Les nuits sont devenues longues, beaucoup plus longues qu'elles ne l'étaient déjà. J'ai eu l'occasion de visiter plusieurs fois l'Institut. Parfois, quand les objets ont été déplacés, je les remets en place. J'aime sentir leur contact froid et rigide sous mes doigts. J'aime qu'ils soient inanimés, j'aime leur silence et j'aime leur patience. Souvent, je passe les doigts sur mon visage, j'aime sentir que rien n'entrave mes lèvres même si les seules conversations que j'entretiens se déroulent avec les chimères. Je ne les fais pas apparaître, elles viennent d'elles-mêmes quand elles le souhaitent, en général. Elles choisissent en ce moment.
Ce que je préfère, c'est assister aux cours. J'aime les écouter parler, j'aime quand les yeux se rivent vers les enseignants si différents, exceptionnels. Par leur charisme, et par leur volonté de faire croire que tout ira toujours bien. Moi-même je sais m'en convaincre très souvent. Je ne vois pas l'avenir tâché de sang ou tordu dans le kaleidoscope de mes expériences passées. Je mets un pas dehors alors que le jour ne s'est pas encore levé. Les insomniaques sont partis chercher un peu de sommeil dans les dernières heures, celles qui reposent le moins dit-on. Mes yeux ne sont pas cernés, mon corps n'a pas réclamé plus de trois heures cette nuit. Je lève le nez vers le plafond, suis avec délice le bruit du silence. Le bruit du silence c'est le bois qui travaille, les tic tac des horloges, le chant des premiers oiseaux. Je descends prudemment, traquant la moindre anomalie autour de moi. J'ai bonne mémoire, j'ai souvent bonne mémoire. Mais il y a certaines pièces du puzzle qui ne m'apparaissent pas clairement. J'ai bonne mémoire mais je revois les deux derniers mois comme des films, comme des scènes auxquelles je n'ai assisté que comme spectateur, et je n'apprécie pas cette sensation.
Je glisse l'index et le majeur sur mes lèvres et sors de l'école silencieusement. Je ne dépasse pas les jardins. Parce que ce film dont je me souviens, il m'effraie, terriblement. Les paroles sont une musique qui passe en off le long de mes journées et parfois, durant un cours, il m'arrive d'entendre son chuchotis au creux de mon oreille, comme s'il s'était glissé dans mon dos et que je sentais son souffle chaud contre ma nuque. Je dégage cette impression d'un mouvement de la main et m'assieds dans en tailleur dans l'herbe. Je ravale ce qui m'empêche de me concentrer. Je ne peux pas gérer mes émotions, je n'y arrive plus si bien. Ça devient compliqué... avec les autres. Leurs intentions me sont étrangères, inconnues. Je ne comprends plus ce que les gens veulent, ce qu'ils feront pour l'obtenir. Je sens ma mâchoire se serrer et je baisse la tête pour n'apercevoir que mes mains ouvertes. Je respire doucement et ferme les yeux.
Construire, je dois assez construire pour compenser tout ce que ça a défait. Quand je mets mes mains à plat devant moi, je n'aime pas voir mes doigts qui tremblent. L'obscurité qui me paraissait si familière est devenue source d'angoisses, je me retourne, j'entends les bruits qui n'existent pas. Je m'en veux de n'avoir rien entendu, rien remarqué, quand le cauchemar a vraiment pris vie. Je redoute qu'il revienne, ça me serre le cœur. Ça m'empêche de respirer. Je n'arrive plus à compter, je n'arrive plus à trouver un peu de paix, un peu de calme. J'érige un mur devant moi, un simple mur de pierres grises. Avec quelques coups d'ici et de là. Un autre derrière moi. Un de part et d'autre de mon corps assis dans l'herbe. Je les fais reculer doucement. Je rouvre les yeux, regarde autour de moi avec satisfaction, sans que ça transparaisse sur mes traits. Ils ne sont là que pour moi... De dehors, il n'y a que moi assis regardant dans le vide mais pour l'instant, je les aime ces murs. Ici. J'entends un bruit, des pas sur l'herbe, dérobant la rosée que la matinée avait déjà déposée tout autour de nous. Je regarde derrière moi, faisant disparaître l'un de ces murs. Mais ce n'est pas une illusion, si ce n'est que pour moi. C'est juste mon imagination ? C'est juste quoi ? C'est la barrière qui l'empêchera de revenir.
Les journées commençaient à se réchauffer, de plus en plus que ça en devenait insoutenable pour certains une fois le soleil à son zénith. Jessica préférait donc sortir de la x-mansion le matin, profiter de la rosée et des restes de la fraîcheur de la nuit pour faire sa petite promenade. Elle sorti par la porte de derrière, faisant bien attention de ne pas réveiller les autres habitants encore endormit avec des bruits de couloir. Une fois à l'extérieur, elle attrapa à sa ceinture la petite balle blanche et rouge afin de libérer l'animal qu'elle contenait, le petit canidé issu de l'univers de Nintendo. Ce dernier, à peine apparu dans le monde réel, commença à tourner en rond, heureux de pouvoir sentir l'herbe sous ses pattes. Les animaux de compagnie n'était pas réellement les bienvenus dans l'institut, on avait déjà bien assez à faire avec les poils du fauve dans la salle de bain que pour en plus s'occuper d'une dizaine de chiens ou de chats. Evoli était dont contraint de rester soit dans la chambre de Jessie, soit à l'extérieur comme maintenant. A présent, il fourrait son museau à chaque endroit possible pour en reconnaitre les odeurs des animaux sauvages qui auraient pu y passer. Ou alors, c'était les odeurs laissées par Logan lors de son retour, la veille, d'on ne sait où. Peu importe, un petit claquement contre sa cuisse et la mutante rappela l'animal près d'elle, lequel revenait en sautillant dans l'herbe.
Après avoir fait le tour de la propriété, tout du moins une partie, Jessie se pointa près d'un arbre qu'elle avait repéré depuis son arrivée dans ces lieux. Beaucoup de gens y passait mais à cette heure, on pouvait dire que c'était plus ou moins son arbre. Elle se posa au pied de son tronc et attrapa encore à sa ceinture la vieille console qui ne la quittait jamais. Jessica avait certes le pouvoir de se digitaliser dans le monde des jeux mais parfois, elle se contentait de rester dans le monde réel pour jouer comme les personnes normales. La petite bête qui l'accompagnait tant qu'à elle se contentait de se mettre en boule à côté d'elle après avoir chassé quelques papillons matinaux. Le temps passa. De combien ? C'était difficile à dire tant on perd la notion du temps une fois plongé dans ce petit écran monochrome. Quoi qu'il en soit, quand elle releva la tête, le pokemon qui l'accompagnait avait quitté son poste. Elle tourna rapidement la tête à gauche à droite pour voir où le petit sacripant était parti. Il courrait à travers le domaine comme s'il avait senti un danger. Jessica éteignit sa console tout en se relevant. "Eevee, reviens ici !" Et la voilà partant à la poursuite du canidé qui avait décidé de ne plus l'écouter.
Finalement, le perturbateur fut trouvé, enfermé entre quatre murs dont l'un d'entre eux venait de disparaitre sous les yeux de la mutante. Ca ne la choquait pas plus que ça, faire apparaître des murs étaient assez simple pour elle et il y avait beaucoup d'autres choses complétement incroyable en ces lieux. Après tout, la personne qui l'entraînait à se défendre était capable de voler, si ça ce n'était pas un cheater. Derrière ce mur devenu invisible, se trouvait un jeune gamin assis dans l'herbe, sans doute un autre adorateur de la fraîcheur matinale. La petite boule de poil sauta sur le garçon, atterrissant sur son épaule avant de descendre pour se frotter à lui, réclamant sa caresse. Jessica le suivait de peu et s'arrêta à hauteur du jeune homme, attrapant l'animal dans ses bras. "Excuse-le, il est parfois intenable." Elle frotta la tête de l'animal. "J'espère qu'il ne t'a pas trop dérangé." Elle relâcha alors l'animal qui alla courir un peu plus loin. La jeune mutante elle, attendait.
Un animal. Oui bien sur que j'ai déjà vu des animaux. Notre voisine avait un chat odieux que mon père a déjà gardé plusieurs fois. Il ne mangeait qu'en notre présence, mettait des poils sur mes affaires et avait une odeur absolument insupportable. Ce chat avait un regard fixe que je n'appréciais pas du tout. Nous avons déjà eu un chien aussi, un petit chien dont j'ai totalement oublié le nom et qui était censé me tenir compagnie pendant mes crises. Nous l'avons eu deux semaines. Après la première morsure, mes parents ont pensé le ramener au refuge mais ont laissé un peu de temps passé au cas où... Mais il y a eu récidive alors ils l'ont éloigné. Pour son bien. C'est moi qui le mordais.
J'avoue que je n'ai pas fait attention à l'animal qui s'est approché de moi, sans doute parce que je regardais plus haut, à hauteur d'homme. Ou parce que l'attention que je voudrais pouvoir avoir me fait encore défaut pour l'instant... Je baisse les yeux sur le curieux animal sans réellement de m'étonner de ne pas le reconnaître. Je fronce les sourcils, approche mon visage pour pouvoir le regarder davantage – sans le mordre cette fois – mais le voici qui saute sur mon épaule. Je me raidis instantanément, décalant doucement mon visage pour qu'il soit le plus loin possible de l'animal. Pas par mesure d'hygiène, juste pour qu'il ne soit pas si près de mon visage. Et en même temps, je n'ai pas envie de le repousser, pas besoin de me redresser subitement, juste rester... avec mon visage assez loin de lui.
Heureusement, il descend. Je peux respirer à nouv... qu'est-ce qu'il fait maintenant ? Je lève le bras en le regardant, pas décidé une seconde à poser ma main dessus... Jamais, jamais. Je lève les yeux quand une femme arrive. Je l'ai déjà vue, plusieurs fois. Elle se lève tôt aussi, parfois je l’aperçois depuis ma fenêtre à faire apparaître des tas de choses, avec beaucoup de couleurs, des réactions étranges... Je me mets debout, enfonçant la casquette sur ma tête plus qu'elle ne l'était déjà. Je baisse la tête alors que je la place bien, bloquant les dernières mèches dessus. Je prends ensuite une seconde pour lever les yeux sur elle, m'arrêtant soigneusement à son cou. Les cous, les pieds, c'est pas forcément moins intéressant qu'un visage, pas vrai ? Je dirige finalement mon regard sur l'animal. J'ai toujours les sourcils froncés, comme essayant de comprendre ce qu'il peut bien être, mais franchement en colère. « J'espère qu'il ne t'a pas trop dérangé. »
Je passe un temps non négligeable à me faire croire que nous sommes tous en sécurité. Il ya des voix dans ma tête qui choisissent n'importe quel moment du jour ou de la nuit pour venir me parler, me crier dessus, me chanter des chansons dérangeantes et j'en passe. J'essaie de ne pas avaler des morceaux de ma vitre quand je me dis que ces scènes que je vois, j'en fus l'un des protagonistes. Je n'ai pas été dérangé.
Je tapote ma hanche puis mon flanc, là où l'étrange animal s'est frotté. Je soupire doucement. Elle le lâche, je m'écarte. Je le regarde s'éloigner avant de me retourner vers la jeune femme. J'attends quelques instants puis secoue simplement la tête pour lui répondre. Non, il ne m'a pas dérangé. J'espère qu'il n'a pas une odeur qu'il a mis sur mes vêtements, sur moi. Je sens mon épaule sur laquelle il a sauté. Non, ça va de ce côté là...
Jessie restait à observer le garçon regarder si l'animal n'avait pas laissé de trace sur ses vêtements. Bien qu'il paraisse terriblement réel, ce n'est pas pour autant qu'il n'était pas une créature de pixel à la base. Ce qui lui donnait l'avantage de ne pas se salir ou même de perdre ses poils, un détail que les personnes responsable de l'état des chambres trouvaient appréciables. Ca et le fait de ne pas devoir le sortir pour faire ses besoins. En effet, les personnages de jeux vidéo ne semblaient jamais être dans le besoin de se rendre aux toilettes, ou même dormir. Le laissant vaquer à ses occupations, la mutante prit sur elle d'observer un peu plus le garçon, sa casquette rivée sur son crâne pour en dissimuler le plus possible, mais également avec le regard fuyant celui de la jeune femme, s'arrêtant plus bas, au point même que Jessica pensa un instant qu'il s'était attardé sur sa poitrine. Elle pencha alors la tête pour mieux le voir et le forcer à la regarder dans les yeux, capter son attention. Une fois qu'elle fit ses yeux croiser les siens, elle lui offrit un grand sourire à pleine dent histoire de le rassurer. Il semblait timide et ce n'était pas la première fois qu'elle faisait face à ce genre de personne. Elle-même, il y a quelques années, n'était pas la plus sociable, laissant ce soin à sa sœur aînée aujourd'hui disparue. "Tu n'es pas très causant, toi." Elle se permit cette remarque en se redressant devant son mutisme depuis le début de la conversation.
Elle passa alors les mains derrière son crâne, se frottant les cheveux coiffés, comme elle le disait, en paon. Elle porta son attention sur les murs autour d'elle qui était apparu autour du garçon. Elle était persuadée qu'ils n'étaient pas là la veille et à moins que Xavier ait eu l'intention d'engager un maçon durant la nuit, il était très certainement le résultat du pouvoir du garçon. Restait à savoir comment il avait bien pu le faire. Son pouvoir se résumait en créer du ciment et des briques ? "C'est toi qui a fait ces murs ?" posa-t-elle la question innocemment tout en s'en approchant pour le toucher. Il avait l'air pourtant bien réel. Se retournant vers le garçon qui n'avait toujours pas l'air à l'aise par la présence de la jeune fille, elle eut une idée qui lui traversa l'esprit devant les trois murs restants. "On va faire quelque chose pour les embellir." Elle se recula de quelques pas tout en regardant le mur du fond et claqua des doigts. Des briques, colorées cette fois-ci, semblèrent se matérialiser depuis les différents murs, se plaçant dans l'air pour en former un autre, positionné horizontalement à un mètre du sol environs. Puis, juste devant eux, se matérialisa une longue barre ainsi qu'une sphère. Sur la barre, on pouvait y trouver deux poignées. Jessie venait juste de créer dans le monde réel un classique du jeu vidéo, le casse brique. Le but était simple, faire rebondir la sphère sur la barre pour aller casser les briques dans le fond. "Tu veux essayer ?" Elle invita le jeune homme à prendre place pour tenir la barre, c'était un moyen comme un autre de briser la glace sous laquelle il semblait se cacher.
Je le regarde quand il s'éloigne. Je passe une main sur ma joue avec un air dégoûté puis joins les mains devant moi. J'observe mes ongles. Mes phalanges. J'observe mes poignets, je les frotte, mal à l'aise. Ses pieds, ses chevilles, ses genoux. Et ses... yeux ? Oh ses yeux ! Je me fige quand je croise son regard, comme si elle m'empoignait et m'entraînait vers elle. Je baisse à nouveau les yeux. Si les regard est une fenêtre qui donne sur l'âme, qu'est-ce qu'elle peut voir ? Qu'est-ce qu'elle a pu voir ? Tout ce que j'ai vu, moi aussi ? Je fouille l'herbe de mes yeux grands ouverts, passe les doigts sur mes paupières. Je relève les yeux sur son visage. Elle sourit. Pourquoi ? Pourquoi ? Je jette une œillade vers les murs factices, me retourne vers l'Institut. Il est proche, assez proche pour que je puisse à nouveau lui faire face. Je me recule quand même sensiblement, pour ne pas être à portée de ses bras. Comme j'ignore quand il faut rendre un sourire, je ne le lui rends pas... « Tu n'es pas très causant, toi. » Je arque un sourcil, sans comprendre si c'est juste une observation ou si elle attend que je dise quelque chose en particulier. Ah si, la politesse aurait voulu que je lui dise bonjour, au moins. Il faut toujours dire bonjour aux personnes qui entrent dans une pièce où nous nous trouvons déjà, et celles qui entrent dans un périmètre restreint... comme maintenant. Mais qui puis-je lui dire d'autre ? Je n'y arriverai pas. Il me faudrait du temps, beaucoup trop de temps. Il me faudrait de l'énergie, beaucoup trop d'énergie. Je n'ai même pas envie d'entendre le son de ma propre voix, ça me dégoûte de m'imaginer parler autrement qu'avec l'illusion.
Et quand j'ouvrirai la bouche, j'aurai l'impression d'avoir fait un bond de sept ans en arrière... Je ne veux pas être mis face à mon incapacité, une fois encore, à ma faiblesse, une fois encore, à mon échec. Une fois ! Encore ! Encore ! Je me redresse, copie sa posture. « C'est toi qui as fait ces murs ? » Oui oui, ce sont des protections. Elle s'approche mais si ça a l'air vrai, quand elle les touchera, ils ne seront pas consistants. Je tends moi aussi mes doigts pour les passer à travers le bord du premier mur. Mais ce n'est pas grave, ce n'est pas grave qu'ils soient factices, ils sont là après tout... Donc je réponds à sa question d'un hochement de la tête léger. J'aime la simplicité qu'ils ont, j'aime le rouge des briques, leurs imperfections... « On va faire quelque chose pour les embellir. » Travailler sur cette illusion ? Je me tourne vers elle, curieux et je recule en même temps qu'elle, laissant mon regard contre les trois murs restants. Quand elle claque des doigts, des briques de couleur apparaissent. Puis une barre et une sphère qui reste dans le vide, créant une... espace de jeu en trois dimensions mais qui demeure sur un plan horizontal. Je tends les doigts vers la sphère qui se trouve non-loin de la grande barre. J'en effleure la surface du bout de l'index avant de retirer la main que je rabats le long de mon corps. « Tu veux essayer ? » Je la regarde rapidement puis fixe mon attention sur la barre. Je passe mon index sur sa surface puis hoche de la tête. Oui... pourquoi pas... je passe doucement mes mains dans les poignées et les retire brutalement, juste pour m'assurer que je saurais les extraire quand je le souhaiterai. Oui c'est bon. Je les remets puis attends un instant avant de donner une légère impulsion vers l'avant. Je lance une oeillade vers la jeune femme, attendant une réaction de sa part...
L'avantage ave une personne qui restait muette, c'est que Jessica n'avait pas à deviner ses paroles. Par contre, elle devait deviner ses paroles et sur ce domaine, elle était nettement moins douée que Charles Xavier, il fallait bien l'avouer. Le garçon devant elle restait dans un mutisme à toute épreuve, ne prononçant pas la moindre parole depuis le début de la conversation. La mutante n'était pas psy et n'avait jamais rendu visite à l'un d'entre eux, une chance car elle traînait quelques casseroles derrière elle, mais il était assez aisé de comprendre que le jeune homme avait des problèmes plus que d'être simplement sourd. Pourquoi est-ce qu'elle était arrivée à cette conclusion, c'était surtout sa gestuelle qui l'avait traduit, un malaise ou une timidité, pour une raison que Game Girl ignorait. A ce stade de ce qui s'approchait plus d'un monologue que d'une discussion, ça pouvait autant être un traumatisme que le simple fait de s'adresser à une fille qui pouvait le mettre dans cet état. Au moins, il acceptait de jouer avec elle, c'était déjà un bon point alors qu'elle pouvait le voir s'approcher de la barre qu'elle avait fait apparaitre. Elle voulait se présentée comme une amie, quelqu'un de confiance, une personne qu'il n'avait pas à craindre. C'était un peu ce qu'elle essayait de faire passer à chaque fois qu'elle rencontrait quelqu'un et c'était comme ça que la majeure partie des gens qui la connaissaient pouvaient la décrire. Jessica, c'était la boule de bonne humeur, quoi qu'il puisse arriver.
Alors, lorsqu'il saisit la barre, elle posa également sa main sur cette dernière, non pas sur les petites poignées déjà prises mais sur le dessus de cette dernière. "Tu es prêt ?" Elle n'attendait pas réellement de réponse verbale, juste un signe de la tête pour lui répondre par l'affirmative. Aussi, elle continua, presque sur le même ton chaleureux. "Ne t'en fait pas, si tu ne parles pas, de toute façon, je ne saurais pas t'entendre." Elle pencha alors la tête en affichant un grand sourire pour le mettre en confiance et surtout pour qu'il ne s'en veuille pas d'être aussi muet depuis le début de la conversation. Le seul regret qu'elle aurait pu avoir, c'était de savoir la couleur qu'il possédait, la couleur que ses paroles allaient prendre aux yeux de la mutante. Ca devrait sans doute être une couleur apaisante, oui, c'est ça, une couleur douce et discrète. Sa main quitta alors de la barre pour se retrouver sur la balle, s'apprêtant à donner la première impulsion. "Au cas où tu ne serais pas familiarisé avec ce genre de jeu…" Après tout, son jeune âge ne lui avait peut-être pas permis de mettre la main sur ce dinosaure du jeu vidéo. "Le but est de renvoyer la balle avec la barre afin de casser les briques et surtout, de ne pas la laisser tomber." Jessie visa alors une des briques comme premier coup, celle qui se trouvait à l'extrémité droite pour le jeune garçon, c'était souvent par-là que l'on commençait et poussa doucement la boule qui partit dans cette direction. Jessie recula et se plaça un peu plus loin du garçon pour lui laisser la place. La balle heurta la première brique, ricochant sur cette dernière en la faisant disparaître pour ensuite rebondir sur l'illusion du garçon et revenir vers ce dernier.
Les gens ici comprennent. Ils ne comprennent pas tout, ni moi, ce serait mensonger de le croire mais en général, que ce soit un cri, un silence, une colère, en général, ils comprennent. Parfois je les regarde, à bout de nerfs, cherchant des façons de se dissimuler aux yeux du monde. Ils arborent des façades, ils mettent en place des stratégies.
Au moment où je mets les mains sur la barre, je me demande quelle sera la mienne, quels sont mes échappatoires. Mon problème étant probablement que je n'ai aucune réponse à ces questions, je ne sais pas construire ces stratégies. Et quand je le fais, elles sont fragiles. Elles le sont trop. La douleur est une sensation qui me partage entre une grande peur de la ressentir à nouveau, et le besoin de la comprendre, de la disséquer pour enfin réussir à la considérer comme un objet... comme les autres. Pire que tout, chaque fois je m'imagine l'expérimenter sur les autres. Pas pour leur nuire, je sais bien que je ne les blesserai pas. Mais j'ai besoin de comprendre pourquoi, j'ai besoin de retourner cette situation dans tous les sens, essayer d'entrevoir un début d'explication à ce plaisir qu'il a ressenti. À me dire ça, je laisse échapper un sourire, fermant les yeux une seconde pour le faire disparaître du cours de mes pensées.
Les mains de la jeune femme viennent accompagner les miennes, heureusement sans s'y superposer. Heureusement, oui... « Tu es prêt ? » Je ne sais pas, à vrai dire. Je ne sais jamais. Je passe la langue sur mes lèvres, comme si j'allais vraiment lui répondre mais je sais qu'il n'en sera rien. « Ne t'en fait pas, si tu ne parles pas, de toute façon, je ne saurais pas t'entendre. » Je lève le regard vers elle, elle sourit. Elle ne m'entendrait pas ? Outre la compassion que cela devrait certainement engendrer chez moi – mais ne pas entendre, est-ce sensé me pousser à la plaindre ? Je ne sais quand plaindre les gens de toutes façons – je dois dire que cela me rassure plutôt. Une oreille vide pour des phrases sans mots, c'est d'une logique et d'une beauté parfaites... Et cela me convient parfaitement.
Elle m'explique le principe de ce jeu. Le jeu, je ne passe pas énormément de temps pour jouer, en général je le dépense dans des activités qui ne prennent que quelques instants aux autres. Parce que j'accorde une trop grande importance au décor qui peut m'entourer. Je saurais sans doute reproduire l'école à l'identique si je savais dessiner. Chaque moulure que j'ai regardée longuement, les emplacements des objets même si tout le monde a cette manie infernale de tout déplacer continuellement... Je garde le visage orientée vers le sol mais incline doucement la tête dans sa direction, pour lui montrer qu'elle a toute mon attention. Quand elle termine, je hoche de la tête et ressers mon emprise sur les poignées, juste assez longtemps pour donner un coup sur la balle quand elle revient vers nous. Je regarde la brique disparaître et la balle rebondir contre mon illusion, donnant cette impression de réel. Je suis la balle du regard alors qu'elle revient vers nous, dirige la barre dans sa direction et donne un coup plus fort, augmentant évidemment sa vitesse. Quand elle revient vers nous à nouveau, après avoir fait disparaître une nouvelle brique de couleur, je retire une main de la poignée et la tends dans sa direction, je veux sentir son contact sous mes doigts. J'attends qu'elle arrive et ôte ma seconde main pour la retenir quand elle arrivera. Mais finalement, je ne fais que la renvoyer en la poussant brutalement. Qu'elle les brise, ces briques, qu'elle démolisse tout ! Est-ce que cette jeune femme peut sentir ce que je sens ? C'est une odeur de sang sec, une odeur qui s'immisce dans vos narines. Tu la sens, partout autour ? Et ces briques, pourtant, je rêve de toutes les abattre en ce moment...
Certaines personnes trouvent les jeux vidéo violents, Jessica les trouvait défoulant. Renvoyer une balle sur des briques pour détruire un mur de pixel, c'était toujours une meilleure alternative que de distribuer des pains à tout va parce qu'on était en colère. Bon, dans le cas de Game Girl, c'était un peu différent, déjà parce que ça bonne humeur faisait qu'elle ne s'énervait jamais ou très peu et aussi parce qu'il lui arrivait de remplacer la brique par des gens, mais du genre qui l'avait cherché, qui volait les sacs des grand-mères au lieu de les faire traverser. Enfin, c'était toujours mieux qu'un bouclier, non ? La mutante regardait le mutant muet jouer au jeu qu'elle avait concocté pour lui, espérant qu'en brisant les murs de pixel, il puisse également briser les barrières qui le tenaient à distance des gens. Elle tiqua cependant lorsque ce dernier voulu arrêter la balle en pleine course avec ses mains. La balle n'allait pas forcément rapidement mais essayez d'arrêter une boule de bowling avec une seule main et vous allez voir comment votre poignet va vous en vouloir. Finalement, il renvoya la balle avec ses deux mains, ce qui avait dû lui faire un peu mal malgré tout. "Hey, fait attention !" La jeune fille se rapprocha de lui et attrapa ses mains pour les regarder. S'il ne voulait pas être touché, ça allait être raté parce que Jessie ne pouvait pas laisser une personne souffrir sans s'en inquiéter. Elle regarda les paumes qui commençaient déjà à prendre une teinte rougeâtre. "Tu vas te faire mal." Elle continuait à lui parler avec une voix calme et douce, un peu comme celle d'une mère qui, après avoir crié sur son enfant pour l'empêcher de faire quelque chose de dangereux, venait le réconforter juste après.
La balle, elle, revenait dans leur direction, la partie continuant. Surveillant son trajet du coin de l'œil, elle attrapa la barre d'une seule main et donna l'impulsion pour qu'elle rencontre la balle au bon moment, ce serait triste de perdre une vie comme ça. La balle rebondit et avec le talent de Game Girl, qui n'usurpait pas son titre de meilleur joueuse de l'institut, alla se loger au-dessus du paquet de brique, ce qui leur laissait un peu de temps libre pour discuter. Elle souffla sur les paumes du jeune mutant dont elle ne connaissait toujours pas le nom… d'ailleurs il ne connaissait pas le sien tout bien réfléchit. Elle avait manqué à la politesse d'usage et elle allait y remédier. Elle lui lâcha les mains et tendit la sienne. "Au fait, je m'appelle Jessica, mais tu peux m'appeler Jessie." Lui dit-elle avec un large sourire. Vu les précédents échanges, elle se doutait qu'aucune réponse n'allait sortir de la bouche du mutant mais ce n'était pas grave. D'habitude, les gens dont elle ne connaissait pas le nom était appelé par la couleur de leur parole, mais dans le cas d'un muet, ça rendait le tout compliqué. Elle allait donc l'appeler Roger, c'était bien Roger. La balle avait terminé son travail au-dessus, ayant brisé assez de briques pour se frayer un passage et ressortir. Alors qu'il allait quitter la zone de jeu, Jessie tendit le bras et claqua des doigts, tous les éléments du jeu explosant en pixel, retombant comme de la neige digitale avant de disparaitre en touchant le sol. Le jeu ne servait plus à grand-chose, surtout si Roger voulait se blesser avec. Elle observa alors les murs qui étaient planté là, l'illusion crée par le mutant. "Tu sais faire apparaître d'autre chose ? A part les murs ?" Elle posait la question pour savoir les limites que pouvait avoir un tel pouvoir. Après tout, elle ne pouvait faire apparaître que des éléments de jeu vidéo, d'autres ne pouvait parler qu'à un certain type d'animaux alors pourquoi pas un mutant qui pouvait faire apparaître des murs intangibles ? "Quelque chose de plus joyeux ?" oui, parce que même s'ils étaient monnaie courante dans son univers vidéoludique, elle ne voulait pas affronter une armée de mort vivant dès le matin.
Mon visage se ferme, j'ouvre les mains paumes vers le ciel et les observe une seconde avant que la jeune femme n'arrive, me sommant de faire attention. Je tourne le visage dans sa direction, les yeux exorbités quand elle prend mes mains dans les siennes. Faire attention, mais à quoi et pour quoi ? Et pourtant, malgré mes questions, je ne quitte pas nos mains du regard et finalement balance mes pupilles sur le décor qui nous entoure. Cette école, il est vrai, est rassurante. Comme si rien ne pouvait jamais arriver. Et pourtant, nous ne sommes pas en sécurité. Je ne le suis pas avec elle, et elle ne l'est pas non-plus avec moi. Depuis ma discussion avec Gabriel, je prends sur moi pour ne pas penser à la créature, quel nom puis-je réellement lui donner ? Le mauvais rêve.
Je vais me faire mal ? Je la regarde souffler sur mes mains après avoir renvoyé la balle. Quelque chose en moi me demande pourquoi d'y glisser à nouveau les mains, bien que maintenant rougies par le contact. J'ai peur qu'il vienne, qu'il intervienne et soudain, je crains d'adopter son rapport à la douleur, son rapport au plaisir. Qu'est-ce que le plaisir ? Les sensations sont multiples et la palette des émotions me paraît parfois interminable, comme un poème dont les rimes s'enchaînent, se suivent et s'embrassent éternellement. Je serre les dents. Je ne vais pas me faire mal, je vais te faire mal. Je passe distraitement la main sur ma joue, remonte jusqu'à mon oreille, caressant la peau du bout des ongles sans les enfoncer pour l'instant.
Elle abandonne mes mains et tend l'une des siennes pour se présenter. Je tends mon bras en avant, paume vers le ciel et les doigts légèrement pliés et finalement je pose mon pouce contre sa main, remonte le long de son bras. Je regarde la peau fine se mouvoir sous mon contact comme la surface d'une eau calme qui s'apaise après avoir laissé passer une vague, une onde, un événement déjà oublié. La peau n'oublie pas pourtant, le corps ne pourra jamais vraiment oublier. Il fait semblant mais un souvenir, une odeur, une impression et vous sentez ces picotements dans votre nuque ? Vous sentez la chair de poule sur vos bras ? Vous sentez ce nœud qui vous empêche de respirer convenablement ? Le corps n'oublie pas. Tant pis pour la raison...
Je tourne la tête quand la balle s'éloigne et que « Jessie » fait soudain disparaître le décor. Je fronce les sourcils en regardant les éléments de ce mur fictifs retomber en grains clairs. Je tends la main sans en sentir la moindre sensation et mon mur s'efface progressivement lui aussi. Ma tête a un petit mouvement sur le côté, rapide, et elle reprend sa place initiale. Je lève mon regard vers la mutante puis fouille les alentours des yeux, personne. Personne de menaçant du moins, et qui pourrait profiter d'un moment d'inconscience. Je m'assieds en tailleur dans l'herbe et fais signe à Jessica de me rejoindre. Elle s'assied en face de moi. Ne t'en fais, je ne veux pas te faire de mal. Ou si.
Je balance ma tête en avant puis rabats mes genoux contre mon torse. Le soleil tourne lentement, une balle semblable à celle que nous manipulions précédemment s'abat près de nous. Nous sentons les vibrations du sol qui subit la chute. Je lève les yeux au ciel, la lumière est artificielle, elle se balance comme une ampoule qui danserait dans le vide. Les murs reviennent, s'érigent, mais il ne s'agit plus de briques. C'est le béton. Gris. Froid. Avez-vous l'impression que c'est l'illusion qui se crée ? Jessie, crois-tu que les murs qui nous enserrent sont des illusions ? Ce n'est pas le cas. Nous sommes ici, au cœur de la chimère. Je porte le doigt à ma tempe et la tapote quelques fois. Pourquoi faut-il que nous nous retrouvions ici ? Jessica, tu es toujours dans le jardin de la X-Mansion. Nous sommes allongés dans l'herbe fraîche. Tout cela, c'est du faux. En es-tu consciente ?
Dans cette chimère, je me mets debout. Mon doigt quitte ma tempe et vient se réfugier dans mon dos. Je claque des talons, les pieds joints. Je déteste cette sensation. Je passe la main gauche sur ma bouche, est-elle libérée de cette matière visqueuse ? Je cale mes doigts sur l'épaule de Jessica et découvre finalement ma main droite, affublée des griffes du mauvais rêves. Démesurément grandes. Elles me font peur. Elles me font mal. Je prends une profonde inspiration et d'un mouvement sec, je les envoie vers Jessie. Elle traverse la mutante complètement, se traçant un chemin dans les chairs, les organes, les artères, dévastant tout sur leur passage. Et elles craquent la peau pour réapparaître dans son dos. Je me mords la lèvre et regarde autour de nous. N'est-ce pas la cave ? Sans la regarder dans les yeux, je lui demande d'une voix qui n'est pas la mienne, articulant exagérément : « Dis-moi. As-tu mal ? » Ce n'est qu'une illusion. As-tu seulement des pouvoirs ici ? C'est pour du faux, es-tu consciente que tu ne saignes pas vraiment ? Il n'y a que la douleur qui soit réelle. Alors... as-tu vraiment mal ?
Le monde était revenu à la normale avec la disparition des éléments vidéo ludique de Jessica. Alors qu'elle s'attendait à voir le jeune garçon lui serre la main ou que, au contraire, il l'ignore prestement, ce dernier approcha sa main et posa uniquement son pouce sur sa paume puis le fit remonter le long de son bras. La coutume était étrange et Jessie ne la connaissait pas mais peu importe, elle le laissait faire pour ne pas le contrarier. C'était la première fois, depuis le début de cette rencontre, qu'il daignait faire un pas dans sa direction, c'était déjà mieux que rien aussi, elle se contentait de lui répondre par un sourire. Puis, le mutant prit place dans l'herbe, invitant la jeune fille à faire de même. Elle s'exécuta rapidement pour prendre place à ses côtés, jouant avec les brins d'herbes qui se trouvaient à proximité. Ce n'est pas comme si elle était habituée à se retrouver dans cette position assez souvent, à chaque fois qu'elle sortait sa veille console portable dans un parc ou autre. Le silence revient, presque plus pesant qu'auparavant, Jessica attendant surtout une nouvelle attention de la part de l'adolescent après lui avoir proposé de s'asseoir. Elle ne voulait que l'encourager à prendre une nouvelle initiative, à lui dire son nom ou autre chose. Quand soudain, un choc attira l'attention de la mutante, une couleur lui passant devant les yeux. Elle tourna le regard pour voir une balle qui venait de tomber sur le sol, probablement du ciel. Mais pourquoi ? Comment ?
Elle releva la tête, peut-être pour y trouver une réponse à cette apparition, comme un autre pensionnaire qui voudrait leur faire une blague mais rien. Même encore moins que rien puisque le ciel était à présent noir, non pas couvert, ou comme lors d'une nuit sans lune mais juste noir, comme si toute lumière n'était jamais parvenu ici. Puis une lumière arrive enfin à ses pupilles, une lumière artificielle, froide, qui fait mal aux yeux. Elle regarde autour d'elle, se levant en panique pour constater qu'elle est à présent entourée de murs. A quoi jouait-il ? Était-il encore en train de lui montrer ses talents d'illusion ? Elle lui avait pourtant demandé quelque chose de plus amusant, pas de plus flippant. Elle posa sa main contre le mur le plus proche pour constater qu'il était bien réel et loin d'être l'illusion de tout à l'heure. "Qu'est-ce que tu fais ?" posa-t-elle au responsable en se retournant. Elle n'eut pas le temps d'aller plus loin qu'une douleur lui traversa la poitrine, lui coupant le souffle. Elle baissa les yeux pour voir, avec horreur, que la main du mutant la traversait de part en part, s'étant transformée en griffe pour l'occasion. Elle posa sa main sur le mur le plus proche, cherchant à comprendre ce qui lui arrivait et surtout pourquoi il agissait ainsi.
Une couleur sortit de la bouche du jeune garçon, une couleur qui ne lui ressemblait pas. Bien entendu, elle ne l'avait jamais entendu parler et ne pouvait donc pas juger mais elle était persuadée que les paroles qui venaient d'être prononcée n'était pas les siennes. Machinalement, elle porta sa main à sa poitrine pour constater le sang qui s'échappait de son corps et la regarda devenue complétement écarlate. Cependant, quelque chose l'interrogeait, au vu de cette agression. La blessure était profonde, lui avait traversé les organes et elle devait donc, tout naturellement être morte. Et quand ce genre de chose arrivait, elle se réveillait dans sa chambre en perdant une vie. Mais là, rien, juste cette douleur que son cerveau ne cessait de traiter. Était-elle quand même dans une illusion ? Qu'est ce qui était vrai, qu'est-ce qui était faux ? Était-ce un souvenir, ce pourquoi il ne parlait pas et essayait d'éviter tout le monde ? "Je t'en prie..." Ses jambes perdirent de leur force, cédant sous le poids qu'elles n'arrivaient plus à supporter. Tombant sur ses genoux, Jessica cracha du sang qui se répandit sur le sol entre eux deux. Sa vue commençait à se troubler et la seule chose qui la maintenait encore dans cette position était la main plantée en elle. A bout de force, elle tendit son bras pour attraper celui du mutant qui ne l'avait pas agressé. Elle essayait de le serrer, de faire sentir sa présence mais était trop faible que pour y arriver. Sa tête se balançait uniquement avec les soubresauts de son corps, son regard dans le vide et sa mâchoire pendante. "S'il te plait… arr… arrête." Arriva-t-elle a articulé avant que son bras ne tombe sur le sol, suivi par sa tête qui se baissa, laissant couler des gouttes de sang.
Pardonne-moi, redonne-moi ce que j'ai été. Redonne-moi le son. Redonne-moi les mots. Et pardonne-moi. Je baisse moi-même les yeux sur ce qui est sensé être ma main ; mais ça ne l'est, je n'ai que volé une apparence, une image, des ombres, j'ai emprunté une impression, une fièvre, un haut-le-cœur. Et pourtant, j'ai bien cru sentir la chair brûlante entre mes doigts, et pourtant j'ai bien cru... mon regard ne peut s'arracher à cette triste contemplation, il s'y perd longuement. Est-ce que ça me fait quelque chose à moi ? Est-ce que je devrais ressentir un certain plaisir à sa détresse, à son impuissance, à son mal ? Pourquoi est-ce qu'il a semblé se plaire et complaire dans cette situation ô combien malsaine et pénible ? Comment a-t-il osé sourire ? Ma main a disparu, elle a disparu en elle, Jessie. C'est à la fois fascinant et effrayant. Je ne parviens pas à lever les yeux vers elle, je ne saurais pas quoi lui dire.
Elle s'appuie sur le mur, je comprends, je crois. Je voudrais m'appuyer en face d'elle, je voudrais me prostrer contre ce mur et lui tendre mon épaule pour qu'elle puisse s'y appuyer. Je pourrai le supporter ici, je voudrais qu'elle sache que c'est faux, que ce n'est que pour savoir ce qu'il se passe dans sa tête et dans son cœur. N'aie pas peur, je m'excuse. Je ne veux pas te blesser, uniquement te faire du mal. Ça ira... tout ira bien.
Elle porte sa main à la blessure et expose ses doigts aux reflets rouges qui brillent et scintillent sous la faible lumière du plafond. Elle ne demande qu'à s'éteindre, tressaute par moments. Je fixe le plafond, admire silencieusement les traces des griffes du « mauvais rêve ». Ici, il ne peut rien me faire alors je peux prendre mon temps, remuant doucement les doigts dans l'abdomen de Jessica.
C'est comme jouer quelques notes de piano mais la musique est suintante, elle est dérangeante. Mon regard ne quitte plus le plafond et je l'entends qui me parle. « Je t'en prie... » Mes yeux fouillent les alentours, et pourtant sa voix n'est pas un écho. Elle est une plainte, ici, à ma portée. Alors que son corps semble chavirer, je retire ma main. Je sens les griffes qui glissent contre quelques côtes égratignées, quittent un poumon perforé, abandonnent quelques boyaux déchirés. Je regarde la main avec horreur, il est là. Il est là. Je la fixe, ses griffes, à lui. Il reviendra, et je ne pourrai pas le faire partir.
Jessica commence à cracher du sang sur le sol, elle se tord, tombe, ayant vainement essayé de s'accrocher à mon bras libre. Mes doigts reprennent leur taille normale et je me penche vers la jeune mutante. Je m'assieds près d'elle, la regarde quelques instants. Mes doigts viennent heurter la surface paisible de la petite flaque de sang dans laquelle elle baigne. Mais... elle ne m'a même pas répondu. Je m'écarte, pourquoi faut-il qu'elle ne dise rien ? Je m'adosse au mur et m'y laisse glisser quelques instants. Elle a les yeux ouverts, respire-t-elle seulement encore ? Est-ce qu'elle retient son souffle aussi, à la X-Mansion, allongée dans l'herbe fraîche ? Je la chasse alors de l'illusion et m'y retrouve seul. J'entoure mes genoux de mes bras et baisse la tête. Je ne lui ai pas fait physiquement de mal, pas vrai ? « Je sais que tu es quelqu’un de bien, Sterling. Tu es une personne généreuse et qui ne fera jamais de mal à personne. » Mon doigt taché de son sang rencontre ma tempe et je relève doucement la tête. Un sourire fade plane sur mes lèvres. « Non... bien sur. »
Je balance ma tête en arrière. Je reste ici quelques minutes, à peine quelques minutes, réfugié dans ce coin de ma tête. Et je sors.
C'était ça, le fameux tunnel blanc ? Jessica avait déjà souvent flirté avec la mort mais son pouvoir lui permettait de revenir à chaque fois. Pourtant, il lui restait encore un stock de vie alors… pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'elle se sentait aussi légère, qu'elle ne sentait plus le poids de son corps. Presque machinalement, elle chercha à porter sa main contre sa poitrine, sans même savoir si elles se trouvaient encore là. Son cœur ne semblait plus battre non plus, un simple rythme qui nous accompagne sans qu'on l'entende mais qui nous manque terriblement lorsqu'il s'arrête. Que c'était-il passé dans cette illusion, si seulement s'en était une ? Pourquoi l'avait-il attaquer ? Et pourquoi ses pouvoirs ne semblaient pas fonctionner ? Toutes ces questions qui n'auront à présent plus aucune réponse. Puis, un léger vent caressa ce qui devait être son visage.
La sensation étrange de poumons qui retrouvaient de l'air, comme après avoir retenu sa respiration un peu trop longtemps. Jessica se redressa, de nouveau en vie, toujours dans les jardins de l'institut comme si rien de tout ça n'était arrivé. Elle regarda son corps et ses vêtements pour ne trouver aucune trace de blessures ni même de sang. Tout lui avait semblé pourtant si réel. Elle avait du mal à retrouver son souffle, comme si son cerveau avait du mal à se souvenir comme on devait respirer. Elle se remit en position assise, ses jambes repliées en essayant de calmer son corps qui s'affolait de toute part, les yeux clos. Le petit animal de compagnie, jusque-là vacant à ses occupations, venait à présent à sa rencontre pour voir l'état de sa maitresse, se frottant à elle pour la réconforter. En guise de réponse, elle lui frotta la tête une fois revenue à la normale. Elle pensa alors à son agresseur, peut-être malgré lui, qui l'avait entraîné dans cette expérience. Se tournant vers le mutant, elle s'en approcha et le prit par les épaules. "Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" Elle posait d'abord la question sur les évènements qui venaient d'arriver puis, se souvenant que le jeune homme était resté distant depuis le début de leur conversation, elle se ravisa et retira ses mains. "Je veux dire… ce n'était qu'une illusion, c'est ça ?" Même si l'envie d'avoir des réponses lui brulait les lèvres, elle ne voulait pas faire peur au mutant et encore moins retourner dans cet endroit. Le pokemon de compagnie lui, regardait d'un œil inquiet le jeune homme assis dans l'herbe, attendant un autre mauvais coup de sa part.
Jessica se remit à sa place mais se permit malgré tout de poser sa main sur celle du mutant. A peine le contact eu lieu que son esprit fit apparaitre l'espace d'un flash les griffes qui venaient de la transpercer. La mutante retira sa main de peur avant de la remettre, se rendant compte que ce n'était qu'une transposition de son esprit. Elle ignorait pourquoi et même laquelle, mais tout ceci venait d'arriver pour une raison, si elle avait été dans cette pièce mal éclairée et transpercée par cette main qui n'appartenait pas au mutant. Elle aurait bien voulu se montrer aussi chaleureuse qu'elle l'était habituellement mais de toute évidence, ce traumatisme l'avait affecté bien plus qu'elle ne voulait l'avouer. Elle restait aussi silencieuse que son interlocuteur quelques instants, ne sachant pas trop quoi dire pour le rassurer. Sa bouche possédait encore le goût métallique du sang qui y avait coulé un peu avant et chaque respiration semblait lui transpercer la poitrine comme si le trou béant était toujours là. "C'est quelque chose qui t'es arrivé ?" finit-elle par articuler en regardant le jeune homme dans l'herbe, se risquant à cette question. Tellement choquée par ce qu'il venait de se produire qu'elle en oubliait même qu'elle ne comprendrait pas ses paroles, à part quelques fragments d'arc-en-ciel.
Je ferme les yeux, juste une seconde et c'est comme sortir d'un rêve. C'est brusque, immédiat. Le réel reprend possession de tout, des lieux, des personnes, il ne reste que les sensations et les souvenirs, il ne reste qu'une impression poisseuse sur ma main comme si elle était encore salie de son sang chaud et épais, comme si j'avais encore la main plongée en elle. Je reste un moment allongé dans l'herbe, j'ai l'impression que ça dure longtemps et cette position me convient, me convient parfaitement. Je passe ma main contre l'herbe pour en effacer les sensations, la chaleur, la saleté, la lourdeur.
La presque obscurité de mes yeux fermés, les bruits de l'extérieur qui reviennent petit à petit. Je m'attarde sur chacun d'entre eux comme si je les entendais pour la première fois. Je me plais à faire comme si c'était vraiment le cas. Je rouvre les yeux sur l'extérieur, calme, profondément calme. Je n'ai pas obtenu les réponses que je cherchais mais ce n'est pas grave, je les trouverai plus tard. Je n'en doute pas. Je tourne le regard vers Jessica, qui semble elle avoir du mal à retrouver son souffle. Je reste assis dans l'herbe, ignorant si elle voudra me confier ses impressions, ses sentiments au sujet de cette visite dans... cet endroit. Au lieu de ça, elle me rejoint, accompagné de son petit animal, et vient me saisir par les épaules. Je fronce les sourcils et cherche simplement à me dégager de sa prise d'un mouvement d'épaule brutal. Je pars en arrière alors qu'elle s'exclame maintenant "Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"
Je la fixe, je regarde ses lèvres, son menton, son cou. Où ? Quand ? Elle était là, j'étais là et elle a bien vu ce qui s'est produit, elle l'a vécu. N'est-ce pas ? Je penche légèrement la tête sur le côté avant de baisser le regard contre ma main. Je remue doucement les doigts, comme une menace latente. "Je veux dire… ce n'était qu'une illusion, c'est ça ?" J'inspire profondément, balade mon regard vers l'institut puis sur le reste du jardin de le ramener dans sa direction, à défaut de pouvoir la regarder dans les yeux. Je hoche de la tête doucement, même pas pour la rassurer mais simplement pour lui dire la vérité. « Qu'une » illusion. Sans contact avec la réalité. Aucun. Aucun. Aucun contact ! Aucun contact avec la réalité ! Je passe les doigts sur ma tempe, oui c'est ça.
Sa main vient heurter la mienne quand elle la retire soudain. Je la regarde faire, où veut-elle en venir ? Elle la repose, je l'observe, une pointe d'appréhension inscrite sur les traits de mon visage. Je regarde la petite créature à ses côtés, me demandant si ça peut aussi être envoyé dans une illusion. Je l'observe soigneusement, mais pas aussi longtemps que je le voudrais car sa respiration toujours un peu forte me dérange. Elle finit par me demander si... non. Je suis vivant, non, ça ne m'est pas arrivé. Non. Non, et non.
Je secoue la tête et me mets debout. Comme si de rien n'était, comme si cet intermède horrifique n'avait pas eu lieu, je me mets à réfléchir à quelque chose à lui créer. Elle m'a demandé quelque chose de plus joyeux, ou de plus beau, que les murs. Mes pensées divaguent dans tous les sens puis je lui fais signe de s'approcher, doutant qu'elle le fasse vraiment. Je tends le bras vers l'herbe fraîche et essaie d'en faire sortir une fleur par-ci, une par là. J'aime beaucoup les coquelicots. Ils se réveillent et grandissent, ne seraient-ils pas plus grands qu'ils ne devraient l'être ? Peu importe, ils sont pour elle. Je les trouve certainement plus beaux que les murs, et elle ? Elle ne doit pas avoir peur, je ne lui ferai pas de mal. N'ai-je pas dit que je ne ferai de mal à aucun habitant de cet institut ?
Comme elle pouvait s'y attendre, il n'y eu aucune couleur qui sortit de la bouche de l'élève. L'idée qu'il soit muet ne lui effleura pas l'esprit car, et elle était bien placée pour le savoir, une personne handicapée essayait toujours de se faire comprendre, d'une manière ou d'une autre. Ici, c'était un mutisme, une volonté de ne pas parler si ce n'est que par de simple geste qui semblait plus automatique qu'autre chose. Jessica n'en connaissait pas la raison mais au lieu de la rendre curieuse, ça l'intriguait, elle se demandait ce qu'il avait bien pu lui arriver pour qu'il se renferme ainsi sur lui-même, comme elle avait pu le faire à une époque. Sauf que dans son cas, c'était survenu après la mort de sa sœur, par sa propre inconscience. Avait-il lui aussi perdu quelqu'un de proche, d'une manière atroce ? Comme simple réponse, il se contenta de placer son doigt contre sa tempe, ce que la jeune joueuse compris comme étant un signe que tout sortait de sa tête, sans doute de noires pensées enfouies dans son inconscient. C'était ce qu'elle espérait du moins, ne voulant pas être en présence d'un véritable psychopathe au visage d'ange. Il se relava et s'éloigna légèrement, Jessie le suivant du regard avec un peu d'appréhension. La dernière expérience dans laquelle il l'avait entraînée ne lui donnait guère envie de le rejoindre rapidement.
Elle finit cependant par se redresser pour le suivre, à quelques pas de distance, disons assez pour ne pas que son bras puisse de nouveau lui caresser l'estomac directement. Elle resta toujours à une distance respectable lorsqu'il lui demanda de s'approcher, attendant de voir ce qu'il allait faire. L'animal virtuel qui l'accompagnait s'était mis devant elle, en guise de protection et montrait les crocs, prêt à lancer une attaque charge si il lui montrait la moindre volonté d'attaquer sa maîtresse. Devant eux, des fleurs commencèrent à pousser, et à pousser, et à pousser. Là où l'herbe se tenait, il n'était maintenant plus question que d'un long parterre de fleur. Était-il en train de lui offrir la chose plus agréable qu'elle lui avait demandé, comme si ce passage n'était jamais arrivé ? Son regard passait des fleurs à leur créateur sans vraiment savoir quoi faire avec le reste de son corps. Le pokemon à ses pieds se montrait toujours méfiant, visible à la couleur ocre qui émanait de ses lèvres. "Chut, ce n'est rien." Elle se baissa pour lui caresser le haut du crâne entre ses deux oreilles, action qui pour une fois ne le calma pas. Elle décida alors de prendre à sa ceinture la balle provenant du même jeu que la créature afin qu'il puisse se calmer dedans. L'animal disparu, transformé par un rayon rouge qui sembla comme aspiré par la balle qu'elle tenait en main. Elle s'approcha alors finalement des fleurs, sans les regarder réellement, ses yeux surveillant toujours du coin de l'œil l'illusionniste. Après quelques secondes où il ne se passait rien de dangereux, la gameuse finit par relâcher son attention et e pencha vers les coquelicots fraîchement créés. Elle passa sa main au-dessus, n'osant pas les toucher. Malgré la douleur qui lui tiraillait toujours le ventre, psychologiquement du moins, elle se força à reprendre un peu de sourire. "Elle sont belles." Dit-elle doucement, avec un petit sourire en coin. Elle se redressa ensuite pour se tenir à côté de son interlocuteur, regardant cette fois-ci bien le champ devant eux et non pas ce dernier. "Tu devrais faire apparaître ce genre de chose plus souvent, ça rend cet endroit plus plaisant." Elle se forçait de rendre à cette conversation un ton un peu plus gai. "Tu pourrais en faire apparaitre jusqu'où ?" Elle posait la question en se demandant la limite de ses pouvoirs, par rapport au sien qui avait plus ou moins les mêmes propriétés. "Montre-moi." Elle l'invita d'un geste de la main tendue vers le champ de fleur et l'enceinte de l'université.
On ne va jamais assez loin, on ne court jamais assez vite, on ne crie jamais assez fort. Elle s'éloigne, elle prend ses distances, elle se protège. C'est inutile. C'est superflu. C'est vain.
Pourquoi avoir peur de ce qui n'est pas réel ? Et pourquoi avoir peur de ce qui nous rend vulnérable ? J'ai eu peur de perdre ce contrôle qui me permet de garder les idées claires, c'est le contrôle qui nous fait nous sentir vivants. Les hommes et les femmes n'aiment pas être impuissants, ça les terrifie, ça les renvoie à l'état d'enfants. Mais quand vous êtes constamment un enfant, nous ne pouvez plus craindre d'être vulnérables. Vous avez peur de perdre cette petite part de contrôle et quand c'est fait, que reste-t-il ? Longtemps, je n'ai pas su me représenter la mort. Elle n'est qu'un spectre, comme une légende urbaine qui n'a pas d'existence réelle. Elle ne peut pas nous faire mal parce que mort, nous ne souffrirons plus jamais. L'absence, elle, de ceux que nous aimons, elle nous retourne les tripes, normalement ? Les absences ne sont pas définitives. Alors pourquoi avoir peur ?
La douleur ne te tuera pas, voudrais-je lui dire. Pas pour la rassurer, simplement pour qu'elle le sache. Je ne pense pas qu'elle puisse vraiment en mourir. Son cœur ne lâchera pas, son cœur ne l'abandonnera pas dans ce combat contre le fantastique, contre l'irréel. Elle le côtoie elle-même, elle ne peut pas y succomber. Elle ne le doit pas, parce que sinon, elle ne me dira pas ce qu'elle a ressenti.
On ne va jamais assez loin, on ne court jamais assez vite, on ne crie jamais assez fort. Elle s'éloigne, elle prend ses distances, elle se protège. C'est inutile. C'est superflu. C'est vain.
J'ai besoin de le savoir, et surtout j'ai besoin de réitérer l'expérience. Peut-être pas tout de suite et pas sur Jessie, mais je dois recommencer pour comprendre, pour disséquer ce qui me sert l'estomac, ce qui me bloque quand je regarde en arrière. Je jette un œil vers l'animal, sans vraiment le craindre, juste avec cette sorte d'aversion que j'ai pour lui et tous ceux qui sont plus réels – ou naturels – que lui. Et dès lors je fais pousser les fleurs. Elles s'élèvent doucement autour de nous, sans bruit gênant, simplement. Quelques-uns puis si nombreux qu'ils en viennent à dissimuler l'herbe fraîche au sol, à nos yeux du moins. Nous caressant les doigts du bout de l'esprit, ils se balancent sous l'effet d'un courant d'air qui en réalité ne les atteint pas. Jessie caresse son petit animal puis le fait disparaître, il a senti le danger. Il a senti un danger qui n'existe pas. Je ferme les yeux une seconde avant de les rouvrir sur l'étendue rougeoyante qui prend forme autour de nous.
Son regard reste orienté vers moi, je le sens mais bientôt, elle est de nouveau en confiance. Je me rapproche d'elle, passant à travers quelques fleurs qui ne disparaissent que sur mon passage et réapparaissent derrière moi. Elle se redresse, se tient à côté de moi, le visage droit. À ses mots, je me demande alors ce qu'elle trouve désagréable ici. J'ai été émerveillé par les lieux dès ma première visite. Ce que représente cet endroit est superbe, sans nul doute. Je fronce les sourcils quand elle demande jusqu'où je peux en faire apparaître ? Elle tend le bras et je le suis du regard. C'est dans nos têtes, y a-t-il des limites dès lors ? Il n'y en a pas. Je fais deux pas, me mets devant elle puis tourne pour me retrouver en face de Jessie. D'un geste de l'index, je lui demande de ne pas bouger. J'approche mes doigts des siens, hésite une seconde et vais finalement plus loin dans le geste. Mes doigts viennent timidement toucher les siennes. J'affiche une mine gênée puis reste concentré sur sa main. Ce champ, il n'y a qu'elle qui puisse le voir. Il est dans sa tête, pour elle, comme sa douleur. Alors quelles limites ? Aucune. Un point vert apparaît contre son pouce et une tige se dessine autour de son poignet. « Ça aussi, c'est irréel » lui dis-je d'une illusion sonore, sans desserrer les lèvres. Pourquoi lui dis-je ? Est-ce parce que je sens sa main qui tremble doucement dans la mienne ? Et la fleur grandit autour de son bras, déploie d'immenses pétales rougeoyants qui en viennent par couvrir partiellement son bras, jusqu'à remonter dans son cou. Je lève les yeux sur elle sans croiser son regard, attendant de voir sa réaction avant de couvrir sa joue. Irréel, c'est irréel, mais n'est-ce pas beau ?