Les images défilent à la télévision. Elles dévoilent leur lot d’informations, d’histoires folles et de nouveautés people. Le son est coupé. Le regard est posé sur l’écran de l’ordinateur portable qu’elle a posé sur ses cuisses. Plutôt dans la soirée, elle a reçu une alerte sur son téléphone crypté. Une alerte du S.H.I.E.L.D. Affrontement repéré sur New-York. Thor serait impliqué. Elle s’est crispée. Elle a mis la télévision sur la chaîne des informations. Pour voir ce qui se disait. Pour essayer d’apercevoir des images de la scène. Elle ne s’est pas précipitée dans les locaux de l’organisation, ni sur les lieux du combat. Elle a fait une promesse. Elle a même fini par changer la chaîne. Elle a même abandonné l’idée de suivre les événements. Sinon, elle aurait été capable de jeter son pyjama et de sauter dans des vêtements. Sinon, elle aurait été capable d’agir. Au lieu de cela, elle a allumé son ordinateur et elle s’est perdue sur Internet. De page en page. De site en site. Elle s’occupe. Elle cherche à noyer son inquiétude, son impulsivité, son besoin d’action. Elle cherche à divertir son cerveau. Elle cherche à chasser ses questions. La futilité du web est une bonne manière d’y parvenir. Lorsque l’ennui la gagne, elle abandonne la partie. Elle éteint la télévision. Elle réserve le même sort à son ordinateur. Ce soir, Riley est en mission. Quelque part dans le monde. Elles n’ont pas discuté des détails. Elles ne sont pas autorisées. Sharon aurait aimé avoir de la compagnie. Pour discuter. Pour passer une soirée détendue. Tant pis pour cette fois. Les éclairages sont arrêtés les uns après les autres. Elle passe en revue chaque pièce. Elle s’assure que les appareils sont bien éteints. Elle vérifie qu’aucune porte ou fenêtre n’est ouverte. Les pieds nus frappent le plancher. Sèment de petits claquements à chaque pas. Bientôt, l’appartement est plongé dans l’obscurité. Elle se faufile dans sa chambre. Elle vérifie que son arme y est présente. Vieille précaution d’une période où les infiltrations étaient son quotidien. Elle ne passait pas une nuit sans un canon à portée de main. Au cas où. A cette époque, elle était perpétuellement sur ses gardes. Elle était toujours dans la crainte d’être découverte. Plus maintenant. Elle peut dormir tranquillement. Mais on ne se défait pas de certains réflexes. La présence de cette arme a quelque chose de rassurant, de réconfortant. La présence de cette arme est nécessaire pour qu’elle trouve le sommeil. Pour qu’elle dorme d’un sommeil lourd. Elle se glisse sous la couette. Elle attrape son téléphone. Dernier appareil allumé. Elle pianote quelques minutes dessus, avant de l’éteindre. Elle le repose sur sa table de chevet. Sa tête s’enfonce dans l’oreiller. Il est l’heure de dormir.
Du bruit. Elle aurait juré avoir entendu du bruit. Ses paupières s’ouvrent brusquement. Elle ne bouge pas. Elle reste à l’affût du moindre craquement. De nouveau, ce même bruit. Cette fois, elle se redresse brusquement. Elle passe la main sous l’oreiller. Ses doigts s’enroulent autour de la crosse. Il fait nuit noir dans sa chambre. Pourtant, elle distingue le moindre meuble. Ses yeux se sont habitués à la pénombre. Son coeur bat rapidement. Son pouls bat contre sa tempe. Son cerveau fonctionne à plein régime. Elle réfléchit à la personne qui pourrait s’introduire chez elle, à cette heure ci. Pas sa soeur à moitié ivre. Riley n’est pas du genre à boire jusqu’à l’ivresse et elle n’est pas là. Alors qui ? Elle repousse lentement sa couette. Elle pose un pied au sol. Le parquet est traître. Il grince selon la pression exercée sur les lattes. Elle le sait. Raison pour laquelle elle n’a pas fait changer le revêtement. Trop heureuse d’être prévenue de quelques visites nocturnes impromptues. Elle retire le cran de sûreté. Il est temps de voir qui tente de s’introduire chez elle. Les effractions sont courantes à New-York. Il y en a chez des particuliers qui se trouvent dépossédés de toutes leurs affaires. Il arrive même que les voleurs s’introduisent dans le logement pendant que ses propriétaires dorment. Mais lorsque l’on est agent, on ne peut s’empêcher de penser à une menace plus importante. Des représailles. Des tentatives de meurtre. Cette fois ne fait pas exception. Sharon a l’esprit qui tourne à plein régime. Elle se demande qui peut lui reprocher quelque chose. Elle pense immédiatement à Heather. La jeune femme a essayé de la tuer il y a quelques semaines. Elle est également mêlée à des opérations pour faire tomber la mafia russe et l’HYDRA. Deux raisons de plus pour avoir des problèmes. Deux raisons de plus pour recevoir de la visite à son domicile. Elle a pourtant été méticuleuse, attentive et discrète. Elle ne devrait pas avoir de problème. Elle ne devrait pas avoir été repérée. Peut-être une ancienne mission d’infiltration. Peut-être des représailles. Peut-être juste une fausse alerte. Il pourrait s’agir d’un chat qui tente d’entrer dans son appartement. Il pourrait s’agir de n’importe quoi. Elle ne baisse pas sa garde pour autant. Elle n’est pas prête à sauter sur l’explication la plus rassurante. Elle n’est pas prête à se satisfaire d’une idée positive. Elle doit appréhender tous les risques, toutes les possibilités. Alors, elle procède avec lenteur et précaution. Elle avance, pas après pas, jusqu’à la porte de sa chambre. Là, elle l’entrouvre légèrement. Elle jette un coup d’oeil dans le couloir. Elle vérifie des deux côtés. Le champ est libre. Elle continue. Elle continue jusqu’à la pièce principale. Un salon qui donne sur la cuisine. Ou une cuisine qui donne sur le salon, selon les avis. Là encore, rien à signaler. Pourtant, elle entend un nouveau coup venant de l’extérieur. Elle braque son arme sur la fenêtre la plus proche. Là où une silhouette se dessine. L’escalier de secours. Evidemment. Peu importe qui est la personne qui essaye d’entrer dans son appartement, il a utilisé l’escalier de secours.
Elle se rapproche. Elle s’avance. Jusqu’à croire reconnaître une silhouette. Un corps familier. Elle fronce les sourcils. Elle met quelques secondes pour vérifier. D’un coup, ses épaules s’affaissent, son corps se détend, ses bras retombent le long de son corps. Elle pousse un inévitable soupir. Elle allume la lampe la plus proche. Un faible halo de lumière éclaire la pièce. Elle n’hésite pas avant d’ouvrir la fenêtre. Elle se met sur le côté pour laisser la place à son invité d’entrer. “Vous savez que j’ai une porte ?” Il y a toujours de l’agacement. Il y a toujours de l’irritation. Comme à chaque fois qu’ils se voient. Comme à chaque fois que Thor entre dans une pièce. Comme si elle était incapable de se réjouir de sa présence. Comme si elle cherchait à se protéger. Mais, il n’y a pas que ça. Il y a aussi du soulagement. Il y a aussi… du bonheur. Oui, c’est bien ça. Elle détaille son corps, à la faible lumière. Vérifier qu’il va bien. S’assurer qu’il ne lui manque pas quelque chose. Un bout de peau. Un bout de bras. Un bout de jambe. Peu importe. S’assurer qu’il est en bonne santé. Autant que possible, en tout cas. Ce qu’elle voit n’est pas pour la rassurer. Mais il est là. Bien en vie. Un peu amoché. Un peu abîmé. Mais il tient debout. Elle pose son arme sur le meuble le plus proche. Elle lui avait demandé un simple message. Elle lui avait demandé un simple signe de vie. Au lieu de cela, il est venu. Il s’est déplacé. “Je suis heureuse de voir que vous allez bien.” Toujours cette réticence. Toujours cette distance. Parce qu’elle n’est pas du genre à dévoiler toutes ses émotions. Parce qu’elle n’est pas du genre tactile ou émotive. Elle a l’habitude de contrôler. Elle a l’habitude de contenir. Sûrement pas de laisser parler son instinct. Sûrement pas de s’épancher sur ses sentiments. Toutefois, elle ne peut pas ignorer les battements de son coeur qui s’affolent. Pas à cause du stress. Plutôt à cause de Thor. D’une certaine attirance. D’une certaine affection. Elle pourrait laisser parler son instinct et lui sauter au cou pour l’embrasser. Elle pourrait lui exprimer ce qu’elle ressent. Elle pourrait. Elle n’en fait rien. Elle se contente de faire un pas en avant. De tendre une main vers son visage. Elle passe les doigts sur sa peau. Elle y cherche les blessures. Elle y cherche les marques. Elle aurait dû être là-bas, avec une équipe d’agents. Elle aurait dû lui désobéir et lui apporter un soutien technique. Au lieu de cela, elle l’a laissé la repousser. Elle l’a laissé la mettre de côté. Elle s’est tu et a accepté.
Le combat avec Angela avait été dur et fatiguant. Autant physiquement que mentalement. Beaucoup d’informations courraient dans l’esprit du blond. Cette femme lui avait fait des révélations qu’il n’avait pas été prêt à attendre. Après avoir vérifié que l’endroit où ils avaient combattu soit sûr, il avait été s’isoler. Il savait parfaitement que Maria avait dû aller voir par elle-même l’étendue des dégâts et qu’elle voudrait lui parler au plus vite. Seulement, il avait besoin de temps. Il avait besoin de réfléchir. Il avait besoin de penser à tout ce qui avait été dit. Se retrouvant dans un bâtiment désaffecté qu’il connaissait, parce qu’il y avait été en mission avec les Vengeurs contre des membres de l’HYDRA, il savait qu’il serait seul. Un combat dont il se souvenait. Ils avaient battu ces personnes de l’organisation nazie. Ils étaient désormais, pour certains, prisonniers au sein du S.H.I.E.L.D.. Mais ça n’était pas l’important. Pour le moment, tout ce qu’il pouvait faire était de repenser à ce que Angela lui avait annoncé. Il avait pensé affronter un ange venu le tuer, pour faire souffrir Odin. C’était en partie vrai, mais elle lui avait alors dit qu’elle était sa sœur. Son aînée. Cette information lui avait valu une coupure sur le front et un bleu à la mâchoire. Il s’était laissé déconcentrer. Il était l’aîné, comment la femme qui lui avait face pouvait-elle être sa grande sœur ? Elle lui avait vite répondu, pour lui expliquer qu’elle avait été abandonnée par le Père de Toute Chose. Elle avait été élevée par les anges et leur obéissait aujourd’hui, pour faire tomber Asgard et Odin. Ce scénario ne lui était que trop familier. Un enfant abandonné qui voulut voir son géniteur payer pour cela. Ca lui rappelait trop Loki et sa haine pour les Odinson. Son père lui avait caché cette information pendant tellement de siècle qu’il n’avait pas voulu y croire. Il aurait pu le demander à Odin, mais il se doutait que ce dernier ne lui dirait pas la vérité. La seule personne qui aurait pu lui dire les choses ouvertement aurait été sa mère, mais elle n’était plus là désormais. Frigga avait perdu la vie. Ce fut la dernière pensée qu’il eu avant de sentir ses côtes lui faire mal.
Etre un Dieu ne voulait pas dire qu’il n’avait pas mal. Il pouvait saigner, comme tout le monde et la douleur était là également. Les coups d’épées, de pieds et de poings faisaient mal. Il allait devoir être soigné. En plus d’une coupure au front, d’un bleu à la mâchoire et de côtes lui faisant mal, Thor se retrouvait également avec des coupures sur les bras, un hématome à la jambe gauche, une bosse qui semblait grandir à l’arrière de son crâne et d’autres blessures qui étaient cachées par sa tenue. Mais, il y avait également son égo et sa confiance en son souverain qui avaient pris un coup. Il allait devoir faire face à Odin et il ne le laisserait pas se défiler. Il voudrait la vérité et il le forcerait à parler. Pour l’instant, il devait se reposer le temps d’une nuit, rassembler ses pensées et voir demain à l’aube, comment il agirait en conséquence de toutes ses nouvelles informations. Il aurait pu se rendre à la Tour Stark, mais il ne voulait pas tous les entendre lui dire à quel point il avait été inconscient. A vrai dire, il ne l’acceptait que d’une seule personne et il se rendit chez elle. Enfin, il fit tourner son marteau et fila dans les airs, se retrouvant sur le toit de l’immeuble de Sharon. Elle lui avait donné son adresse. L’agent lui avait dit de lui donner des nouvelles après le combat. Le voilà à regarder les fenêtres sous lui. Comptant les étages, il descendit à la mauvaise fenêtre. Comment le savait-il ? Un chat lui faisait face et derrière un homme endormit dans un fauteuil. Il aurait pu s’agir du petit ami de l’agent Carter, mais il se disait qu’elle n’avait pas le temps pour ça et elle ne laisserait pas quelqu’un comme ça devant sa télévision. Descendant d’un étage, il essaya d’ouvrir la fenêtre. Fermée. Il allait devoir forcer pour pouvoir entrer, mais il n’en eut pas le temps. Il vit de la lumière s’allumer et la jeune femme lui ouvrir la fenêtre. Silencieux, il apprécia de la voir se pousser pour qu’il puisse entrer. Se pliant en deux pour pouvoir entrer, il mit les pieds chez elle et regarda autour d’eux.
Vous auriez préférez que vos voisins me voient frapper à votre porte à cette heure-ci ?
C’était plus une question rhétorique, mais il était plus absorbé par le lieu dans lequel il venait d’entrer. Comme si plus rien ne comptait à part ça. En l’entendant dire qu’elle était contente qu’il aille bien, il esquissa un faible sourire. A l’extérieur, oui ça allait. A l’intérieur, c’était une toute autre histoire. Cependant, il fut surprit en sentant la main de l’agent contre sa joue. La fixant, il ne savait pas pourquoi elle faisait cela, mais il soupira doucement. Toute la tension qu’il avait accumulée jusque-là s’évaporait de son corps et il apprécia le geste avec grand plaisir. Restant la regarder un moment, il finit finalement par prendre la parole.
Je ne voulais pas déranger, mais j’ai besoin d’un endroit pour panser mes plaies et passer la nuit.
Il n’y avait pas de formules de politesse, il aurait du en mettre, mais il était fatigué. Il avait besoin de repos et il voulait juste être au calme le temps de quelques heures.
J’ai pensé qu’ici, ça serait le meilleur endroit pour ça. Je me suis trompé ?
Thor voulait juste être certain qu’il ne dérangeait pas trop et qu’il pourrait avoir un endroit pour reprendre des forces. Si ça n’était pas possible, il partirait bien évidemment.
Thor. Un dieu dans son salon. Ce n’est pas vraiment le genre de visite auquel elle s’attendait. Auquel elle se préparait. Elle imaginait déjà un cambrioleur. Un tueur à gages. Un assassin. Elle s’imaginait tout, mais pas ça. Bonne ou mauvaise surprise ? Elle dirait plutôt bonne. Elle commence à l’apprécier. Elle commence à se laisser gagner par une maladie qui lui est bien connue. Une maladie qu’elle n’arrive pas toujours à dompter. Une maladie dont on ne guérit jamais vraiment. Elle n’est pas certaine d’être prête. Elle n’est pas certaine de tout, en fait. Mais il a failli mourir. Il a failli crever quelque part, à New-York. Il a échappé à la mort. Il est là, maintenant. Un peu amoché. Un peu abîmé. Vivant, tout de même. A son regard, elle sent que quelque chose ne va pas. A son attitude, elle comprend qu’il est encore perturbé par son face à face. Alors, elle referme la fenêtre derrière lui. Elle s’éloigne de son arme, dont elle n’a plus besoin. Elle a bien mis qu’une arme à feu. Elle a un mec qui peut invoquer la foudre en faisant des moulinets avec un marteau. On ne peut pas faire mieux, en matière de défense. Encore faudra-t-il expliquer à ses voisins pourquoi il y a de la foudre qui a transpercé le toit. C’est encore autre chose. “Vous auriez préférez que vos voisins me voient frapper à votre porte à cette heure-ci ?” Il marque un point. Un homme blessé, une cape sur les épaules, un marteau à la main. Cette vision aurait de quoi effrayer le premier venu. Sur le coup, ses voisins auraient pris peur et ne l’auraient sûrement pas reconnu le Vengeur asgardien. La fenêtre est la meilleure solution. Sauf s’il était sur le point de la détruire. Elle n’aborde pas le sujet. Il n’est pas là pour subir un interrogatoire sur ses intentions. Il n’est pas là pour discuter sur la meilleure manière d’entrer chez quelqu’un. Par contre, son regard cherche quelque chose. Elle ignore quoi. Son salon n’a rien d’intéressant. Une télévision. Un canapé. Une table basse. Une bibliothèque. Il n’y a que quelques indices qui indiquent la présence d’occupants. Il n’y a que quelques indices qui trahissent la présence de femmes. Sinon, rien qui n’ait d’intérêt. Le fait qu’il ne stabilise pas son regard sur un point éveille l’inquiétude de Sharon. Elle croise seulement son regard lorsqu’elle le touche. Lorsque leur peau entre en contact. Comme une ancre dans la réalité. Comme un rappel qu’elle est là. Comme un signal que tout va bien. Il peut se détendre, ici. Personne ne viendra l’attaquer. Personne n’en aura après sa vie. Enfin, la seule personne qui risque de vouloir l’étrangler est Sharon. Autant dire qu’il peut s’en débarrasser d’un coup de foudre. Elle n’est pas une menace dangereuse. Alors, tout va bien.
Maintenant que son regard est immobile, elle retire sa main. Elle n’arrive pas à savoir ce qu’il se passe dans sa tête. Elle n’arrive pas à comprendre à quoi il pense. Elle ne sait pas par quoi il est passé. Elle aurait dû regarder la télévision. Elle aurait dû suivre les événements. Elle le savait. Quoiqu’il se soit arrivé, Thor en est perturbé. Bien plus qu’après un combat aux côtés des Avengers. Bien plus qu’après des missions dangereuses. Il n’a pas besoin d’affection. Il a besoin d’écoute. “Je ne voulais pas déranger, mais j’ai besoin d’un endroit pour panser mes plaies et passer la nuit.” C’est bien connu, les Carter ont ouvert un hôtel au plein coeur du Queens, dans leur appartement. Le S.H.I.E.L.D. paye mal. Faut bien boucler les fins de mois un peu difficile. L’ironie qui lui brûle la langue est étouffée. Pour une fois. Elle a conscience de sa fatigue. Elle a conscience de son état. Elle lui épargne une pique. Elle ne sera peut-être pas aussi clémente plus tard. A cette heure-ci, elle est censée dormir. Se reposer. Faire le plein d’énergie. Une journée de travail l’attend le lendemain. Elle pourrait l’envoyer balade. Elle pourrait lui dire qu’elle n’est pas médecin et que son appartement n’est pas une infirmerie. Mais elle lui a donné son adresse. Elle lui a demandé de la prévenir de l’issue de son combat. Il le fait. D’une certaine manière. “J’ai pensé qu’ici, ça serait le meilleur endroit pour ça. Je me suis trompé ?” Pour se faire soigner et se reposer ? Il a la tour des Avengers pour ça. Stark a équipé merveilleusement bien leur quartier général. Il en a fait un vrai cocon où la technologie est au centre de tout. Thor bénéficierait sûrement de meilleurs soins là-bas. Surtout qu’il y a Janet. Alors qu’ici, il ne peut compter que sur les connaissances de secourisme de Sharon. Des connaissances des gestes de secours qui pourraient être insuffisantes. Elle a déjà joué les secouristes avec lui. Depuis qu’elle a fourré ses doigts dans sa plaie et manqué de déclencher une hémorragie, il a confiance en elle, on dirait. Il aurait dû rejoindre les autres Avengers. Quelque chose lui dit qu’il ne préfère pas. Qu’il préfère garder le secret aussi longtemps que possible. Qu’il préfère ne pas en parler tout de suite avec ses coéquipiers. Ce qui est compréhensible. La fuite ne pourra pas être éternelle, cependant. Il faudra bien un jour qu’il puisse en parler avec Steve et les autres. Ce combat pourrait avoir une influence sur son comportement futur. Ce combat a déjà des conséquences. Elle exposera sa manière de penser plus tard. “Vous avez eu raison. Asseyez-vous, je vais chercher de quoi vous soigner.” Elle désigne le canapé d’un geste de la main. Tant pis pour le sang sur le canapé. Elle essayera de retirer les tâches ou elle devra en racheter un. Elle récupère son arme. Pas par crainte de tomber sur un nouveau rôdeur dans son appartement. Plutôt par besoin de la ranger dans sa chambre. Elle est sur le point de quitter le salon lorsqu’elle s’arrête. Elle se retourne vers Thor. “Et ne laissez pas Mjølnir traîner n’importe où !” On ne laisse pas traîner une arme dangereuse n’importe où. Surtout si cette arme est impossible à soulever par le commun des mortels. Il ne manquerait plus qu’il le dépose sur le plaid préféré de Riley. Sa cadette lui en voudrait pour l’éternité.
Elle disparaît dans la salle de bains. Elle ne met pas longtemps avant de trouver la trousse de premiers secours. Avant de revenir auprès de Thor, elle veille à ranger son revolver. Elle est de retour dans le salon. Elle s’installe sur le canapé. Assise sur une jambe pliée pendant que l’autre touche le sol. Cette scène commence à devenir une mauvaise habitude entre eux. Ce moment où ils doivent s’occuper de quelques plaies. Ce moment où il faut nettoyer le sang. Déjà lors de leur mission d’infiltration. Pour une fois, ils ne sont pas dans un repère du S.H.I.E.L.D. Elle détaille les ecchymoses, les plaies, les bosses. Il y en a un peu partout. Pour témoigner de la violence du combat. Pour rappeler les risques pris. Trop de blessures. Trop de maux à apaiser. Elle abandonne la trousse de secours sur le canapé pour rejoindre le congélateur. Ce n’est pas de pansements Avengers dont il a besoin. Il lui faut plutôt de la glace. Pour la bosse à l’arrière de sa tête. Elle récupère une poche de glace vide qu’elle garde en cas de besoin. Avoir deux agentes à la maison, cela demande une sacrée organisation. En particulier quand l’une d’elles rentre avec une cheville foulée ou quelques douleurs à anesthésier par le froid. “Vous vous en êtes sorti plutôt salement.” Une manière de lui reprocher d’avoir refusé son aide. Une façon de lui rappeler que toutes ses blessures auraient pu être évitées. Chargée de la poche de glace remplie, elle peut enfin revenir auprès du dieu. Elle la pose à l’arrière de sa tête. Un peu trop brusquement. Sans trop de douceur. Un geste qui n’a rien de maladroit. Un geste pour lui faire payer son comportement suicidaire. Un geste pour lui rappeler qu’il n’a pas intérêt à recommencer. Elle laisse Thor maintenir lui-même la poche. “Est-ce que vous voulez parler de ce qu’il s’est passé ou on se contente de regarder où vous souffrez ?” Elle le sait renfermé. Elle le sait discret. En particulier concernant ce combat. En particulier lorsqu’il a cette expression sur le visage. Elle aimerait qu’il parle. Elle aimerait qu’il se confie. Une difficulté qu’ils ont en commun. Ils n’ont pas l’habitude d’exprimer pleinement et sincèrement ce qu’ils ont sur le coeur. Ils ne sont pas franchement doués sur ce point. Elle continue de penser qu’un séjour dans un hôpital serait plus sûr. Pour cette bosse au crâne. Pour ces coups reçus. Il pourrait avoir des traumatismes. Il pourrait avoir des fractures. Peut-être qu’elle parviendra à le convaincre de consulter un médecin plus tard. Quand il se sera reposé. Quand il se sera remis de ses émotions.
Il aurait pu être plus discret et oui, faire comme toute personne civilisée et se présenter à sa porte, pour frapper et faire savoir qu’il était là. Seulement, il n’était pas des plus civilisé et encore moins ce soir. Trop de choses passaient dans son esprit et il avait simplement songé à trouver un endroit où il pourrait être soigné et se reposer. La Tour Stark était sans doute la meilleure chose, mais il ne voulait pas faire face aux autres. Il savait qu’il allait se faire réprimander, pour rester poli. Alors, la seule personne qui pouvait l’aider était Sharon. Se rendant chez elle, il apprécia de pouvoir entrer chez elle, même si c’était par la fenêtre. C’était la première fois qu’il mettait les pieds dans le logement de l’agent, alors il en profita pour regarder autour de lui. Mais, quand elle vint toucher sa peau, il reporta son attention sur elle. Expliquant la raison de sa venue, il ne s’attendait pas à ce qu’elle l’accueil les bras ouvert, mais il espérait au moins pouvoir dormir quelques heures avant de devoir repartir. Appréciant qu’elle accepte de l’aider, il hocha la tête à ses propos. S’asseoir, ça il pouvait faire et il se dirigea vers ce dernier, quand Sharon reprit la parole. Il fut surpris, mais compris pourquoi elle lui disait une telle chose. Regardant autour de lui, il posa son marteau au pied du canapé, là où il pourrait l’attraper au besoin. Puis, il s’installa. Grimaçant en sentant ses côtes lui faire mal, il ferma les yeux quelques secondes, le temps de calmer sa respiration. Soupirant, il regarda l’agent se déplacer entre le canapé et la cuisine. Il ne savait pas ce qu’elle faisait, mais il lui faisait confiance. Aux paroles de Carter, il savait qu’elle avait raison.
Ca n’est rien comparé à ce que j’ai déjà pu endurer.
D’accord, il avait vécu pire, mais ici, c’était le côté psychologique qui en prenait un coup. Grimaçant et gémissant quand elle vint poser la poche de glace contre son crâne, il tourna la tête vers elle. Portant sa main à la poche de glace, il apprécia la fraicheur qui se répandait alors sur son crâne. La jeune femme vint finalement lui demander s’il voulait en parler. Parler du combat. Parler de ce qui avait été fait et dit. Il n’était pas certain d’en avoir envie, mais Maria ne lui laisserait pas le choix. Puis, Sharon était la chef d’équipe entre le S.H.I.E.L.D. et les superhéros, donc c’étaient des informations dont elle aurait besoin à un moment ou un autre.
Vous n’auriez rien pu faire face à elle. Elle s’est échappée parce que je n’ai pas réussi à faire taire mon propre esprit.
Posant la poche de glace sur la table basse, il se releva avec difficulté et commença à retirer son armure.
Elle s’appelle Angela et elle était envoyée ici pour me tuer.
Posant sa cape, près de son marteau, il retira ensuite le reste de l’armure, avant de se rasseoir sur le canapé.
Elle travaille pour les Anges, qui ont décidés de détruire Asgard et faire tomber Odin. Ils veulent prendre le contrôle de la cité et s’attaquer ensuite aux autres mondes.
Reposant la poche de glace contre sa tête, il soupira doucement, sachant que ça la suite serait plus compliqué à avouer.
Elle a dit des choses concernant mon père …
Fronçant les sourcils, il porta son regard vers la jeune femme, sans savoir comment continuer et avouer ce qu’il avait entendu durant le combat.
Il a été idiot. Idiot de se rendre là-bas sans secours. Idiot de croire qu’il pourrait se débrouiller tout seul. Idiot de songer qu’il s’en sortirait indemne. Complètement idiot. Elle ne se prive pas pour le lui faire comprendre. Elle n’a pas envie de faire preuve de tact avec Thor. Elle le pourrait. Elle le devrait probablement. C’est sûrement ce que veut le protocole asgardien lorsque l’on s’adresse à l’héritier du trône. Sauf qu’ils ne sont pas sur Asgard. Sauf qu’elle a compris depuis longtemps que pour obtenir le respect et attirer l’attention des super-héros, elle doit éviter de les prendre avec des pincettes. Leur rentrer dedans. Hausser le ton si nécessaire. Il n’y a pas de méthode plus efficace pour se faire entendre. Pour leur rappeler qu’il y a des lois à respecter. Pour marquer son autorité. Sinon, petite humaine qu’elle est, elle n’aurait jamais l’occasion d’être consultée, écoutée, suivie. Elle se ferait rapidement marcher sur les pieds. “Ca n’est rien comparé à ce que j’ai déjà pu endurer.” Elle lève un sourcil. Elle a du mal à le croire. Il semble affecté physiquement et psychologiquement. Il semble découragé, las. Comme si il baissait les bras. Comme si il était dépassé par les évènements. Elle ne l’a jamais vu dans cet état d’épuisement. Qu’il soit venu chercher de l’aide ici plutôt que chez Stark en est la preuve. Il n’aurait jamais fait une chose pareille si il n’avait pas eu une bonne raison. D’un autre côté, il ne peut pas s’étonner qu’elle lui pose des questions. Elle a le droit de savoir ce qu’il s’est passé. Il a pu attirer l’attention en venant ici. Il a pu ramener des ennemis. Il a pu conduire n’importe qui jusqu’à sa porte. Elle a le droit de l’interroger, de lui faire tous les reproches du monde. Mais quelque chose lui dit que ça ne changerait rien pour le dieu. Ce ne serait rien comparé à ce qu’il vient de vivre. “Vous n’auriez rien pu faire face à elle. Elle s’est échappée parce que je n’ai pas réussi à faire taire mon propre esprit.” Elle plisse les yeux. Elle. C’est donc une femme. Une combattante redoutable, si l’on en croit les marques qui parsèment Thor. Le genre de femme qu’il ne faut pas chercher en soirée. De la même trempe que Melinda May ou que Natasha Romanoff. En plus puissante. En plus dangereuse. En plus forte. C’est bon à savoir. Sharon aimerait rencontrer cette femme qui a réussi à maltraiter Thor de la sorte. Sûrement pas une humaine. Elle a bien vu pendant leur séance d’entraînements qu’il faut bien plus qu’un coup de poing puissant pour le faire flancher. Il faut une puissance surnaturelle. Une puissance extraordinaire. “Elle.” Et dire qu’il a refusé qu’elle soit présente lors de son combat pour avoir l’esprit clair. C’est réussi. Vraiment. Il s’est débrouillé comme un grand pour avoir les pensées affolées et pour se déconcentrer. Elle aurait été présente, elle lui aurait foutu une claque derrière la tête pour lui remettre les idées en place. Mais elle a été repoussée, punie en quelque sorte. Pour un simple baiser.
Elle passe une main sur son visage fatigué. En lui donnant son adresse, elle ne sait pas exactement à quoi elle s’attendait. Juste à un message. Juste à un signe de vie. Pas à une visite impromptue. Pas à une séance de bavardages en plein milieu de la nuit. Lorsqu’elle libère son visage, Thor est levé. Occupé à retirer son armure avec soin. Elle se surprend à l’observer. Elle comprend pourquoi tant de femmes l’apprécient, entre ses manières moyenâgeuses, son regard bleu et son corps digne d’un dieu grec. Il a tout de l’homme parfait. La faible lumière souligne la moindre courbe de sa musculature, l’habillant d’une aura divine. Au fur et à mesure qu’il se libère du poids de son armure, les stigmates du combat apparaissent. Des hématomes. Des gonflements caractéristiques de quelques os fêlés ou fracturés. Des coupures. Le corps meurtri par un duel éprouvant. “Elle s’appelle Angela et elle était envoyée ici pour me tuer.” Et peut-être qu’il pourrait aussi lui avouer qu’ils se sont retrouvés autour d’un café avant de débuter la bataille sur les toits de New-York, pendant qu’il y est. Serait-ce une pointe de jalousie qu’elle s’en poindre dans son coeur. Jalouse d’une femme qui a tenté de le tuer ? Sûrement pas. Le canapé s’affaisse quand Thor revient s’installer à côté d’elle. A moitié nu. Ce n’est pas beau à voir. Elle découvre de plus près les coupures sur ses bras que sa cape cachait. On pourrait clairement croire que le combat a été déloyal, déséquilibré. Sûrement trop affecté par la nouvelle d’une mercenaire chargée de le tuer pour réussir à lui rendre coup pour coup. Elle laisse ses doigts courir sur son bras, couvrir chaque centimètre, trouver chaque coupure. Elle attrape la trousse de secours pour y piocher des compresses et du désinfectant. “Elle travaille pour les Anges, qui ont décidés de détruire Asgard et faire tomber Odin. Ils veulent prendre le contrôle de la cité et s’attaquer ensuite aux autres mondes.” Elle arrête ses recherches pour croiser le regard de Thor. Détruire Asgard. Prendre le contrôle du royaume. Renverser Odin. Et dire qu’elle pensait la planète Terre folle, elle se rend compte que la situation est bien pire au-delà de l’atmosphère. Dans un autre monde, des gens lancent des attaques contre des royaumes et essayent d’en prendre le pouvoir. La Terre, à côté, est plutôt calme. Cela explique pourquoi Thor a été la cible d’une tueuse. Pour ne pas qu’il puisse revendiquer le trône. Pour ne pas qu’il use de sa légitimité. Mais cette Angela a raté son coup. Elle l’a laissé partir. Elle n’a pas été assez forte pour le tuer et maintenant, il connaît son plan. “Il faut les arrêter… est-ce qu’elle a eu le temps de donner des détails ?” Sur le lieu, le moment… peu importe. N’importe quel indice pourrait l’aider à les stopper et les empêcher de mener à bien leur stratégie. Il ne peut pas les laisser faire. Qu’est-ce qu’il fiche encore ici, d’ailleurs ? Asgard a besoin de lui. Pas la Terre. Ils sauront se débrouiller avec les autres super-héros. Il est temps que Thor revienne dans son royaume et agisse tel le prince qu’il est.
Les réflexes de l’Agent 13 ne sont jamais bien loin. Toujours sur le qui-vive. Toujours prête à réagir instinctivement. Même si, cette fois, l’enjeu la dépasse. Elle n’est pas douée pour contrer les coups d’état. Elle a déjà échoué à empêcher l’invasion de l’HYDRA dans les rangs du S.H.I.E.L.D. Elle serait incapable de trouver les traîtres au milieu d’un gouvernement. Elle serait incapable d’empêcher le renversement d’un royaume. Pourtant, elle veut l’aider. Autant que possible. “Elle a dit des choses concernant mon père …” C’est donc ça. Angela a osé toucher à son père. Elle a trouvé le sujet qui fait mal. Elle a trouvé une de ses faiblesses. Évidemment. Elle ne pouvait pas mieux viser pour déstabiliser Thor. Sharon referme la trousse de secours et la pose sur la table basse. Elle aura tout le temps pour panser ses plaies plus tard. Avant, il y a des sujets plus importants à aborder. Elle ramène ses jambes contre elle et se love dans le canapé, tourné dans la direction du dieu, une épaule contre le dossier. “Est-ce qu’il y a une possibilité pour que ce soit faux ?” Une infime petite chance. Une petite probabilité. Il faut toujours se méfier de ce qui est dit lors d’un face-à-face. Angela a très bien pu mentir, seulement pour l’affaiblir. Elle a pu le manipuler, seulement pour prendre le dessus. Tout est possible. Pourtant, Odin a déjà prouvé par le passé qu’il avait des choses à cacher. Il se pourrait que tous ses secrets ne soient pas encore tous révélés et connus. Angela avait peut-être raison. “Peu importe ce qu’elle vous a dit, vous ne devez pas oublier qu’il vous a élevé avec amour et qu’il a toujours cru en vous.” Elle n’en sait rien, elle n’a jamais eu la chance de parler avec le roi asgardien. Toutefois, c’est probablement ce que Thor a envie d’entendre. Son père a peut-être un deuxième visage, mais il reste son père. Il reste l’homme qui l’a élevé et qui lui a appris à être l’homme qu’il est aujourd’hui. Il reste l’homme qui l’a guidé vers la Terre et qui lui a enseigné à être un homme respectable et responsable. Tout ceci vaut encore. Malgré les révélations d’Angela. Malgré les secrets révélés.