biographie
"De toute façon tout va disparaître."Une vie brillante pour Kurt Lamer. Brillante de cet éclat simple et fade qui vient de quelque chose de propre. Pas parfaitement entretenu, bien lustré ou autre chose. Juste propre.
Il serait bien stupide de dire que l'enfance de Kurt Lamer fut normale, classique. S'il n'a rien fait d'exceptionnel, il n'a rien fait d’extraordinaire non plus. Il a vécu. Rien de banal, ça ce n'est pas possible, puisque la façon qu'a chacun de considérer les choses et le monde suffit à rendre le moindre évènement poignant.
Kurt a vécu, donc.
Il a eu la chance de profiter des nombreux évènements culturels organisés dans sa ville natale, d'où il n'a pas bougé jusqu'à son déplacement à l'étranger pour ses études en physique quantique. Celles-ci furent fructueuses, chose qui rend ses parents très fiers, bien que leur sourire plein de respect ne soit désormais plus qu'un souvenir. Une fois par an, Kurt vient déposer des fleurs sur leur tombe, à qui il fredonne toujours la même promesse : Travailler d'arrache-pied pour rendre le monde meilleur.
Les pas écrasent les feuilles dans le cimetière de Tallinn. Ce n’est pas là où sont enterrés les parents de Kurt mais ce n’est pas grave, l’enfant aime se promener en ces lieux. Ces endroits sont pour lui des marques de mouvement. Même en Occident où l’immobilité et l’éternité semblent être des valeurs importantes, la verdure, la décrépitude qui recouvre les pierres, la reprise des concessions, tout ça lui prouve bien que le monde bouge… Vers un futur bien particulier, un avenir que lui connait.
En grandissant, Kurt a assisté à l’arrivée des mutants. Leur officialisation, leurs combats, justes ou non, leurs victoires, leurs peines… Spectateur attentif, il a tout observé, tout analysé, intéressé par ces évènements qui secouaient les médias, sans pour autant être fasciné. Ce n’était pas les problématiques sociales et politiques qui lui donnaient cette motivation, ces conflits-là ne dataient pas d’hier. Mais les capacités surhumaines développées par tous ces individus, en revanche, avaient de quoi donner de l’eau au moulin de ses machinations.
Petit-à-petit, les débats à propos de la condition des mutants le lassèrent profondément. Le rejet, la peur de l’autre sont des problématiques déjà visitées maintes et maintes fois, et jamais résolues. Le fait de donner une grande importance à ces êtres extraordinaires à travers de multiples émissions rendait Kurt malade par moment. Il en perdait sa foi en l’humanité, parce que c’était la preuve qu’elle se voilait la face, qu’elle tournait en rond pour éviter de faire face aux problèmes.
Forcément, des boules de feu, ça fait vendre, mais cela rendait d’autant plus inhumain le marketing qui s’était développé autour de ces évènements.
Comme s’il fallait détruire une ville entière ou faire ressortir des nazis de terre pour réaliser qu’il existe des êtres différents au sein de l’espèce humaine, là où le barrage de la langue pouvait suffire pour créer toutes les formes de discriminations au monde. Moins impressionnant que des lasers, c’était le problème.
Kurt savait de quoi il parlait, c’était l’une des problématiques de son pays depuis qu’il avait obtenu son indépendance en 1991. La situation complexe dans laquelle se trouvaient les russophones pour s’entendre avec les institutions estoniennes, les divisions que cela provoquait, le chômage, les partis qui tentent encore aujourd’hui de récupérer ces âmes en peine pour les fondre dans telle ou telle idéologie… avec l’ombre de la Russie au loin.
Le temps passe et le scientifique se dit qu'il n’a vraiment rien contre les mutants : pour lui ce sont des personnes comme les autres. Seulement, tous les mouvements d’agitation créés autour d’eux l’excèdent au plus haut point. Pour lui, c’est une façon de manipuler l’opinion, de lui faire voir autre chose que les problèmes qui importent : une occasion rêvée pour régresser et relancer des chasses aux sorcières comme au Moyen-âge. Triste Histoire…
Avec ses études, sa réussite socioprofessionnelle, Kurt travaille sûrement d’arrache-pied afin de faire de nouvelles découvertes dans le domaine de la physique quantique. Il faut croire que c’est un scientifique un peu complotiste, qui se donne l’air d’être d’avant-garde mais qui finalement, ne change pas grand-chose. Celui sympathique avec son côté sarcastique, son aigreur qu’il emportera dans la tombe… Oui… C’est ce qui ferait bien plaisir aux oreilles. Quelques personnes proches espèrent que c’est le cas, qu’il est comme ça. Cela les rassurerait.
L’arrivée des mutants dans le monde civilisé et la manière avec laquelle ils sont traités alarme sérieusement Kurt, au point même qu’il s’est décidé de trouver une solution pour remédier à ce problème par ses propres moyens.
Et pas de volonté de changer un petit aspect du monde en parvenant à déchiffrer de nouvelles lois de l’univers, non. Surtout pour ce que tous les surhumains en faisaient, ça finissait par ne plus avoir de sens : ne pas les respecter devenait la règle, alors à quoi bon ?
Si l’on prenait les mutants et leur sens de la démesure, ou du moins, celui qu’on devait lui donner, le commun des mortels pouvait tout envisager d’un point de vue nouveau. C’est ce que tenta de faire Kurt et il ne fut pas déçu du voyage. Il ajouta cet étrange filtre à ceux qu’il avait déjà devant les yeux pour parfaire son avis sur le monde, se forger de redoutables certitudes.
Il revint à la charge à propos de ces fameuses lois de l’univers : en grattant un peu, proche des limites de ce système implacable (pour lui, pauvre humain) Kurt a découvert que tous ces changements, ces turbulences dans l’univers, et cette (satanée) incapacité chronique des terriens à assurer leur cohésion provenaient d’un dérèglement de l’ordre du monde, lequel aurait été provoqué par une onde de choc venue du futur.
Persuadé d’être dans le vrai, traquant les évidences, les preuves, les explications à propos de cette théorie folle, Kurt désire désormais plus que tout retrouver cette fameuse onde, la localiser précisément dans le flux du temps, pour être présent au moment où ce qui la provoquera adviendra, et alors l’arrêter.
Jusqu’ici, il sait que l’incident surviendra dans un point très haut dans le ciel : les coordonnées précises lui manquent, bien qu’il y ait de grandes chances pour que tout se concrétise dans l’Océan Indien. Pour ce qui est dans la date, cela viendra dans un minimum de 2000 ans, et Kurt est bien décidé à être de la partie lorsque viendra le moment de tout changer.
Il n’est pas exactement certain des résultats : trouver ce qui était la clé de voûte de tous les caprices du monde avait déjà été suffisamment difficile, même pour un bon élève comme lui. Tout ce que le scientifique savait était que ce point existait (ou plutôt : allait exister...), et que s’il pouvait enrayer cette cause de tous les maux, il le ferait. Cela risquait d’annihiler des principes essentiels comme le déroulement du temps. Le fonctionnement de la gravitation. De l’espace même, de la vie, des sensations… Provoquer une nouvelle genèse de l’univers. C’était un plan qui plaisait bien à Kurt. Réussir cela lui coûterait probablement la vie, mais ça ce n’était pas grave : il n’était pas possible qu’il puisse survivre jusqu’à l’arrivée de cette fameuse cause. Le problème majeur était donc tout autre.
Inarrêtable, Kurt entreprit de trouver le moyen de tenir bon pour être dans les temps. Devenir immortel, ou capable de ressusciter tout en conservant sa mémoire et son intelligence. Bah. Vu le monde de fous dans lequel il se trouvait, il disposait d’une généreuse marge pour taper dans son quota d’extravagances.
C’est ainsi qu’il modifia son propre corps pour rentrer à son tour dans ce cercle d’excentriques subissant une crise d’identité (chose dont il ne souffrait pas, lui était en paix avec lui-même), pour pouvoir « jouer comme eux », et surtout « agir comme eux ». Mais en aucun cas penser comme eux. Il changea ses mains en outils bien particuliers. Une injonction de la pensée suffit à les faire se transmuer en ce qu’il a appelé des catalyseurs. Des grandes griffes aux tons d’ébènes, presque des serres, garnies d’un œil doré au dos et à la paume de la main ainsi que d’articulations de la même couleur. Solides, extensibles, elles ont su résister à toutes les épreuves que Kurt leur a infligées durant ses multiples expérimentations. Cela en fait des dispositifs bien pratiques pour manipuler tout élément dangereux sans subir de revers, user d’une surface tactile éloignée tout en restant assis, ou encore peler joliment une pomme sans user d’ustensiles.
Tailler une haie, aussi. Pour rendre jaloux les voisins. Encore faudrait-il avoir une haie. Et l’appartement qu’il a à Lincoln dans le Nebraska bénéficie d’un trop beau balcon pour que ces choses-là changent. Pas comme les mains de Kurt, donc.
Ces fameux catalyseurs tiendraient leur nom d’un autre atout, et pas des moindres : celui de pouvoir absorber des énergies reçues par le toucher, les stocker et les relâcher par le biais de la volonté.
Kurt ne sait pas exactement quelles sont les limites de ces instruments. Leur fiabilité n’a pour l’instant jamais fait défaut. Il en use également pour absorber, quand cela lui est possible, le cristal, seul élément capable de rallonger sa vie lorsqu’il entre en contact avec ses catalyseurs. Avec le temps, Kurt a développé toute une fascination pour les carafes, les verres, et les lustres comportant cette matière. Il sait également faire la différence entre des breloques et le véritable matériau rien qu’au toucher. Un véritable talent de petit trafiquant.
Si jamais son plan échoue, il pourra toujours se reconvertir en tant que bijoutier : c’est un métier qui a encore de l’avenir, du moins pour l’instant.
Il n’a pas caché sa situation aux autorités. Il a fait le choix à la sagesse discutable de « vivre avec son temps » tout en sachant pertinemment que celui-ci va changer, et pas qu’un peu. Il n'était pas nécessaire cependant, de dévoiler ses motivations...
Depuis qu’il s’est mis en tête de révolutionner l’ordre cosmique, Kurt est devenu encore plus indifférent et distant face aux évènements qui agitent le monde. Toutes ces problématiques lui semblent bien éphémères, et beaucoup sont selon lui des caprices de la nature humaine, qui oublie trop souvent sa condition. Il n’en est pas pour autant devenu un être entièrement cynique et désabusé : son but ultime est tout de même de révolutionner l’organisation du cosmos pour apporter un éventuel bien commun.
Il ne se sent pas concerné par la cause des mutants, et encore moins par l’idéologie fanatique des Watchers, même s'il se plaît à résumer son pouvoir à sa faculté à repérer les contrefaçons, pour avoir l'air inoffensif et faire dans le politiquement correct. Par rapport à tout cela cependant, Kurt ne se considère pas du tout comme un
Homo Superior. Il exerce son métier, trouve ou fabrique ses outils, rien de bien extraordinaire selon lui. C’est un petit citoyen qui ne souhaite pas faire de vagues. Celle qui va emporter tout l’agencement du monde d’ici quelque temps sera amplement suffisante pour le dissuader de rechercher une quelconque reconnaissance dans ses œuvres…