tu échappes à son coup d’œil. Non pas sans avoir achevé le reste de ta boisson devant lui avant de déposer le contenant sur une table quelconque sur ton chemin vers les toilettes. Qu’il te suive. Qu’il comprenne. Tu ne sais pas du tout ce qu’il va se passer. Tu ignores tout des conséquences de tes actions d’il y a maintenant plus d’une année. L’émerveillement de la découverte, et le retour des situations foireuses. Il n’y a que lui pour les provoquer. Toutes les directives que tu avais décidé de suivre. Toutes les précautions que tu avais décidé de te prendre. Éparpillées aux quatre vents lorsque tes instincts reprennent le dessus. Tu ne contrôles rien, et c’est tant mieux. Tu ne contrôles rien, et tu es prêt à être enchanté, ravi, déboussolé. Une énième valse lorsque la dernière remonte à si loin. Et la porte que tu franchis, avec une grimace malfaisante au coin de ta bouche cruelle.
Don't forget it was real citation citation citation
Allongé en travers de ton lit, tu observais le plafond d'un blanc sali, taché par les années. Quelques gouttes esseulées roulent encore le long de ta joue, dévalent les lignes ciselées de ton cou et de ta gorge jusqu'à celles, plus osseuses, de tes épaules. Le diaphane encore humide, tu les ignores sans prendre la peine de frémir. L'air tout à la fois absent et irrité, tu préfères porter négligemment ta clope à ta bouche, contact fugace entre le filtre et le revers de tes lèvres aspirant la fumée souillée pour mieux la recracher. Une ombre, agaçante dans son insistance, vient troubler le tableau vide et immuable, inexistant, que tu fixais sans voir. Les lignes sinueuses de tes sourcils se froncent, s'accentuent, portent l'obscurité sur les joyaux bleus enchâssés dans leurs écrins de cils charbonneux. Les bon jours et les banaux côtoient toujours les mauvais, ceux où ses réminiscences insupportables n'ont de cesse de s'imposer à tes pensées ; ceux où l'irritation coule partout sous ta peau, envahissant la moindre de tes veines, frémissement d'une colère sourde dont les vents violents te poussent à l'agressivité impitoyable d'une tempête que rien ni personne n'arrête. Même te rendre à la salle de combat n'avait réussi à apaiser tes nerfs à vif, tes pulsions destructrices – celles qui te chantent de continuer à tordre, à serrer et broyer, jusqu'à ce que l'articulation cède, que l'os se rompent sous ton étreinte ; que la trachées devienne inaccessible. Celles qui susurrent au creux de ton oreille de laisser filer ton pouvoir, de le laisser prendre le pas et faire de leur sang tes sujets ; de les dominer tous, de les faire plier bien plus que l'échine devant toi et ton indicible supériorité. De les écraser, comme les insectes qu'ils sont. Mais l'heure n'est pas encore arrivée, et tu le sais. L'ombre persiste. Subsiste. Les paupières clignent, dissimulent une fraction durant les lacis azur des prunelles glacées qui jaugent maintenant la source de ta nouvelle irritation. ''What is it, Soledad ?'' La froideur de la voix tranche sur le silence qu'elle porte, la sécheresse des intonations agresse, pourtant elle se contente de t'observer d'un air qui frôle l'arrogance. Et si son attitude rajoute à ton énervement, tu l'apprécies aussi, pourtant, ce refus catégorique de plier, même face à toi. Le silence s'étire, duel de regards rythmé par les foudres que lance le noir de tes pupilles et qui se reflètent dans les siennes. Sa langue claque, manifeste sa propre irritation, et elle secoue la tête, faisant voleter au passage quelques lourdes mèches brunes qui s'échappent de sa chevelure soigneusement coiffée. Le carmin de ses lèvres se desserre de leur ligne serrée tandis qu'elle rétorque sans se démonter. ''Stop being a drama-queen and get your shit together Blake, we're gonna be late.'' Ton sourcil s'arque, ta bouche emprunte un rictus qui suinte la suffisance. ''Oh thank you, i didn't know you were a fucking clock.'' L'ironie frappe, mais c'est le ton de la voix qui, bien plus encore, attaque. Elle lève les yeux au ciel, tourne sur ses talons qui claquent impérieusement au sol à chacun de ses pas. ''Whatever.'' La porte se referme derrière elle, claque sans étouffer les mots qu'elle grommelle à ton attention. ''Yeah yeah, he'd rather need some cock. Fuckhead.'' Foudroyant l'air du regard, tu passes une main sur ton visage en soupirant d'un coup sec ton exaspération. Tu te lèves néanmoins, enfiles rapidement tes vêtements : si vous n'êtes certainement pas en retard, être en avance pourra toujours vous servir. Et si ton irritation ne s'est pas encore calmée lorsque tu rejoins Soledad, la fraîcheur de l'air nocturne et le joint qui finit entre tes lèvres lorsque vous arrivez au bar et vous mêlez à la foule des fumeurs, une trentaine de minutes plus tard, s'avèrent déjà plus efficaces.
Des doigts qui se glissent dans ta paume, une main qui prend la tienne, qui t'entraîne. Vous vous faufilez dans la foule, vous mêlez à la houle mouvante, agitée de vagues qui sans cesse roulent. La chaleur étouffante enivre les sens, embrume l'esprit ; jeux de lumières qui perturbe la notion de la réalité. Tu n'aurais peut-être pas dû fumer, et encore boire sachant que Soledad et toi êtes censés rencontrer des informateurs, mais tu l'as fait tout de même – une touche d'impulsivité dans des plans tous très calculés, tentative de te détendre un peu : de toute manière, être trop sur les nerfs serait suspect, il vous faut vous mêler à la masse mouvante des corps grisés par la chaleur et l'alcool, par les rythmes lascifs et les danseuses languides qui attisent chacun. Et son corps se colle au tien, ses bras se nouent derrière ta nuque. L'obscurité profonde de ses prunelles te happe vaguement, superficiellement : tu te laisses aller aux mouvements de vos corps, aux rythmes entêtants d'une musique qui semble constituée d'à peine plus que de lignes de basses. Tu perds le fil du temps, t'abandonnant quelques instants au flou de tes sensations embrumées, à la houle dont vous faites maintenant parti et qui vous agite à son gré. Et puis ses lèvres cherchent les tiennes. Tu l'as déjà quittée, repoussée. Que les braises de ses yeux te foudroient, que ses pupilles te fusillent, ça ne te fait rien. Tes sourcils s'arquent et marquent la hauteur, tes lippes s'ourlent d'un rictus de suffisance, dévoilent le blanc de crocs trop aiguisés pour les agneaux du troupeau auquel vous vous êtes mêlés. Elle le sait ; bien souvent tu ne prends plus la peine d'embrasser. Comme si la rencontre des lèvres possédait un pouvoir inéluctable, qu'il causait l'affection ; forçait la nuque à ployer en une révérence qui frôle parfois la soumission. Bien sûr que c'est faux, que ça touche au ridicule à l'image de ton attitude - tu en es parfaitement conscient. Pourtant les quelques baisers échangés durant les derniers mois avaient tous la fadeur de l'insipide, la froideur de la fausseté. Oh, les autres ne le remarquaient pas, trop occupés à gémir dans ta bouche, leurs respirations brûlantes s'échouant sur ta langue, sur tes lèvres, sur ta peau à chaque expiration erratique, quelque distance infime qui s'imposait lorsque le besoin d'air se faisait trop grand. Ne laissant à tes papilles qu'un arrière goût amer, le loisir de s'emparer de ta gorge, d'en tordre les cordes. Ce n'étaient même pas eux, c'étaient ses mains, fantomatiques et intangibles, qui se nouaient autour de ta gorge avec une tendresse toute emprunte de sournoiserie. Lui, toujours lui. Celui qui t'a poussé au parjure et dont le souvenir ne se laisse bannir. Et peut-être que tu ferais mieux de le faire quand même ; de te faire à la futilité de ces baisers qui ne veulent rien dire, à la banalité de la pression des lippes, l'insignifiance de la caresse des langues, d'essayer d'oublier tout ça et de finir de l'oublier lui - sauf que tu ne le fais pas.
Tu t'éloignes, te perds un instant dans la foule, volontairement. Ton regard la scanne, l'observe, l'étudie - pas de signes de ceux qui sont censés vous rejoindre. Rien de suspect non plus. Une nymphe dénudée accroche tes yeux comme la lumière qui fait scintiller sa peau de millier d'éclats, et tu le laisses couler au rythme de ses mains qui dévalent sa taille et ses hanches fines. Tu n'es pas là pour ça, pas là pour elles – cs créatures sublimes qui ne sont qu'images, que simulacres de mouvements langoureux et de courbes alléchantes. Ca ne t'empêche pas d'admirer pourtant, de les laisser attirer tes pupilles et assoiffer tes papilles le temps que tu rejoignes Soledad. ''Have you seen anything ?'' te demande-t-elle haussée sur la pointe de tes talons, une main sur ton épaule pour mieux te le glisser à l'oreille – on t'interrompt avant que tu n'aies le temps de lui répondre, d'une main qui s'empare de ton coude. ''Excuse me.'' Un regard condescendant jeté par dessus ton épaule, comme si tu cherchais l'insignifiante source de ton dérangement. L'impudent insiste, ose pousser l'offense jusqu'à tirer vaguement sur ta manche. Tu te défais de l'étreinte de ses doigts d'un geste sec, comme si elle était souillure, mais te retournes néanmoins pour le jauger de toute ta hauteur, le regard d'un noir impérieux exigeant une réponse à une question pas même énoncée – incertain sous tes foudres, il poursuit néanmoins. The guy over there told me to bring you this'' Verre plein d'un liquide d'un bleu vif qu'il te tend après un signe de la main trop vague pour être suivi. Tu t'en empares brusquement, sans pour autant le porter à tes lèvres tant que tu ne sais pas d'où, ou plus précisément de qui, il vient – tu as déjà rencontré une mutante capable de changer les propriétés d'un liquide, de quoi repenser la prudence. Ton regard le retient, l'empoignes aussi efficacement que si tu t'étais saisi de son col – tu n'as pas le temps pour ces trivialités. ''Who.'' Tu imposes plus que tu ne demandes et, cette fois, son geste est plus précis, il pivote pour désigner d'un doigt pointé celui qui t'a offert le verre. ''He's over ther. The blong guy, against the wall.'' Tu fouilles la foule. Jusqu'à tomber sur lui. Tu tressailles sans plus réagir, forçant tes yeux à se détacher de l'illusion - si réelle qu'elle t'assèche la gorge et te fout un nœud aux entrailles – et continuer sa route. Shit. Tu n'aurais peut-être pas dû fumer et enchaîner les verres alors qu'il rodait déjà dangereusement près de tes pensées conscientes. Pourtant,après un groupe compacte où personne ne te porte attention, le mur marque un coin. Pourtant, il est le seul appuyé contre le mur, le seul à te regarder, te bouffer des yeux en patientant, dans la direction indiquée. Tes prunelles ne retournent pas sur lui – elles s'y précipitent malgré toi. Et tu le fixes, et tu te figes. Incapable de bouger et de penser pour quelques fractions qui te semblernt s'étirer à l'infini. Tu le fixes, attendant de voir l'illusion disparaître, de voir sa silhouette s'étioler comme de la fumée. Tu le fixes, presque sans respirer, jusqu'à ce que l'air menace de te manquer. Le sable a beau s'égréner dans le sablier, la flèche à poursuivre son inlassable course circulaire, tu le fixes et il subsiste. L'illusion résiste – le monde a beau se troubler, elle ne vacille pas. C'est ton imbécile de myocarde engourdi qui oscille, l'être en proie aux secousses destructrices d'un putain de séisme. Fuck.
Il est réel.
Il est réel, et vraiment là ; et ça te brûle et ça consume, ça fait étrangement mal. Ca brise des barrières, détruit le barrage qui retenait de justesse celle qu'il contient. Pourquoi maintenant alors que son fantôme commençait enfin à délaisser tes pensées ? Pourquoi s'assurer de s'exposer alors que c'était lui qui s'était barré comme un voleur au beau milieu de la nuit ? Un nouveau jeu, une nouvelle envie de te faire danser dans le creux de sa paume ? Prend-il cela pour une nouvelle partie ? Tu sais qu'il y avait du vrai dans ses paroles pourtant, dans sa manière de te chercher, dans les vérités à peine voilées par les murmures étouffés. Tu sais qu'il était tout aussi touché que toi, aussi détraqué par toi – mais cette réalité disparaît sous l'incompréhensible douleur qui te déboussole, se dissimule sous la rancoeur qui pulse en ton vermeil, tirant à sa suite ta colère de son trouble sommeil. Statuesque, tu n'as toujours pas esquissé de mouvement lorsqu'il finit d'un trait le restant de son cocktail si bleu, identique au tien, et l'azur de ses iris s'attarde, traîne encore une seconde sur toi pour t'entraîner dans son sillage, dans la vrille qu'il décrit en tournant les talons. Ce n'est que là, cet instant où la houle le happe et où il disparaît dans sa masse mouvante, que tu t'éveilles. Électrochoc qui te parcourt en un frémissement violent : autour du verre, les phalanges se font livides – dans le verre, c'est le liquide qui s'agite, tremble comme le sang dans tes veines, le sang dans leurs veines ; comme tes muscles et ta peau. La respiration fuit tes lèvres, lourde, saccadée. Irrégulière. Autour de toi, c'est une bulle d'un vide inconscient qui se crée, cœur d'une mer maintenant agressée par la tempête – l'oeil d'un cyclone antinomique puisque c'est de toi que partent toutes les rafales de ces vents tranchants. Et toi aussi, tu trembles. Tu trembles de colère, d'une fureur si crue qu'elle ne peut être contenue. D'un trait, tu descends ta boisson, insensible à la délicate brûlure de la vodka dans ta gorge – déjà le verre s'écrase au sol, brisé en un millier d'éclats. Déjà, tu fends la foule qui se presse machinalement hors de ton chemin, que tu pousses et transperces à chacun de tes pas. Tu le suis. Bien sûr que tu le suis, même si tu devrais plutôt lui balancer toute ton indifférence factice – elle, tant désirée, briguée, et qui pourtant est la seule chose à n'avoir jamais pu éclore entre vous : simuler n'a jamais été possible avec lui ; la vérité, cette méprisable connerie à laquelle tu n'as jamais cru, a toujours fini par vous rattraper. Tu ne sais pas vraiment ce que tu veux faire, en le poursuivant ainsi, ce que tu essayes de prouver, de lui montrer. Ce que ça dit sur toi. Pour une fois, tu ne réfléchis pas – la rage t'enveloppe et t’envahit, te drape dans une aura faite de vrilles violentes dont les mouvements suintent l'imprévisibilité. Tu agis à l'instinct. A la pulsion. Et l'impulsion que tu donnes à la porte qui l'a vu disparaître l'envoie frapper le mur carrelé en un claquement retentissant.
Il est là. A t'attendre, comme s'il t'avait quitté hier et non pas plus d'un an auparavant. Tu foudroies sans bouger – une fraction seulement. Les paupières se plissent dangereusement, la bouche se tord, fracture un masque qui déjà n'était plus. ''Stinson.'' S'il est le serpent, les accents sibilants qui containérisent les graves, le venin létal qui suinte à chaque son que tu produis laissent planer le doute en cet instant. Tout comme la rapidité avec laquelle ta main jaillit et agrippe son col, l'attire à toi et le relâche lorsque tes phalanges percutent sa pommette avec violence. Tu n'en as rien à foutre d'abîmer sa gueule d'ange – à moins que si, justement ; à moins que tu ne veuilles frapper encore et encore, jusqu'à ce que la peau se colore de bleus et de violets sanglants. Tu le heurtes encore, des paumes contre son torse, le repoussant brusquement contre le mur, assez brutalement pour entendre son crâne cogner le carrelage lorsque ton avant-bras se love contre sa gorge et que tu presses vivement, assez fort pour le bloquer et opprimer douloureusement sa trachée. Pas assez pour l'étrangler. Et ton corps se presse contre le sien, tes yeux se rivent aux siens en toute connaissance de cause – le voit-il, l'orage apocalyptique qui rage en tes prunelles?La sent-il, cette fureur pure, cette fièvre sourde qui te prend au cœur et consume ton corps ? Qui te fait vibrer, à l'image de ton sang comme du sien ; brûler celui de tous ceux qui osent s'approcher trop près de vous et de votre légende, de votre grandeur accablante ? ''I should fucking kill you.'' que tu grognes cette fois, le regard assassin, rictus tueur qui ourle les lèvres et dévoile la gueule pleine de crocs tranchants. Comme si tu le pouvais. Comme si tu en crevais d'envie alors que sa vue et la réalité concrète de son corps partout contre le tien te tire entre les deux extrêmes. Alors que sa chaleur et que son odeur te heurtent de plein fouet, avec une dimension bien plus violente que s'il t'avait lui aussi frappé. Et ça t'enrage encore davantage : tu le veux autant que tu lui en veux. Tu veux le baiser et le briser.