New-York. Un jour normal. Une après-midi calme. Le soleil brille. Les gens sont pressés. Ils marchent vers un point inconnu. Ils vaquent à leurs occupations. Et là, au milieu de la foule, il y a trois hommes arrêtés. Deux personnes en uniforme. La troisième en tenue de civil. Un rapport de supériorité et d’autorité. L’un obéit et attend sagement pendant que les deux autres contrôlent, inspectent, interrogent. Il n’y a pas eu d’attentats depuis quelques semaines. On pourrait presque oublier ce qu’il s’est passé. Les centaines de morts et de blessés. On pourrait presque oublier les agissements de certains groupes mal-intentionnés. Mais ce que l’on n’oublie pas, ce sont les mutants. Le danger qu’ils représentent. Les problèmes qu’ils peuvent provoquer. Les attentats dont ils ont été responsables. Ils sont une menace pour certains. “Robert Louis Drake. Cryokinésiste. Recensé. Tout est en ordre. Vous pouvez y aller, monsieur.” La MRA Card est restituée à son propriétaire. Il hoche la tête. Il esquisse un sourire poli. Il range la carte. Foutue carte. Il aimerait qu’elle n’existe pas. Il aimerait qu’elle ne soit qu’un vulgaire cauchemar. Pourtant, elle est bien réelle lorsqu’il la frôle. Elle est bien réelle lorsqu’on la lui demande, en pleine rue. Aussi réelle que la peur de la majorité de la population. “Merci, bonne journée.” Il a fait un choix. Il s’est recensé. Il a accepté de se soumettre au gouvernement. Pour prouver que les mutants ne sont pas mauvais. Pour prouver qu’ils sont des citoyens concernés par la sécurité, comme tous les autres. Pour prouver que les gens ne risquent rien. Il a choisi de se recenser quand des centaines de mutants ont fait le contraire. Ne pas se recenser. Vivre dans la clandestinité. Fuir toute leur vie. S’opposer et s’organiser contre le gouvernement. Les hauts-placés ne se doutent pas des conséquences du Registration Act. Ils s’en rendront bien assez tôt. Ce sont ces conséquences qui inquiètent Bobby. La majorité des gamins de l’Académie ont suivi le mouvement. Ils ont préféré rejoindre la Confrérie. La seule solution qui semblait leur offrir un minimum de sécurité. Sauf qu’ils n’ont pas pris en compte qu’ils devront tuer. Tuer. Encore et encore. Ils sont trop jeunes pour se rappeler d’Alcatraz. Ils sont trop immatures pour s’imaginer devoir arracher des vies. Ils sont trop hautains pour s'imaginer qu’ils pourront retirer la vie à quelqu’un. Les choses seront différentes quand ils seront sur le terrain. Quand ils devront se battre contre les X-Men, ces personnes qui leur ont tout appris. Tous ces départs ont aussi soulevé un fait : le manque de loyauté. La X-Mansion leur a ouvert ses portes, sans regarder, sans compter, sans s’interroger. L’Institut a été là pour les aider, les rassurer, les loger, les nourrir, les éduquer. Malgré tout ce soutien, il y a eu un défaut. Un manque d’écoute, peut-être. Une manque de sécurité, peut-être. Les gamins ont senti une carence dans le système de l’école et ils sont tous partis, à la première difficulté.
Il s’en est longtemps voulu. Il est le psychologue. Il doit être le premier à écouter. Le premier à conseiller. Le premier à aider. Son rôle est important. Son rôle est primordial. Il est censé les prendre par la main, les emmener vers l’acceptation de soi, leur montrer comment faire le bien autour d’eux. Il est X-Man, aussi. Montrer l’exemple aux futures générations est essentiel. Oui, il s’en est voulu pendant des semaines. Maintenant, la culpabilité a disparu. Elle a laissé la place à la résignation. Il ne peut rien faire. Les gamins sont issus d’une autre génération. De celle qui a besoin d’indépendance, de violence et de rébellion. Ils ont besoin de s’opposer pour vivre. Ils ont besoin de faire des erreurs pour comprendre. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne reviennent. En espérant que ce ne soit pas trop tard. En espérant qu’ils ouvrent les yeux rapidement. En attendant, Bobby s’assure que les mutants qui restent n’ont pas peur. Ils ne seront pas abandonnés. Ils ne seront pas critiqués. La X-Mansion sera toujours là pour eux. Que ce soit dans ce grand manoir ou ailleurs. Peu importe. Il y aura toujours un endroit pour les accueillir et leur offrir leur protection. Il observe les deux agents de l’Human Protect s’éloigner. Tant qu’il y aura des gens comme eux pour contrôler et chasser les mutants, les jeunes ne se sentiront pas acceptés. Ils continueront à détester leur pays. Ils continueront à vouloir le détruire et à tuer tout le monde. Il expire. Il n’est pas venu à New-York pour se faire contrôler. Il est missionné par Snow pour réaliser une course. Elle, qui a fait le choix de ne pas se recenser, se retrouve à l’envoyer pour faire les magasins. Privée de la liberté de se promener. Lorsqu’il sort du magasin, il prend la direction du starbucks le plus proche. Une commande de café et de cookie plus tard, le voilà assis à une des tables. Prendre du temps pour soi, c’est ce qu’on n’a pas arrêté de lui dire ces derniers temps. Ils s’y sont tous mis. Il essaye. Ce détour en est la preuve. Plutôt que de faire l’aller-retour directement, il s’autorise une pause. Il s’autorise un moment rien que pour lui. Même s’il y a plus fou qu’un cookie et un café. Il se perd dans la contemplation de la vie extérieure. La circulation ne s’arrête jamais. De jour comme de nuit. Sur la route comme sur le trottoir. Les gens ne savent pas s’arrêter. Toujours bouger. Toujours s’occuper. Ils ont peur de l’ennui. Il s’arrache à la contemplation des passants lorsqu’il voit une silhouette passer à côté de sa table. Il redresse la tête, juste à temps pour voir une serviette en papier tomber. “Excusez-moi, vous avez fait tomber votre serviette.” Il se penche pour récupérer l’objet. Il le tend à la jeune femme. Il s’autorise un regard sur sa table. Il pointe du doigt la pâtisserie qu’elle a choisie. “Très bon choix ! Il paraît que les brownies sont aussi excellents.” Le voilà qu’il fait la conversation à une parfaite inconnue. Mais il semblerait qu’il ait envie de discuter. Bizarrement, cette femme lui ait sympathique. Il ne se l’explique pas. Simplement un ressenti. Simplement une impression. Et au pire, qu’est-ce qu’il risque ? Un regard méfiant. Un dos tourné. Une moue dédaigneuse. Il ne va pas en mourir. Il se contentera de rester dans son coin. Il s'intéressera à son propre gobelet et à son cookie.
Suddenly, the past collides you and you don't know why ...
Silence. Paupières closes. Je respire profondément, calme et sereine. Je me sens légère, flottant dans les entrailles de mes pensées, je sens sa présence, aussi brillante qu'un éclat de soleil brûlant dans mon esprit. Nous communiquons, nous nous apprenons, des images s'imposent à moi. Il me parle, non il me montre. Encore une fois. Sa flamme, son souffle, son existence, son essence, sa raison d'être. J'ai besoin de le comprendre, de me rappeler pourquoi nous sommes là, ici, aujourd'hui. Je le vois déployer ses ailes enflammés, la beauté de son être pur. Nous avions déjà communiquer ainsi, mais me rappeler m'aide à ne pas sombrer dans la culpabilité. L'image se brouille, les souvenirs s'imposent malgré moi. Alcali Lake, Alcatraz, Charles, Logan, non, stop. Je ne suis pas encore prête, je ressens toujours les morts causées. Je rouvre les yeux avant de dériver. Tout ceci est encore trop frais. J'observe la chambre devant moi, constate son manque de vie, de chaleur, à l'exception de quelques traces roussis sur le lit, conséquence de ma dérive. J'ai besoin de plus de temps. Elias n'est pas là pour me rattraper, et même si c'était le cas, pouvais-je lui faire encore confiance ? Je me souviens de ces mots, durs, froids, insensibles. Ces promesses sombres quand à ce qu'il ferait dans le cas où je sombre à nouveau. Aucune pitié, mais avait-il tort ? Nous représentions un danger pour l'Humanité tant que nous n'étions pas en symbiose parfaite avec l'Oiseau. Plus de temps, peut être n'aurais-je pas du revenir si vite, mais avais-je véritablement le choix ? Aurais-je pu vivre éloignée en étant consciente du contexte chaotique dans lequel vivait mes anciens amis, mon ancien patrie ? L'invasion extra terrestre, cette histoire de recensement, les attentats, trop de choses qui ne pouvaient me laisser indifférente. Elias ne comprenait pas, il s'en foutait, seule son "job" importait. Aurais-je du m'attendre à autre chose de sa part après tout ? Nous avions passé un an à voyager , à s’entraîner ensemble, mais est-ce que ça pouvait suffire à instaurer ne serait-ce que les bases d'une relation de confiance amicale. Ami... Non, j'en doute, un ami ne serait pas prêt à m'expédier dans une autre dimension au moindre problème. Il hésiterait un peu avant, n'est-ce pas ? C'était peut être mieux ainsi au final. Je n'avais peut être pas besoin d'un ami, mais d'un garant de ma "stabilité". Pour autant, son absence me fait une drôle de sensation, voir deux. Un sentiment de liberté paradoxal à un manque de relationnel. Je suis seule aujourd'hui, seule à m'assumer dans cette ville immense, si proche et pourtant si loin de celle que je fus.
Je chasse rapidement cet amas de questions existentielles et me relève rapidement, songeant à ce que je pourrais bien faire pour me changer les idées. Un peu d'air frais me ferait du bien, et l'après midi ensoleillé me donne envie d'une petite balade au coeur de la Grande Pomme. Je prend mon sac et sors du motel, me dirigeant vers l'île de Manhattan. Voir d'autres visages, ne serait-ce que dans un court instant, fugace, appaisait un peu mon sentiment de solitude. Au gré de mes pas, je voyais ces passants, ces vies, ces paysages de verres et d'acier, abreuvant mon regard de toutes leurs différences. Pourtant je déchante bien vite lorsque je vois les quelques patrouilles arrêter des gens au hasard. Instinctivement, je projette mon esprit pour savoir ce qu'ils recherchaient. Ils contrôlent, ils vérifient le recensement. Je les évite, me rendant invisible à leurs yeux au milieu de la foule et rentre dans un Starbucks à coté. Il faut que je calme les battements de mon coeur bien trop agité en comparaison de mon visage serein. Qui sait, quelqu'un pourrait le capter ? Je commande rapidement un café et en profite pour m'offrir une gourmandise, un brownie. Les cafés d'ici étaient beaucoup plus légers que ceux que j'avais pu boire ailleurs. Nous étions connus pour ça, nous les américains, pour le "jus de chaussette" comme certains européens aimaient à le surnommer. Je prend mon plateau et part m’asseoir à une table lorsqu'une voix tout prèt m'interpelle. "Excusez-moi, vous avez fait tomber votre serviette." Je baisse le regard en arrière, songeant à cette voix légèrement familière et constate qu'en effet, la serviette de mon plateau était tombé et entrain d'être ramasser par un homme penché au dessus. Mais lorsqu'il me tend mon petit objet futile perdu, je manque d'air. Ce visage, je le connais que trop bien, hasard foireux qui me fait le retrouver ici, devant moi, la table adjacente à la mienne. "Très bon choix ! Il paraît que les brownies sont aussi excellents." Je retiens quelques tremblements, je cherche les mots, mais ils ne veulent pas sortir. Je manque d'air, que faire, le passé me frappe en plein visage comme pour me rappeler que rien n'est terminé. Ce garçon, cet homme aujourd'hui, je l'avais connu à ces débuts, j'avais combattu à ces cotés à ces débuts d'X-men. Bobby, Icerberg, devant moi, comme une nouvelle épreuve à affronter. Je n'ai toujours pas répondu, le fixant avec ce regard surpris. il faut que je me reprenne, garder la face. "Oh heu je vais vite le savoir" répondis-je avec un demi sourire génée. Je dois calmer les battements de mon coeur et cette panique qui me serrait à la gorge. Se reprendre, vite. "Excusez moi, je ... vous me rappelez quelqu'un que je n'avais pas vu depuis très longtemps ..." Je prend une gorgée de café, sa chaleur me réconforte, me rappelant à la réalité. Il ne sait pas, il ne peut pas savoir, nouveau visage, nouvelle vie, nouveau commencement. C'est peut être une occasion à saisir d'avoir des nouvelles du passé. "Vous avez l'air connaisseur de la qualité de leurs pâtisseries. Vous venez souvent ici ?" la conversation était engagée, il n'y avait plus qu'à poursuivre sans flancher. Une simple discussion entre deux inconnus qui se rencontrent, ce n'était pas la première fois que je jouais ce rôle, je pouvais le refaire. "Je m'appelle Lilandra, et vous ?" Je lui tendais la main, un sourire plus assuré sur mon visage. Qui sait ce que cette rencontre avec mon passé donnerait ?
La serviette est ramassée. Elle est tendue à la jeune femme. Cette dernière ne doit pas avoir plus de trente ans. Elle pourrait avoir le même âge que Bobby ou celui de Snow. Elle a le genre de visage qu’il est impossible de dater. Impossible de donner un âge. Impossible de savoir si elle est plus vieille ou pas. Elle pourrait avoir cinquante ans qu’elle ne les paraîtrait pas. Et là, il n’est pas question de chirurgie esthétique. Seulement de génétique généreuse. Il lui adresse un sourire, alors qu’elle semble surprise ou méfiante. Il ne saurait dire exactement. En tout cas, il y a quelque chose qui ne va pas. Quelque chose dans ce qu’il a fait. Quelque chose dans ce qu’il a dit. Il a pourtant été poli et serviable. Il a pourtant été respectueux. Son comportement n’a rien de préoccupant. Mais il vit tellement à l’écart de tout, à la X-Mansion, qu’il pourrait avoir fait une erreur. Peut-être que dans le monde d’aujourd’hui, on ne ramasse plus une serviette. Peut-être qu’on laisse chacun dans sa merde. Peut-être. Ce n’est pas le monde dans lequel il souhaite continuer à vivre. Il essaye d’attirer l’attention sur autre chose. Le brownie qu’elle a sur sa table. Un truc banal pour lui permettre de se rattraper, de se raccrocher, de ne pas s’effrayer. Il ne lui veut pas de mal. Il ne veut pas l’embêter. Seulement lui être utile. Seulement être poli. Elle semble reprendre un peu le dessus. Même si son expression montre toutes les émotions qu’elle ressent. Il ne peut s’empêcher de se demander si elle va bien. Si elle n’est pas à deux doigts de s’évanouir. Si elle ne souffre pas d’un quelconque malaise. Elle semble tellement sonnée, tellement désarmée. Mais elle finit par se remettre en marche. Par reprendre contenance. Soulagement chez le X-Man. Il n’aurait pas voulu être responsable d’un malaise chez cette jeune femme. Il n’aurait pas voulu qu’elle ait des problèmes. Parce que cela semble récurrent avec lui. Ces derniers temps, à chaque fois qu’il sort, il lui arrive des aventures dont il se passerait bien. “Oh heu je vais vite le savoir.” Malgré son sourire, il y a toujours quelque chose qui la gêne. Il le voit. Il n’est personne pour l’embêter et lui poser des questions. Il ne peut pas s’attendre à ce qu’elle se confie à lui, alors qu’ils ne se connaissent pas. Même s’il peut jouer la carte du psychologue. Ce n’est pas le but. Et pourtant, il ne peut pas partir sans s’assurer qu’elle va bien. Prendre du temps pour soi, hein. L’idée semble impossible, même en dehors de l’Institut.
Il ne la lâche pas du regard. Il épie chaque mouvement de son visage. Il observe chaque geste. Il a besoin de savoir si elle va bien. Instinctivement. “Excusez moi, je ... vous me rappelez quelqu'un que je n'avais pas vu depuis très longtemps …” C’est donc ça. Le retour d’un visage familier. Les retrouvailles avec un fantôme du passé. Il hoche la tête. Ce sont des choses qui arrivent. Il se détend légèrement. Il se permet même de grignoter un bout de son cookie. Il peut facilement imaginer ce qu’elle doit ressentir. Il a vécu la même chose avec Jane, il y a quelques semaines. A ceci près qu’elle était bien une relique du passé. Elle était bien une amie. Amie censée être décédée à Alcatraz. “J’espère que c’est quelqu’un de bien.” Il l’espère. Emma, ou Jane, était une bonne personne du temps de la X-Mansion. Jusqu’à ce qu’elle devienne une autre personne. Plutôt, deux autres personnes. Une meurtrière au sang-froid remarquable. Une citoyenne lambda qui mène sa vie normalement. Alors oui, il espère de tout coeur lui rappeler une personne qui a fait le bien autour de lui. Néanmoins, à son expression, il a l’étrange sensation que ce n’est pas le cas. Que c’est tout le contraire. “Vous avez l'air connaisseur de la qualité de leurs pâtisseries. Vous venez souvent ici ?” Il éclate de rire. Fin connaisseur ? Pas du tout. Il en est loin. Il ne fait que répéter ce qu’il a entendu ici ou là, dans la rue, dans les couloirs de l’école ou dans la file d’attente du Starbucks. Ce doit être la troisième fois qu’il se pose dans ce café. Autant dire qu’il n’a rien d’un guide gastronomique. “Pas du tout ! Je travaille dans une école et tous les gamins en parlent. C’est leur point de chute quand ils sortent. A force de les entendre débattre sur l’espresso ou le chocolat à boire, je suis capable de vous conseiller les yeux fermés !” Le mensonge n’est pas loin de la vérité. Les sorties à New-York sont devenues tellement rares que certains gamins décident avant l’heure de ce qu’ils vont boire. Le Starbucks est devenu un rendez-vous attendu par les jeunes. Ensuite, ils peuvent se promener fièrement avec leur gobelet dans la main. Il a déjà surpris quelques conversations où les pensionnaires hésitaient et débattaient. Au moins, ils ont encore cette insouciance. Ils arrivent à oublier les soucis qui les attendent.
“Je m'appelle Lilandra, et vous ?” Il serre la main qu’elle lui tend. Lilandra. Un joli prénom. Elle paraît plus à l’aise. Elle a repris le dessus. Elle a réussi à passer au-dessus de son souvenir (bon ou mauvais). C’est une bonne chose. Il ne sera peut-être pas obligé de lui offrir une séance sous couvert d’une conversation banale entre deux clients. Là où des gens se ficheraient de savoir comment elle va, Bobby ne peut retenir l’inquiétude. Il est fait ainsi. Il a grandi en se souciant des autres. Il a appris à regarder plus loin que le bout de son nez. S’il en est venu à devenir psychologue, ce n’est pas par hasard. “Enchanté ! Moi, c’est Bobby.” Il esquisse un sourire. Les deux mains se séparent. Même en dehors de l’école, il persiste à se faire appeler par ce diminutif. Tellement plus simple et joli que Robert. Ce prénom pourrait être considéré comme vintage par ceux qui suivent la tendance. Sauf que vintage ne veut pas dire à son goût. Il est davantage habitué au Bobby qu’au Robert, ou même à Monsieur Drake. Comment prendre un coup de vieux en trois secondes. Il hésite un instant. Il ne sait pas où cette conversation va les mener, mais elle est déjà lancée. Alors, ils ne peuvent pas s’arrêter aux simples présentations. Il pointe sa table du bout du doigt. “Vous permettez… ? Ce sera plus facile pour discuter et vous pourrez me donner votre avis sur ce brownie. Et si je deviens trop intrusif, n’hésitez pas à me le dire.” Parce que c’est sa hantise, de la faire fuir. Discuter avec un inconnu n’est pas habituel. Lui raconter sa vie l’est encore moins. Il ne voudrait pas qu’elle se sente obligée. Il ne voudrait pas qu’elle soit mal à l’aise. Déjà qu’elle a eu l’air de s’évanouir quand elle l’a vu.
Suddenly, the past collides you and you don't know why ...
Le hasard, cette magnifique notion nous confrontant à des situations parfois agréables, parfois périlleuses, et parfois même les deux en même temps. Je restais encore sonnée de ce brusque flash du passé qui me faisait la conversation, ignorant de la situation étrange dans laquelle nous étions. Fut une époque, il était l'élève, moi le professeur. Fut une époque, tout semblait cohérent, simple et sans obstacle, si ce n'est ceux que nous imposait la société. Mais tellement de temps avait passé depuis, tellement d’événements, de combats, de ... morts. Dont la mienne. Qui aurait cru que je reviendrai un jour sous les traits d'une inconnue, arpentant le monde accompagnée de la même entité qui avait faillit la détruire. Pas moi. Je n'aurai jamais songé que la mort n'était pas éternelle, et que son baiser ne rivaliserait pas avec les talents de l'Oiseau. Et je n'aurai jamais imaginé retombé aussi vite devant un visage témoin de la vie de celle qui fut Jean Grey. "J’espère que c’est quelqu’un de bien." Cette réplique me fait sourire. Bobby avait toujours été dans mon souvenir quelqu'un de bien, fondamentalement, même si nous n'avons pas vraiment été très proche. Comme je le soulignais, lui élève, moi professeur. Mais qu'en était-il aujourd'hui ? Il avait l'air à l'aise, ses traits peu marqué par le temps, mais son regard était plus observateur, comme s'il cherchait des réponses dans le moindre de mes faits et gestes. Peut-être devrais-je faire attention ? "Sans aucun doute" répondis-je à demi-mot à sa remarque. Il éclate alors de rire à mon questionnement sur les fameux brownies. Apparemment, ma remarque devait lui paraître drôle, mais je me doutais qu'il éclaircirait bientôt la raison de son amusement. "Pas du tout ! Je travaille dans une école et tous les gamins en parlent. C’est leur point de chute quand ils sortent. A force de les entendre débattre sur l’espresso ou le chocolat à boire, je suis capable de vous conseiller les yeux fermés !" Il ne précisait pas, il parlait d'école, mais une simple école n'aurait pas d'écoliers amateur d’expresso... Je ne pensais guère me tromper en imaginant qu'il faisait toujours partit de l'Institut, peut être en tant que professeur ? Mais rien que de songer que l'oeuvre de Xavier était toujours debout, envers et contre tout ce contexte chaotique, me mettait du baume au coeur... Dire que j'aurais pu détruire cette oeuvre en détruisant ... Non. Pas plus loin, concentrons nous sur Bobby.
"Enchanté ! Moi, c’est Bobby." J'avais envie de faire écho à son sourire lorsque je l'entendais user de ce patronyme. Ce n'était pas son véritable prénom, j'en avais conscience, mais depuis toujours c'était ainsi qu'il se présentait, ainsi qu'il se faisait appeler. Cela me rappelait ses débuts, l'apprentissage de son don, son amitié avec John aka Pyro, sa rencontre avec Malicia.. Je sais ce qu'il est advenu de la relation entre Pyro et Iceberg, deux idéaux opposés, qui s'étaient confrontés à Alcatraz... Même reléguée au second plan à l'intérieur de mon propre corps, j'avais pu observer la fin irrémédiable de ce qui les avait unis à une époque. A croire que le Feu et la Glace étaient prédestinés à s'entrechoquer un jour ou l'autre. Mais qu'en était-il de Malicia ? Leur relation m'avait toujours parue, certes compliquée mais équilibrée, touchante... Lui l'avait incité à s'ouvrir aux autres, et elle l'avait rendu plus fort, plus déterminé, du moins dans mon souvenir. Tout un flot de questions me brûlait les lèvres, j'aurais tellement voulu qu'il me raconte ces cinq années perdues ... Mais je ne le pouvais pas, je devais conserver ce masque qui protégeait le monde de l'horreur que je représentais,de l'Entité Cosmique qui faisait partie de moi, du sang que nous avions versé. J'avais tellement besoin de me racheter, aux yeux du monde et face à ma propre conscience que j'étais revenue ici, sans un plan, sans ne serait-ce qu'une simple idée de ce que je ferai ensuite. Parfois, je me disais qu'il aurait mieux valu que j'écoute Elias, que je reste loin de tout ça, de tous ces souvenirs... Mais je ne pouvais pas m'y résoudre, j'avais véritablement besoin d'être présente ici, aussi douloureux soit-il, dans le cas où un jour peut être, je rachèterai mes fautes...
"Vous permettez… ? Ce sera plus facile pour discuter et vous pourrez me donner votre avis sur ce brownie. Et si je deviens trop intrusif, n’hésitez pas à me le dire." J'avais à peine remarqué son hésitation avant de prendre la parole tout en désignant ma table et je ne savais trop quoi lui répondre. Nous étions déjà entrain de discuter, que pouvais-je risquer ? "Je vous en prie" lui répondis-je avec un geste d'invitation de la main. Au point où on en était, autant continuer la conversation à coté plutôt que d'une table à une autre. Je songeais malgré moi à l'utilisation du terme intrusif, amusant que ce soit lui qui l'emploie car dans le domaine de l'intrusion, je pouvais être reine en tant que télépathe. "Et ne vous inquiétez pas, je saurai mettre les barrières nécessaires si je me sens un peu trop envahie, c'est une chose dans laquelle j'excelle." Je lui avais répondu avec un sourire chaleureux et un regard amical, signe que je plaisantais... enfin plus ou moins. Je repris une gorgée de mon café, savourant sa légère amertume aux arômes fruités, avant de goûter le fameux brownie, pâtisserie qui m'arracha un sourire de satisfaction. "On ne vous avait pas menti, ce brownie est délicieux." je reposai doucement le gâteau sur le plateau et tourna mon regard vers mon interlocuteur. Puisque la conversation était lancée, il était peut être temps de me renseigner sur l'homme de glace en face de moi. Mais ceci, tout en finesse, bien évidemment... "Alors ... Bobby ... vous m'avez dit travailler dans une école ? Avec le contexte actuel, ce n'est pas un travail facile tous les jours, je suppose ? " Je jouais un jeu dangereux et j'en avais pleinement conscience. Pourtant, la curiosité me libérait partiellement des chaînes de l'appréhension. Bien que représentant un passé chaotique et douloureux, semblant si lointain et pourtant si proche, la vie à l'Institut, ces histoires, ces rires, ces larmes, ces choix, ces combats pour une bonne cause... tout cela m'arrachait une pointe de nostalgie. L'on m'aurait proposé de revenir en arrière, qu'importe les conditions, j'aurais sans doute accepté. Nous étions une famille en ce temps là, avec leurs querelles et leurs problèmes, mais toujours unie. Et il me tardait d'en apprendre d'avantage sur ce qu'ils étaient devenus, chacun d'entre eux. Alors oui, je jouais un jeu qui pourrait m'emmener sur des pentes des plus glissantes, mais en mon fort intérieur, j'étais prête à aller jusqu'au bout pour cela. Au final, on dirait que c'était moi qui pouvait me montrer intrusive...
Qui aurait cru qu’une conversation anodine avec une inconnue pouvait faire autant de bien ? Pour une fois, il ne parle pas avec des collègues ou des étudiants. Pour une fois, il n’est pas question de problèmes personnels, d’acceptation de soi ou de conflits avec une autre personne. Là, c’est une conversation entre adultes, autour d’un café, dans un lieu public. La chose la plus simple et la plus normale possible. Et bon sang, ça fait du bien. Il sort enfin de son rôle de psychologue, de son statut de X-Man. Il devient Bobby Drake. Un adulte parmi tant d’autres. Un client d’un établissement. Back to normal. Il n’avait pas ressenti cette sensation depuis longtemps. Depuis une éternité, en fait. Il faut dire que les sorties en dehors de l’Institut sont rares. Elles le sont encore plus quand il part seul. Quand cela arrive, il rend visite à ses parents. Et évidemment, le comportement des autres n’a rien de normal. Entre le regard méfiant des voisins qui se rappellent qu’il est un mutant et les conversations parentales où le mot "mutant est tabou, ses visites n’ont rien de légères. “Je vous en prie…” Il ramène toutes ses affaires, gobelet et cookie, sur la table de sa voisine. Il s’installe en face d’elle. C’est quand même plus simple et convivial, ainsi. “Et ne vous inquiétez pas, je saurai mettre les barrières nécessaires si je me sens un peu trop envahie, c'est une chose dans laquelle j'excelle.” Il n’en doute pas. Si ses traits paraissent doux, il imagine sans mal le fort caractère qui se cache derrière. Elle n’est pas du genre à se laisser faire ou à attendre que les gens décident pour elle. Une sorte de force et de puissance émanent d’elle. Sûrement à cause de son travail. Elle doit être dans le management ou peut-être dans la communication. Un métier qui demande du contrôle, du caractère et de la détermination. Le silence se réinstalle. Le temps pour les deux interlocuteurs de manger leur gâteau. “On ne vous avait pas menti, ce brownie est délicieux.” Il esquisse un sourire. Merveilleux. Il portera peut-être son choix sur les cookies, la prochaine fois qu’il viendra. Même s’il est incapable de dire quand il reviendra. Il pose un regard sur l’assiette de la jeune femme. C’est vrai qu’il a l’air délicieux, ce brownie. Bien meilleur que son cookie, même. Vous croyez qu’elle accepterait d’échanger ? Quelques heures en dehors de l’Institut et le voilà qui se transforme en troqueur de gâteaux !
“Alors ... Bobby ... vous m'avez dit travailler dans une école ? Avec le contexte actuel, ce n'est pas un travail facile tous les jours, je suppose ?” Avec un sujet pareil, les difficultés apparaissent. Il ne peut pas répondre naturellement. Il ne peut pas lui offrir toute la vérité sur un plateau. L’Institut Xavier doit garder ses secrets. Il ne doit pas être connu du commun des mortels. Sinon, il n’ose pas imaginer ce qu’il pourrait se passer. Une attaque des Watchers semble le plus probable. Ils se feraient un plaisir de disséminer les jeunes mutants et de semer la terreur, au coeur d’un lieu censé apporter sécurité et protection. Parler de la situation au manoir à une inconnue est dangereux. Elle pourrait être n’importe qui. Elle pourrait avoir des pouvoirs. Elle pourrait avoir de mauvaises intentions. La vigilance est de mise. “La situation est assez compliquée… les gamins étaient présents lors de l'attentat au centre commercial et puis, il y a eu des échanges houleux entre les pour et les contre le Registration Acts. Ces désaccords ont été tels qu’on a assisté à une vague de départs, mais on continue de travailler pour ceux qui restent. On doit continuer à leur apprendre tout ce que l’on sait et leur offrir la meilleure société qui soit.” Il a le sentiment de parler avec des énigmes, de s’embrouiller dans ses explications, de ne pas être assez clair. Il ne peut pas être plus explicite. Sinon quoi, il devrait expliquer à Lilandra quelle type d’école il s’agit. Il devrait évoquer la Confrérie, les X-Men. Trop de détails qui pourraient nuire à leur sécurité. “Dans mon école, on essaye de prôner la cohabitation, mais visiblement, on n’est pas parvenu à transmettre cette valeur. Les élèves sont allés chercher une école qui leur correspond mieux et qui leur donne les moyens d’aller au bout de leurs idées.” Et c’est bien ça, le problème. Les gamins, déloyaux et infidèles, n’ont pas hésité à suivre la Confrérie. Leur promesse de bain de sang. Leur promesse de domination. Leur promesse d’une société dont ils seront les maîtres. Les jeunes ont suivi le mouvement. Ils n’ont pas cherché une seule seconde à se faire accepter. Ils ont sauté sur la possibilité d’imposer leurs règles. Le comportement le plus primitif qui soit.
Il a encore du mal à accepter cette désertion. Des personnalités importantes sont parties. Tournant le dos à l’Institut qui leur avait ouvert ses portes et qui les avaient hébergés pendant des années. Être contre le recensement n’est pas une raison pour partir. Ça ne le sera jamais. Le Professeur aurait accepté de les protéger, de veiller sur eux. Comme il l’a toujours fait depuis des années. Ils n’avaient pas besoin de partir. Ils n’avaient pas besoin de grossir les rangs de la Confrérie. “Est-ce que vous êtes concernée par le recensement ?” De près comme de loin, ils le sont tous. Mutant ou pas. Simple humain ou pas. Ils doivent se forger une opinion et la défendre. Ils doivent se faire une idée du bien-fondé ou du mal-fondé de cette mesure du gouvernement. Il a choisi de se recenser. Il a choisi de coopérer. Quels que soient les risques. Quelles que soient les conséquences. Beaucoup ont dit que ce serait dangereux, que ce serait le début d’une traque mutante. Pour l’instant, ils n’ont rien vu venir. Bobby vit toujours normalement. Sans contraintes. Si ce n’est présenter sa carte de recensé lorsqu’on la lui demande. Mis à part ça, il est libre. Libre d’aller où il le souhaite. Libre de sortir. Libre de se promener. Libre de tout. Alors que les non-recensés doivent se cacher, vivre reclus chez eux. Vivre dans la peur d’être contrôlé, un jour. Ce n’est pas une vie.
Suddenly, the past collides you and you don't know why ...
Qu'importe ce que l'on peut connaître dans une vie entière, il y a toujours moyen pour elle à nous surprendre. Parfois à nous engourdir des sensations les plus plaisantes, d'autres fois à éprouver notre capacité à nous adapter à ces aléas. Comment s’adapter à sa propre mort ? Comment réagir face au contrôle d'un être bien supérieur à notre propre personne ? Comment vivre parmi ceux dont on avait faillit être l'assassin ? Tant de possibilités, aussi risquées qu’intrigantes, s'offraient à une personne comme moi avec les événements dont ma vie a été jonché. Et encore une fois, je me devais d'avoir le bon comportement face à la pièce qui venait d'être placée sur ma route. Bien malgré moi, j'étais à ce moment dans l'inconnu le plus obscur quand à la bonne réaction à avoir face à ce visage du passé. Je regardais Bobby comme si nous venions à peine de nous rencontrer, et je refoulais les souvenirs qui s'acharnaient à vouloir refaire surface. Le contrôle de soi était la clé de la maîtrise de sa vie. "N'en sois pas l'instrument" me disait Charles au sujet de mes dons, ou bien avait-il compris que je n'étais pas seule dans mon propre corps ? Toujours est-il que cette leçon flottait constamment comme une rengaine dans mon esprit, n'ayant réussi à l'apprendre que tardivement.
Ma question semblait l'avoir contrarié, ou du moins mis en difficulté. Non pas que cela ne se lise sur son visage, mais je pouvais presque sentir le trouble et l'inquiétude latente comme une sensation qui m'était propre. Loin de n'être qu'une simple télépathe, mon don était poussé à son paroxysme pour se mélanger avec ce qu'on appelle l'empathie. Et si parfois cela peut me sembler utile, il fut des moments où j'aurais préféré n'en avoir aucune idée. Je me souviens d'Alcatraz comme si c'était hier ... "La situation est assez compliquée… les gamins étaient présents lors de l'attentat au centre commercial et puis, il y a eu des échanges houleux entre les pour et les contre le Registration Acts. Ces désaccords ont été tels qu’on a assisté à une vague de départs, mais on continue de travailler pour ceux qui restent. On doit continuer à leur apprendre tout ce que l’on sait et leur offrir la meilleure société qui soit." Je ne pu m'empêcher de perdre mon léger sourire pour le troquer contre un air tristement désolé. Mais au fond, je n'étais pas surprise, ce n'était pas la première fois que je voyais ce genre de chose arriver. Les élèves de l'Institut restent des élèves, avec leurs idées, leur impulsivité, leurs craintes, leur colère. Comment ne pas se laisser tenter par un groupe plus vindicatif ? "Dans mon école, on essaye de prôner la cohabitation, mais visiblement, on n’est pas parvenu à transmettre cette valeur. Les élèves sont allés chercher une école qui leur correspond mieux et qui leur donne les moyens d’aller au bout de leurs idées." Aller au bout de leurs idées, des idées sans doute construites sur leur ressentiment de l'instant et leur capacité à faire face à l'adversité. Je n'avais pas idée du chemin qu'ils avaient pris cette fois ci, mais rien ne pouvait me permettre de penser que ces élèves avaient rejoins un groupe moins radical que ne l'avait été celui d'Erik Lensherr. Pyro lui même à l'époque avait rejoins la Confrérie de Magnéto, je me rappelais son visage, sa présence, sa puissance lors de la bataille où j'ai péri. Alors aujourd'hui, je ne pouvais pas être surprise, tout recommence, tous refont les mêmes erreurs, comme un cycle, un cercle vicieux dans lequel le monde serait enfermé. Pourtant, j'étais persuadé que nous pouvions faire mieux, je m'étais opposé à l'Oiseau dans ce but, lui montrer le potentiel de l'Humanité. Sans doute, un jour faudrait-il que je me dévoile pour cela. Mais Jean Grey n'était pas encore prête à enlever son masque de Lilandra.
"La jeunesse est une étape toujours un peu chaotique. Ces jeunes sont soumis au stress, au jugement de certains, à l'influence d'autre. Les événements qui ont pu se dérouler ces derniers temps sont un facteur de trouble de plus. Ils font et referont des erreurs, ils suivent parfois un chemin sombre mais ce n'est pas une fin en soit. D'eux même ou par la force d'autres, ils reviendront peut être sur une voie plus paisible. Il faut laisser le temps au temps de faire les choses. Tout le monde ou presque peut revenir à la raison." Ou presque... Etait-ce une prière pour moi même ou bien une fatalité déguisée pour certains cas ? Allez savoir... Je parlais aussi vaguement que pouvait l'être Bobby, tâchant de ne pas indiquer ce que je pensais savoir de son école. Si j'évoquais mes connaissances sur l'Institut, il me demanderait sans doute d'où elles provenaient, et ce serait une pente bien trop glissante. "Est-ce que vous êtes concernée par le recensement ?" Voilà une question auquel j'aurais également du mal à répondre sans me mettre un minimum en danger. En danger... Aujourd'hui, c'était donc cela que représentait mon ancien monde, un danger ? La situation me frustrait au plus haut point, mais je me gardais de l'exprimer, que ce soit verbalement ou non verbalement. Le "Danger" risquerait de se demander pourquoi une telle réaction... "Et bien ... hummm... " Quel flot de paroles ! Avec toute cette assurance et cette confiance en soi, NUL DOUTE qu'il ne se poserait pas de question ! Et en même temps, que pouvais-je répondre ? J'avais beau cacher mon malaise sous un masque de réflexion, il venait de me poser une question auquel je n'avais pas préparé la réponse. Cela aurait été judicieux d'y songer avant de revenir dans ce pays où le recensement revient dans tous les sujets. "Je dirais bien que nous le sommes tous plus ou moins. Humains, mutants, pour ou contre, qu'importe qui l'on est et ce que l'on pense, le recensement nous impactera tous, dans diverses proportions. " Je m'arretai un instant, le temps de finir mon café, comme si dans ces dernières gouttes se cachait la bonne réponse à lui donner. "Cependant, si votre question était si cela me concernait personnellement, je pourrais vous répondre, mais cela entrainera d'autres questions auxquelles il est risqué de donner les réponses à une personne que l'on vient tout juste de rencontrer... " Non pas que je ne lui fasse pas confiance, je savais pertinemment que Bobby comprendrait que je sois une mutante, vu qu'il en était un lui même. La question était de savoir si l'Institut avait adopté la politique du recensement pour tous ou si, comme dans ce que j'imagine de lui, il en laisse le choix encore. "Cependant, quelque chose me dit que je ne risque rien à vous montrer une partie de la réponse... "
M'assurant que personne n'épiait la conversation, mentalement et physiquement, je mis un morceau de papier qui trainait à l'intérieur du gobelet de mon café, le couvris d'une main un instant , puis la retira avant de lui en montrer discrètement l'intérieur. De minuscules flammes dévoraient avec une lenteur étrange le papier sans toucher aux parois du gobelet. Si l'on pouvait comprendre mon statut de mutante et que les flammes démontraient une certaine particularité, j'étais la seule à en connaître l'exacte origine : la flamme du Phoenix. Après un temps, je couvrais le gobelet pour en éteindre son contenu et relevais mon regard sur l'Iceberg. "Alors ... ai-je eu tort de vous faire confiance ?" Quand au statut de mutante, sans doute, mais quand à la nécessité de se recenser, c'était encore à voir. J'aurais pu puiser les réponses à l'intérieur de sa tête, mais je me refusais à le faire. Je préférais ne pas en arriver là, pas encore, pas maintenant. Mauvaise conscience sans doute.
“La jeunesse est une étape toujours un peu chaotique. Ces jeunes sont soumis au stress, au jugement de certains, à l'influence d'autre. Les événements qui ont pu se dérouler ces derniers temps sont un facteur de trouble de plus. Ils font et referont des erreurs, ils suivent parfois un chemin sombre mais ce n'est pas une fin en soit. D'eux même ou par la force d'autres, ils reviendront peut être sur une voie plus paisible. Il faut laisser le temps au temps de faire les choses. Tout le monde ou presque peut revenir à la raison.” Elle a la sagesse de ceux qui ont traversé des choses atroces. Elle a les paroles de ceux qui ont vu les pires horreurs du monde. Elle a l’opinion de ceux qui ont foi en l’humanité. À une époque, il était comme elle. À une époque, il pensait que le Bien pouvait gagner. A une époque, il imaginait que le Bien finirait par prendre le dessus. Sauf que Pyro est passé de l’autre côté. Jean est devenue le Phoenix. Le gouvernement a mis en place le vaccin pour retirer les pouvoirs des mutants. Et maintenant, quelques années plus tard, ils en sont là. Bobby a toujours foi en l’humanité. Mais une foi plus modérée et réaliste. Pour que le Bien gagne, il faut que les idiots qui composent le Mal ouvrent les yeux et se cultivent un peu. Et pour ça, les moyens sont limités. Les X-Men n’ont pas la force de frappe de l’armée des Etats-Unis, sinon cela ferait une éternité qu’ils auraient débarqué dans les villes pour forcer les populations à regarder des documentaires, à aller à des expositions ou à juste ouvrir un livre. “Et bien ... hummm... ” La question piège. Il n’a pas été sympa en la lui posant. C’est la question qui divise. La question qui démarre les débats. La question qui dérange. La question qu’il ne faut pas poser aux gens qu’on vient juste de rencontrer. Il a assez d’ouverture d’esprit pour ne pas s’agacer. Il a le sentiment que Lilandra partage le même avis. Elle est même bien plus posée sur le sujet, même si l’interrogation la plonge dans une réflexion intense. Ce n’est pas un sujet facile à aborder, pour les conflits que cela peut apporter, oui. Mais pas seulement. Parce qu’il suppose de se positionner, de choisir son camp, de décider si l’on tolère le futur génocide mené par les hauts-placés ou non. Ce n’est pas évident. En particulier quand on ne se sent pas concerné par la situation. “Je dirais bien que nous le sommes tous plus ou moins. Humains, mutants, pour ou contre, qu'importe qui l'on est et ce que l'on pense, le recensement nous impactera tous, dans diverses proportions.” Une belle manière d’éluder la question. Il esquisse un sourire amusé. Elle ne veut pas se mouiller, ce qui se comprend. Il s’attendait tout de même à une autre réponse. Bien plus constructive. Bien plus intéressante. Elle qui semble si posée et sereine sur leur société actuelle. Bobby a des difficultés à avoir le même rapport. Il est confronté au quotidien à la peur des pensionnaires, à la tension. Il n’arrive pas à avoir cette même distance que Lilandra. La même sagesse. Si tout le monde était comme elle, le monde tournerait mieux. La jeune femme lui rappelle Xavier, par bien des aspects. Cette sérénité caractéristique. Ces paroles réfléchies. Sauf qu’ils n’ont pas la même âge, ni la même vie.
Il patiente. Il lui laisse le temps de boire son café, plutôt que de la relancer. Boire n’est qu’une technique parmi d’autres pour gagner du temps. Il en a conscience. Peut-être qu’il a la malchance de tomber sur un membre du gouvernement. Peut-être qu’il a la malchance de discuter avec une militante contre les mutants. Peut-être. Alors, l’échange ne sera que plus intéressant. “Cependant, si votre question était si cela me concernait personnellement, je pourrais vous répondre, mais cela entrainera d'autres questions auxquelles il est risqué de donner les réponses à une personne que l'on vient tout juste de rencontrer...” Sa curiosité est éveillée. Il pose ses avant-bras sur la table et se penche en avant. Il a envie d’en savoir plus. Il a envie de connaître sa vérité à l’origine de plein d’interrogations. Il est curieux de mieux la connaître. Il est curieux d'entendre son avis. Il est curieux d’échanger encore et encore. Elle semble avoir beaucoup de choses à dire, à exprimer. Et Bobby désire apprendre d’elle, de son calme incroyable, de son intelligence sans limites. “Cependant, quelque chose me dit que je ne risque rien à vous montrer une partie de la réponse...” Elle est définitivement intrigante. Elle finit de convaincre Bobby qu’elle a des choses à raconter ou à montrer. Toutefois, il n’oublie pas qu’ils sont dans un lieu public. Entourés de potentielles cibles. L’endroit parfait pour les terroristes qui veulent créer le chaos autour d’eux. Il en a parfaitement conscience. Raison pour laquelle il reste sur ses gardes. Il est assez puissant pour réussir à gagner du temps avec son pouvoir. Mais il n’est pas rapide. Il n’a pas la super-vitesse. Il n’a pas la capacité de figer. Il ne peut pas préméditer les gestes. Il n’a que la méfiance et la curiosité. “Vous pouvez me faire confiance, je ne vous poserai pas de question… enfin, je vais essayer.” Il ne promet rien. Cela dépendra de ce qu’elle compte lui révéler. Mais dans une certaine mesure, il tentera de contrôler son flot de paroles. Promis. Ne pas poser de questions. Une règle avec laquelle il est familier. Les séances de psychologie sont souvent unilatérales. Les gens n’apprécient pas toujours d’être questionnés. Alors, il respecte leur désir et il attend. Il patiente jusqu’au jour où ils sont prêts. Il l’observe faire son petit ménage. Le bout de papier jeté dans le gobelet. La main qui le recouvre. Puis les flammes. Petites, mais bien présentes. Bobby ne cache pas sa surprise. Une mutante. Ou en tout cas, une optimisée. Il pose un regard nouveau sur elle. “Alors ... ai-je eu tort de vous faire confiance ?” La surprise laisse place à un visage plus neutre. L’amusement pointe tout de même, à travers un sourire en coin. Il retire le couvercle de son propre gobelet. Le café est encore chaud, si on en croit les volutes de buée. Plus pour très longtemps.
Un de ses doigts s’aventure dans le contenant. Il entre en contact avec le liquide noir. En quelques secondes, la surface se cristallise pour devenir un glaçon. Lorsque tout le café est gelé, il pousse le gobelet près de Lilandra. Pyrokinésie. Cryokinésie. Deux pouvoirs qui s’opposent. Deux pouvoirs qui se détruisent. “Vous avez vu juste..” Il s’adosse à sa chaise. Il a une fâcheuse tendance à toujours se rapprocher des gens qui maîtrisent le feu. Pyro et maintenant, Lilandra. Ils n’en sont pas encore pas à devenir des amis. De bons amis. Loin de là. Ils ne sont que deux inconnus. Et pourtant, il a fallu qu’il s’adresse à elle. Il a fallu qu’il engage la conversation. Il a fallu qu’il reste pour discuter avec elle. Simple hasard ou attirance des éléments ? “Ca a été difficile de se positionner et de choisir si j’étais pour ou contre les décisions de notre gouvernement, quand on voit tout ce qui est fait aux mutants.” Toujours marcher sur des oeufs. Toujours faire des allusions subtiles. Cela devient compliqué de converser. Mais il n’a pas le choix s’il ne veut pas attirer l’attention. Le but n’est pas qu’ils inquiètent les autres clients. Le but n’est pas d’avoir l’étiquette de “mutant dangereux” collé au front. Ils ne le sont pas. Du moins, Bobby ne l’est pas. Il ignore si c’est le cas de Lilandra. “Je me suis finalement rangé du côté des décisionnaires parce que je veux croire en eux et en la légitimité de leurs lois. Mais quand je vois certains mutants être enfermés chez eux parce qu’ils ont pris la décision inverse, je doute que le gouvernement ait fait le meilleur choix.” Se recenser ou pas. Les deux cas posent des questions, impliquent des risques. Se recenser implique d’avoir une cible sur le dos, tout le temps et d’être à la merci du gouvernement. Obligé de se faire contrôler régulièrement. Ne pas se recenser impose de ne plus pouvoir sortir, sous peine d’être arrêté et maltraité par l’H.P.U. Les citoyens américains se retrouvent en prison dans le pays des libertés. “Une promenade, ça vous dit ? Ce sera plus facile pour discuter...” Il jette un coup d’oeil aux alentours. Ce n’est pas l’endroit idéal où aborder des sujets sensibles. Il ignore si on les écoute, si on fait attention à eux. Il pourrait y avoir n’importe qui de dangereux ici. Mieux vaut rester en mouvement pour parler de mutant. Surtout si elle n’est pas recensée. Elle pourrait avoir des ennuis.
Suddenly, the past collides you and you don't know why ...
L'attente, l'impatience d'obtenir une réaction, quelle qu'elle soit. Je n'avais que très peu de crainte de me tromper sur la personne qu'avait pu devenir le mutant de glace. Lui avais-je montré les flammes du Phoenix par pure provocation envers le mensonge qu'était devenu ma vie, à moins que je ne veuille inconsciemment le prévenir du potentiel dangereux que je pouvais représenter en lui rappelant son ancien ami Pyro ? Ou peut être n'était-ce pas moi qui avait choisi mais l'Oiseau , comment savoir ? Mais cela n'avait plus d'importance, seule sa réaction le serait. Que signifiait la surprise que je lisais sur son visage, que cachait la neutralité qui s'ensuivait ? Et cette esquisse de sourire ? Mais alors qu'il ouvrait son gobelet de café fumant, mes doutes s'estompèrent instantanément. J'étais totalement confiante sur ce qu'il s'apprétait à faire : me dévoiler ses propres dons. Mais je me garde de conserver un visage serein et laisse la curiosité se lire sur mon visage. Je le connais, je connais ses capacités, et à moins que celles-ci n'aient totalement évoluées, je ne serais pas surprise de ce que je découvrirais dans le gobelet qu'il m'avait présenté après son petit tour. A moi d'esquisser ce léger sourire quand je regarde à l'intérieur. "Vous avez vu juste..." Je refermais le gobelet tout en laissant apparaître un masque de très faible soulagement. Je n'oubliais pas que nous nous trouvions dans un lieu publique et je me devais de faire attention à ce que nous ne nous fassions pas remarquer. Amusante était cette situation, devoir jouer la discrétion dans un jeu d'anonymat et de mensonges. Un secret dans un autre. "Voilà une bonne chose, si l'on ne prend pas en compte l'opposition que ces deux élèments peuvent impliquer." Songeait-il à son ancien camarade de classe en cet instant ? Craignait-il la fin de ce début de conversation à la vue des nouveaux élèments dont il disposait pour me définir ? Tant de pensées pouvaient traverser son esprit à cet instant, tant de souvenirs, d'impressions, de regrets et de déceptions. Peut être que cela le rendra méfiant, peut-être était-ce ce que je voulais... Le hasard était-il vraiment maître de cette situation ? "Ca a été difficile de se positionner et de choisir si j’étais pour ou contre les décisions de notre gouvernement, quand on voit tout ce qui est fait aux mutants." Je n'en doutais pas un instant, et je n'imaginais pas l'Institut réagir autrement que par la réflexion. Suivre les directives dangereuses d'un gouvernement craintif de leur contrôle sur des êtres à l'évolution étonnante, sur des dieux venus d'autres mondes, sur des héros de toutes contrées qui émergeaient de plus en plus ? Ils ne pouvaient que craindre, ils ne pouvaient que prendre peur face à leur manque de connaissance et de contrôle. Mais jusqu'où la peur pousseraient ces dirigeants ? Etait-ce une raison de nous laisser marquer d'un statut, de nous laisser identifier, pour quelle fin en soit ? Je comprenais leur peur, mais je n'acceptais pas leur loi.
"Je me suis finalement rangé du côté des décisionnaires parce que je veux croire en eux et en la légitimité de leurs lois. Mais quand je vois certains mutants être enfermés chez eux parce qu’ils ont pris la décision inverse, je doute que le gouvernement ait fait le meilleur choix." Je baissais les yeux sur le gobelet glacé, perdu dans mes réflexions. Ceux qui ont pris la décision inverse, comme beaucoup, comme moi... Pouvais-je lui révéler que j'avais pris la décision inverse, alors que lui avait choisi la voix du gouvernement ? Sans doute me questionnerait-il sur la raison, mais peut être pas dans l'immédiat. Pourtant, j'hésitais à prendre ce risque. " Je suppose que le bien fondé de leur choix dépend de la vision de chacun. D'aucun dirait qu'il le faut pour assurer la sécurité des citoyens et pour rassurer leurs inquiétudes, d'autres pourrait se demander si cette mesure n'est pas la première d'une longue lignée plus ...restrictive ..." Réagir sans vraiment donner son avis, je commençais à bien m'y faire. Mais l'endroit devenait de plus en plus oppressant pour converser en toute liberté. Bien évidemment, il me serait facile de manipuler les esprits environnants pour qu'ils ne captent pas un mot de notre conversation, mais Bobby ne comprendrait pas ma liberté de paroles, il voudra savoir, il voudra comprendre. Et j'évaluais la possibilité de lui révéler ma principale capacité de télépathie comme un choix inenvisageable. Déjà car l'alliance pyrokinésiste/télépathe l'intriguerait, ensuite parce que c'était révéler un bout de mon vrai moi. Il me fallait une autre solution. "Une promenade, ça vous dit ? Ce sera plus facile pour discuter..." A croire que nous étions synchrone dans nos réflexions. Ce n'était pas le lieu pour converser de tels sujets, se déplacer compliquerait la tâche à ceux qui voudraient épier nos sujets de réflexion. Et quand bien même il ne me serait pas difficile de réduire à néant l'espoir de ces potentiels espions, je préférais largement réagir de manière plus ou moins "normal", autant que faire se peut. "Avec plaisir." Je commençais à me lever pour débarrasser nos plateaux, tachant de refermer auparavant le gobelet de café gelé pour qu'il n'attire pas l'attention d'un œil curieux. J'aurais pu le réchauffer des flammes qui m'habitaient aujourd'hui, ou encore accélérer leur particule pour obtenir le même résultat, mais je m'en privais. Je ne prenais pas les capacités que je possédais à la légère, qui sait ce que je pourrais encore créer comme catastrophe. Une fois les plateaux et leurs secrets débarrassés, j'invitais Bobby à ouvrir la marche. "Je vous suis." Je lui adressais un sourire léger tout en le laissant le choix de la direction avant de lui emboîter le pas.
Mes pensées semblaient en ébullition, se demandant si je ne jouais pas avec le feu de continuer la conversation avec ce vestige bien vif du passé que je cachais. Le retrouver ainsi, converser avec lui, le redécouvrir, c'était comme vivre un véritable paradoxe. Il y avait cette satisfaction d'apprendre ce qu'il était devenu, de voir la sagesse de ses paroles, d'avoir la chance de lui parler sans appréhension d'un moi passé il devait garder un mauvais souvenirs... Mais il y avait aussi cette angoisse d'être révélée au grand jour, de prendre le retour de flammes en pleine figure, de voir l'horreur se dessiner sur son visage s'il apprenait. C'était étrange et profondément perturbant. Pourtant je continuais de jouer le jeu, de prendre part à cette masquarade dont il était invonlontairement la victime. Je redoutais les conséquences mais je ne pouvais m'empêcher de poursuivre cette rencontre fortuite, la conversation en valait-elle à ce point la peine ? "Je ne le suis pas." Le regard au loin, je lâchais ses mots qui pourraient paraître vide de sens si l'on ne visualisait pas le contexte de la conversation. Je continuais de marcher tout en laissant quelques secondes de silence s'installer, peut être pour me laisser le temps de réfléchir au choix que j'étais entrain de faire ... "J'ai mes raisons, mais je n'irai pas blâmer quelqu'un qui a choisi l'autre voie." Encore ce silence de ma part qui s'installait, je m'exposais avec un mélange de crainte et de satisfaction, comme si une partie du poids qui alourdissait mes épaules s'étiolaient. "Avez-vous déjà eu ce sentiment que le monde évoluait trop vite dans une direction au point où, qu'importe le choix que nous faisons, les choses tourneraient inévitablement mal ?" Je songeais à ces moments d'incompréhension face aux troubles que j'avais pu ressentir à Alcali Lake, à cette sensation de perte de contrôle sur mon propre corps, à cette force qui m'engloutissait dans sa renaissance. Ce jour là, j'avais fait un choix, un choix qui m'avait paru le plus judicieux, un choix qui avait sauvé mes proches, un choix qui m'avait détruite et qui avait inexorablement scellé mon avenir. Mon sacrifice, ma chute, et l'Envol du Phoenix. Je replongeais dans ces souvenirs sans trouver quelles options j'avais eu cette fois là. Aurais-je pu tout éviter ? Ces morts, cette souffrance, ce chaos... Je n'avais plus personne à qui confier mes doutes, mes angoisses quand à ce que je deviendrais face à l'Entité. Le Professeur me manquait, Elias me manquait, mes anciens amis me manquaient... Et quand bien même je pouvais converser avec lui, je ne pouvais pas tout révéler Bobby. Je n'avais pas le droit de lui asséner cette nouvelle, de lui imposer la nouvelle de ma résurrection. Je ne pouvais que me contenter de débattre des actualités de mon pays. Cette sensation de complète solitude finirait-t-elle par avoir raison de ma volonté ?
Il pense à Pyro. Evidemment qu’il y pense. Comment pourrait-il en être autrement ? Il y a pense régulièrement. A chaque fois qu’un nouveau mutant débarque. A chaque fois qu’un gamin rebelle fait son apparition. A chaque fois. Il y pense, en se demandant s’il sera capable de faire quelque chose pour ces gamins. Pour les aider à trouver la bonne voie. Pour leur montrer la beauté du monde. Pour les empêcher de faire des bêtises. Il trouve un peu de Pyro chez tous les gamins perdus qui se pointent à l’Institut. Il ne peut pas s’en empêcher. Pyro reste et restera une de ses faiblesses. Une culpabilité poignante, douloureuse. Il était à peine sorti de l’adolescence quand tout est arrivé. Bobby ne pouvait pas faire grand-chose et pourtant, il reste persuadé qu’il aurait pu faire un truc. Qu’il aurait pu convaincre son ami de rester. Qu’il aurait pu demander de l’aide au Professeur. Qu’il aurait pu intervenir. Mais depuis, l’amitié des deux éléments opposés s’est transformée en haine. Le feu et la glace. Deux tempéraments différents. Deux caractères extrêmes. Ils s’opposent. Ils s’affrontent. Et même quand Bobby essaye de ne pas entrer dans son jeu, il ressent de la colère pour cet ancien ami qui n’a pas peur de faire de mal, qui ne craint pas de blesser, qui souhaite la mort de millions de personnes. C’est tellement difficile à expliquer. Mettre des mots sur leur relation est impossible. Une amitié devenue haine. Une fraternité devenue confrontation. Bobby a toujours été là pour réparer les conneries de Pyro. Il a toujours été le plus calme des deux. Le plus sérieux. Le plus mesuré. Cependant, il y a des conneries qui ne peuvent pas être réparées. Il y a des choses qui ne peuvent être changées. Il se rappellera toujours ce jour, à Alcatraz. Ce moment où ils se sont réellement affrontés. Où ils sont allés au bout d’eux-même. Où Bobby a enfin pu dévoiler une nouvelle facette de sa mutation. Devenir un glaçon. Entièrement. Totalement. Un glaçon quasiment indestructible. Un peu comme si la glace l’enveloppait, le recouvrait, le protégeait. Un peu comme si la glace intervenait à un moment vital de sa vie. Et voilà que le monde met une autre pyrokinésiste sur son chemin. Il pourrait facilement tomber dans le stéréotype, dans la discrimination, dans l’intolérance, dans la stigmatisation. Ca ne lui ressemblerait pas. Il croit que toute personne est unique. Le pouvoir n’a aucune influence sur le caractère des individus, même si certaines capacités sont tellement puissantes qu’elles rendent leur propriétaire fou. C’est encore autre chose. Alors, il n’a aucune réticence à discuter avec Lilandra. D’autant qu’elle semble bien plus posée et sage que Pyro. "Je suppose que le bien fondé de leur choix dépend de la vision de chacun. D'aucun dirait qu'il le faut pour assurer la sécurité des citoyens et pour rassurer leurs inquiétudes, d'autres pourrait se demander si cette mesure n'est pas la première d'une longue lignée plus ...restrictive ..." Les opinions sont différentes. Il existe des inconvénients et des avantages de tous les côtés. Quoique l’on décide, il a l’impression que c’est le mauvais choix. Et pourtant, il faut prendre une décision. Il faut se montrer courageux et assumer. S’il doit mourir parce qu’il a cru en ce gouvernement, qu’il meurt. Il aura au moins respecté ses valeurs. Il aura au moins fait confiance jusqu’au bout. "[color#A9E2F3]Malheureusement, je crois qu'il y a autant d'avantages que d'inconvénients dans les deux partis.[/color]"
Il ne regrette pas son choix. Il regrette simplement que ceux qui ne sont pas recensés n’aient pas la chance de se promener librement. Le recensement devrait être libre, au vu des potentiels risques. Personne n’est à l’abri d’un piratage. Cette liste pourrait être communiquée à travers le monde. Et alors, il n’en faudrait pas plus pour que les Watchers se mettent en chasse. C’est ce que craint le plus Bobby. Voir les mutants être tués les uns après les autres. Comme du vulgaire gibier. Dans leur haine, les gens oublient que ces personnes qu’ils veulent exterminer ont une vie, des sentiments, des familles. “Avec plaisir." La conversation ne va pas s’arrêter ici, dans ce café. Elle va se poursuivre à l’extérieur. Juste le temps pour les deux mutants de rassembler leurs affaires. Juste le temps de débarrasser leur table. Juste le temps de retrouver l’extérieur. Il ignore encore tout d’elle. Pourtant, il est prêt à se promener avec cette inconnue dans la rue. Il est prêt à lui accorder sa confiance. Non pas qu’il n’a rien à perdre. Au contraire. Plutôt qu’il se sent assez sûr de lui pour se défendre en cas de besoin. Plutôt qu’il n’a aucune raison d’avoir peur. Il n’a rien à se reprocher. Il n’y a aucune raison pour qu’elle s’en prenne à lui ou qu’ils aient des ennuis. Et c’est probablement la même réflexion que doit se faire Lilandra. "Je vous suis." Il prend sur la droite. Les voilà qui marchent côte à côte, comme deux amis. Pourtant, ils ne sont que deux inconnus. Deux inconnus qui partagent beaucoup de choses. Un gène X. Une préoccupation pour la société. Un besoin de discuter. Le hasard fait bien les choses, ça en est impressionnant. Bobby aurait pu ramasser la serviette et la garder pour lui. Il aurait pu la laisser par terre. Lilandra aurait pu le remercier et choisir une autre table. Elle aurait pu refuser qu’ils discutent. "Je ne le suis pas." Il tourne la tête vers elle. Elle n’a pas besoin d’en dire plus, il a compris. Elle n’est pas recensée. Le dire à haute-voix, c’est s’exposer à des problèmes. Il hoche la tête. Il connaît de nombreuses personnes qui ont fait le même choix. Ne pas se recenser, tel un acte de rébellion. Tel une volonté d’affirmer sa liberté. Mais quelle liberté quand on ne peut pas marcher sans regarder par-dessus son épaule ? Quand on a la peur au ventre ? "J'ai mes raisons, mais je n'irai pas blâmer quelqu'un qui a choisi l'autre voie." Il aurait pu faire le même choix. Se dresser contre le gouvernement. Choisir de ne pas être traité comme du bétail. Vouloir être libre d’être un mutant au vingt-et-unième siècle. Il aurait pu. Alors, il comprend très bien Lilandra. Il a choisi une autre forme de liberté. Il a choisi celle qui lui semblait la plus sage, la plus logique, la plus en adéquation avec ses espoirs. Il a décidé de donner une chance à la population. Une chance de voir que les mutants ne sont pas les méchants. Une chance de comprendre qu’ils se trompent tous avec leur guerre contre les homo superiors. Il en attend encore les résultats. "Vous avez croisé d’autres personnes qui partagent votre choix ? Comment ça se passe ?" Il a seulement ce qu’il imagine, ce qu’il voit à travers la télévision, ce qu’il entend à travers les média. Il n’a pas d’autres moyens de savoir comment les mutants non-recensés vivent au quotidien. Lilandra n’a pas l’air effrayée. Elle se promène tranquillement, sans être embêtée dans sa vie. Ce qui est positif.
Finalement, recensés et non-recensés ont la même vie. A ceci près que certains doivent s’enfuir dès qu’un uniforme de l’H.P.U. apparaît. Ils n’ont pas fait le même choix, mais Bobby aimerait les aider. Autant qu’il le peut. Peut-être qu’ils pourraient se réfugier à l’Institut ? Peut-être qu’ils ont besoin de vivres et qu’ils n’osent pas sortir ? Autant que la décision de Bobby permette aux autres d’en profiter. "Avez-vous déjà eu ce sentiment que le monde évoluait trop vite dans une direction au point où, qu'importe le choix que nous faisons, les choses tourneraient inévitablement mal ?" Il pousse un soupir. Elle vise juste. Il se reconnaît dans ses paroles. Il se reconnaît dans sa description. Il y a pourtant une époque où tout allait bien. Enfin, dans un certain sens. Lorsque les mutants n’étaient pas encore très connus. Lorsque la Confrérie ne faisait pas trop parler d’elle. A une époque, les mutants pouvaient se promener impunément dans les rues. Ce n’est plus le cas, maintenant. Comment a-t-on pu en arriver là ? Ils sont chassés au même titre que les juifs au siècle dernier, au même titre que les musulmans aujourd’hui. A chaque fois, la même chose se passe : la haine se tourne vers les mauvaises personnes. La stigmatisation. La peur. La Confrérie est le Daesh des mutants. Certaines âmes perdues se laissent hypnotiser par les belles promesses de Magneto. Ils décident alors de prendre les armes. Mais ils se trompent. Ils ont tort. La Confrérie n’arrangera rien. la Confrérie va les mener à la mort. C’est tout ce qu’ils auront. Pas de gloire. Pas de belle vie. Pas de félicité. Juste la mort. Et nier cette ressemblance est se fourvoyer. "J’ai continuellement cette impression. C’est comme nager à contre-courant pour essayer de rejoindre le rivage. Notre société manque cruellement d’empathie et de compassion. S’ils se mettaient à la place des mutants, on n’en serait pas là aujourd’hui. mais j’ai le sentiment que cette prise de conscience n’arrivera jamais." Ou alors, si, après une terrible guerre civile. Après des attaques perpétrées par les deux camps. Après des centaines de morts. Ce n’est pas ce que Bobby veut voir. Ce n’est pas le monde qu’il veut offrir aux futures générations. Cette planète mérite mieux. Tellement mieux. Il observe Lilandra du coin de l’oeil. Elle semble ailleurs. Comme perturbée. "Vous allez bien ?" La conversation peut perturbée. Elle n’est pas anodine. Elle réveille de vieux doutes. Elle accentue les inquiétudes. Mais ils sont les premiers à pouvoir agir. Ils sont les premiers à devoir montrer qui ils sont. Ils sont les premiers à devoir se remettre en cause. Alors, cette conversation est nécessaire.