« Bonjour... Pasteur Reagan. Excusez-moi, pouvez-vous passer sous le portail ? » J'esquisse un sourire pendant que la personne en charge de la sécurité note mon nom. Les locaux où travaille l'équipe du « Bulletin » sont comme tant d'autres, protégés de la majorité des mutants, y compris ceux qui s'ignorent. Je passe sans aucune angoisse sous le portail et constate sans surprise que les lumières ne passent pas au rouge. J'attends que l'agent de sécurité me rende finalement ma carte d'identité que je remets dans mon portefeuille avec des gestes lents. Comment il peut savoir que je suis Pasteur ? Oh ça, je lui ai dit rapidement, ça les met en confiance. J'enfonce les mains dans mes poches et me dirige vers l'ascenseur d'un pas tranquille, veillant à ne pas croiser Karen qui sortirait un peu plus tôt que prévu.
Karen. Elle a simplement besoin qu'on lui ouvre les yeux sur la réalité des mutants aujourd'hui même si elle commence à apercevoir ce qu'il en est réellement. Leurs pouvoirs sans contrôle sont tout aussi dangereux que ceux qui les utilisent à mauvais escient, comme des armes qu'ils braquent sur les innocents avant de faire feu. Elle a du potentiel, parce qu'elle commence à comprendre que ce monde qu'elle connaît change et devient dangereux. Depuis quelques jours, je me dis que les choses doivent s'accélérer parce que, même si j'ai encore du mal à le réaliser, j'apporterai peut-être bientôt une pierre à la construction de ce nouveau monde.
Karen. Dans l'ascenseur, je joins les mains dans mon dos. Nous n'avons pas abordé avec Primrosae la suite concrète des événements à savoir sa grossesse : je ne vais pas vouloir qu'elle continue les missions, elle voudra forcément que rien ne change ; les conditions de son accouchement et... ce qu'il adviendra après. Ma décision à moi est déjà prise, et ce depuis cette nuit-là. Que je sois le père biologique ou pas de cet enfant (il y a une chance sur combien, que ce soit le cas ?), je suis parfaitement près à l'assumer et le protéger. J'ignore encore comment nous nous y prendrons, fort probable qu'il ne restera pas à New-York... Et s'il est mutant ? La question ne s'est pas clairement posée telle qu'elle, je n'y ai pas apporté de réponse non-plus mais je commence à croire que je n'aurai pas la force de lui enlever la vie dans le doute. Et s'il est en possession du gêne... Il ne souffrirait pas, ce serait rapide. Ce serait une délivrance mais... une personne de confiance devrait l'éloigner de nous. L'envoyer loin, sans que nous ne sachions jamais – Prim et moi, et les Watchers – ce qu'il est devenu.
Karen. Les portes qui s'ouvrent me font sursauter. Je fais un simple pas en avant, normalement elle devrait être ici... Après est-ce un rendez-vous hebdomadaire, a-t-elle un bureau ou... ? Peu importe. Il faut que je la voie, il faut que je la modèle, il faut que je la travaille un peu plus chaque semaine. Elle sera bientôt prête pour accomplir de vraies missions, pour aider à une cause juste. Les Watchers attendent Karen. Une question de temps... Je l'aperçois et lui fais simplement un signe de la main pour attirer son attention.
Le regard rivé sur son écran, l’esprit monté d’une haine grandissante de jour en jour, de crainte aussi peut-être, mais d’un désir de vengeance certain, Karen avait depuis peu commencé à chercher ne serait-ce qu’un semblant de réponses. Voilà plusieurs jours maintenant qu’elle avait refait apparition dans les rues de New-York et que Matthew l’avait retrouvée sur le perron de son immeuble à son retour de Fagan Corners. Elle avait une intention claire, retrouver l’assassin de son père et faire son deuil à sa manière, en réalisant quelconques actions, et finir par retrouver celui qu’elle cherche presque obsessionnellement à présent. Alors qu’on pourrait la croire travailler avec ferveur sur un nouvel article de presse, y mettant toute son énergie, il s’agissait en réalité d’une recherche pointue sur les mutants. Karen, elle, si passionnée par son nouveau travail, dérogeait déjà à ses nouvelles règles, de se tenir à des articles purement objectifs pour se faire sa réputation, et voilà qu’elle mettait encore une fois sa ferveur à contribution pour une histoire personnelle. Elle devait les connaître, Karen, savoir à qui elle aurait sans doute prochainement affaire. Car elle savait que le meurtrier de son père n’était pas un simple humain, que c’était l’une de ces choses contre laquelle l’opinion publique se soulève presque massivement. La jeune Page s’était pourtant promis de se tenir hors de cette histoire, il fallait croire que les douleurs de la vie s’employaient à remettre en question toutes ses promesses de tenir une vie normale.
Patiemment, elle attendait son rendez-vous. Cet homme de foi qu’elle avait rencontré il y a quelques temps, cet homme qui semblait la comprendre, qui écoutait ses craintes avec objectivité, celui avec qui elle n’avait pas forcément peur de donner son opinion sur les mutants, sans être jugée. Il n’y fallait pourtant pas s’y méprendre, Karen n’était pas une croyante, aucun membre de sa famille ne l’était, mais elle se rendait à l’évidence que ces hommes de foi savaient l’entendre, et c’est pour cette raison qu’elle se sentait proche du Pasteur Reagan. Ces réponses et éclairements qu’il avait pu apporter à l’époque, lui serait de nouveau utiles aujourd’hui, maintenant que sa vision a changé, que sa détermination à faire bouger les choses avait si considérablement grandi.
L'heure approchait. Afin d’accueillir plus promptement le Pasteur, la blonde se leva de son bureau, et approchait de sa porte pour l’ouvrir et se rendre visible, se doutant qu’il allait prendre l’ascenseur pour rejoindre son étage, bien plus pratique. Ses nombreux collègues qui passaient devant elle, le nez dans leurs papiers ne prirent même pas le temps de la considérer, ce qui n’était pas un drame en soit. Chacun devait réaliser le travail pour lequel il est assigné, et Karen n’en faisait pas exception pour autant. Sauf quand il s’agit de sa famille brisée … Et l’ascenseur en face de son bureau s’ouvrit alors, laissant découvrir monsieur Reagan qui semblait la chercher du regard, et qui lui fit un signe de la main une fois reconnue. Lui répondant à l’affirmative, Karen s’approcha tout de même pour le saluer : « bonjour monsieur reagan. comment allez-vous ? » Lui demanda t’elle d’une voix professionnelle, comme elle en l’avait l’habitude avec son travail. « je suis contente que vous soyez venu. je peux vous servir un café ? » Un peu de politesse au cours de cette visite de courtoisie dont elle attendait beaucoup d’éclaircissements, la journaliste préparait le terrain pour poser peut-être les futures bases de son plan, pour retrouver celui qui avait fait de ses racines, une source de douleur qui n’avait pas lieu d’être.
Parfois, je ne sais plus qui je suis sensé être, véritablement. Suis-je le Pasteur Reagan, Anarchy ou juste Jeremiah ? Ils n'arrivent plus à vivre, à survivre, tous ensemble. Parfois, je ne sais pas quel visage on attend de moi, ils sont tous tellement différents. Il n'y a qu'un lieu où je sais véritablement qui je dois être et un jour, je ne doute pas qu'il sera la victime de représailles. J'ai déjà fait mettre le feu à une Église moi-même, et pourtant Dieu seul sait combien je suis proche de chacune d'entre elle mais c'était un mal nécessaire. Est-ce que Karen comprendra ce concept ? Jadis, il y a bien longtemps, je ne l'aurais pas accepté non-plus et les expériences faisant, le temps passant, il a fallu prendre des mesures.
Je n'ai pas oublié mon serment, je n'ai pas oublié mes sermons, c'est juste qu'ils ne peuvent être entendus dans le chaos qui nous entoure. Je ne peux mettre en avant la miséricorde quand nous sommes tous voués à disparaître. Souvent, le diable a pris forme et visage humains alors il nous faut tous être vigilants. Ce n'est pas de la haine, la haine n'apporte rien de bon. Ce n'est pas de la haine, de la destruction des mutants viendra une ère nouvelle, dores et déjà pleine de promesses. L'avenir s'éclaircit au fur et à mesure que les créatures s'effondrent et même si leur résistance se montrera plus féroce et plus meurtrière, leur fin approchant, nous tiendrons bon. Les hommes et les femmes se sont rendus compte que l'heure n'est plus aux négociations, il n'est plus temps de vouloir les sauver et les aider, c'est terminé.
Et je montrerai la voie à suivre à Karen. Je ne profite pas de son deuil mais la violence de cette mort va contribuer à lui ouvrir les yeux. Quand elle aura commencé à défendre les idéaux qui me sont chers, quand elle aura commencé à réellement se battre pour la Vie, elle ne pourra plus jamais reculer. Elle ne le voudra plus. Les fous prétendent nous sauver, nous n'avons pas besoin d'être sauvés. Alors qu'elle s'approche de moi, je l'observe avec cet œil nouveau, hâte de la voir enfin se battre à nos côtés. « Bonjour monsieur Reagan. comment allez-vous ? » Je hoche de la tête puis prends sa main dans la mienne brièvement, juste le temps de lui répondre : « Ça va, je vous remercie. Et vous ? Comment vous sentez-vous ? » J'attends tout de même avant de lui demander si elle a des nouvelles de l'enquête, ne souhaitant pas manquer aux règles de la politesse.
Elle me propose un café, voilà une bonne idée. Je hoche de la tête et accepte avec plaisir. Je la suis jusqu'à une machine à cafés où se trouvent quelques personnes en train de bavarder sans réellement nous prêter attention. Une fois la boisson servie, je l'entoure de mes mains et décide à poser la fatidique question : « Alors Madame Page, puis-je vous demander s'il y a du nouveau dans l'enquête du meurtre sauvage de votre père ? » Je laisse planer un silence long de quelques instants, puis reprenant sur le même ton : « ou sont-ils trop occupés à protéger les mutants du district X ? »
Aucune ironie dans ma question, aussi lourde en sous-entendus soit-elle. Je penche la tête vers elle. La lenteur de ce qui aurait dû une enquête prioritaire, au moins à cause de son caractère violent et inhumain, m'énerve véritablement. Et sans indices qu'ils pourront recueillir, nous ne pouvons pas deviner ce qui s'est exactement passé. Je peux avoir accès à ces informations, aussi faut-il qu'ils se bougent un peu les fesses, ces traîtres...