Ils sont rentrés depuis quelques heures. Peut-être une dizaine. Peut-être plus. Peut-être moins. Il a encore l’impression de planer. De sentir l’odeur de grillé, de chair brûlée. D’avoir mal à l’abdomen. Il a survécu à la barre qui l’a transpercé, mais il a le sentiment qu’elle est encore là. Douleur fantôme. Oui, il plane. Il a encore sa chemise souillée de sang. Le visage couvert d’une poussière noirâtre. Il a passé les dernières heures à s’assurer que tous les pensionnaires étaient bien en vie. Qu’ils étaient toujours là. Il les a comptés dix fois. Il leur a dit son bonheur de les voir sain et sauf. Il leur a ordonné de rejoindre les autres. Ils ont finalement pu repartir. Et puis, il y a eu Malicia. Après échappé à l’enfer, il est tombé sur elle, dans les bras de Logan. Toujours Logan. Il a le talent pour toujours être là pour sa petite protégée. Étrangement. Mais ce n’est pas l’agacement et la jalousie qui ont fait tiquer Bobby. Plutôt l’état de profonde fatigue de la jeune femme. Il ne l’a jamais vue ainsi. Jamais. Alors forcément, il s’est inquiété. Malgré la rupture, il continue à avoir un regard protecteur sur elle. Il ne peut pas effacer dix années d’une relation. Pas quand ils viennent de vivre l’enfer. Oui, il plane. Il ne réalise toujours pas ce qui vient de se passer. Il ne réalise pas qu’il a échappé à la mort. Il ne réalise pas qu’ils sont de retour à l’Institut. Cadre si sécurisant, si protecteur, si rassurant. Ici, tout semble normal. Sauf les regards des mutants restés au manoir. Ils ont suivi les événements depuis le salon, scotchés à la télévision. Ils les ont accueillis comme des rescapés d’une guerre. Les regards soucieux. Les regards apeurés. Définitivement, cette sortie au centre commercial ne s’est pas passée comme prévue. Peut-être une autre fois. Dans un autre centre commercial. Il n’a pas pris le temps de se poser. Le Professeur Xavier voulait savoir. Connaître tous les détails. Avoir l’avis et les informations des X-Men présents sur les lieux. Que dire à part qu’ils étaient quelques rescapés et qu’il a été embroché ? Pas grand chose. Le pire est probablement à venir. Les messages discriminants. Les gestes haineux. Même si Bobby ne s’en rend pas encore compte, il se doute que cela viendra. Sûrement pas aussi rapidement. Sûrement pas aussi violemment. Ce n’est que lorsque Johanna se dresse sur son passage qu’il semble redescendre sur terre. Il est frappé par les émotions, par les images, par les odeurs, par les sensations. Un retour brutal à la réalité. Tout autour de lui reprend soudain contenance. Les décors ont plus de couleurs. Les bruits sont plus présents. Elle a le regard inquiet. Elle a la mine défaite. Il attend d’avoir digéré les dernières heures pour, enfin, lui adresser un sourire. Tout va bien. Ils vont bien. D’autres n’ont pas eu leur chance, malheureusement. Il ignore combien sont morts. Il ignore qui ils sont. Mais il sait qu’il aurait pu être à leur place. Il aurait pu être broyé par une poutre. Il aurait pu être grillé. Sauf qu’il est là, debout devant elle. Elle lui ordonne d’aller se nettoyer et d’aller se changer. Il lui obéit. Même si cette apparence rend l’expérience plus réelle, rend l’attentat encore plus vrai. Il a le sentiment d’avoir échappé à un scénario catastrophe, digne d’un film. Il a l’impression qu’il a rêvé cette explosion. Non, ce n’est pas le cas.
Il obtempère. Il va se changer. Il va nettoyer les marques de l’attentat. Il va reprendre une apparence normale. Il va retrouver tous ses esprits. C’est ce qu’il fait. Il enfile des vêtements propres. Il retire les cendres de sa peau et de ses cheveux. Bientôt, il redevient Bobby Drake, le psychologue. Une apparence sûrement plus rassurante pour les gamins. La douche a terminé de l’ancrer dans le présent. Il passe dans le salon. Il entend des conversations. Il entend des prénoms. Il reconnaît certains visages. Des jeunes qui étaient à l’extérieur du bâtiment quand tout a explosé. Ils ont assisté à la scène de dehors. Ils ont aidé, ils ont observé. Les langues se délient, loin du chaos, loin des dangers. Il reste quelques instants pour écouter. Il n’a pas besoin d’entendre le début de la conversation pour savoir, pour comprendre. Axel a déchargé une partie de son pouvoir sur Malicia. Elle n’a pas su gérer. Elle n’a même pas donné son consentement. En principe, Bobby est patient, tolérant et tout ce qu’on veut d’autres. Sauf là. Un ‘petit con’ résonne dans sa tête. Axel a toujours été un jeune perdu, assez arrogant et insolent pour refuser de parler durant les séances. Mais il n’avait rien contre lui. Tant qu’Axel ne tuait pas quelqu’un, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter. Jusqu’à aujourd’hui. Son geste aurait pu tuer quelqu’un. Il aurait pu se mettre lui-même en danger. Il aurait pu tuer Malicia. Il a eu un comportement inconscient, égoïste. Un comportement indigne de tout ce qu’on a pu lui apprendre ici. Si encore, la jeune femme avait eu l’habitude de maîtriser une telle puissance, pourquoi pas, elle n’aurait pas manqué de tout détruire et ne serait pas tombée de fatigue. Bobby n’aurait rien critiqué. Axel est encore jeune, il n’en fait qu’à sa tête et il réagit sans réfléchir. Il apprendra. Il faut espérer. C’est ce qu’il se répète quand il rejoint son bureau. Il repousse l’envie de le trouver et de le traiter d’inconscient. Il repousse le désir de lui hurler tout le mal qu’il pense de sa méthode. Tout le monde fait des erreurs. Axel y compris. Même si il n’a pas l’étoffe d’un X-Man aujourd’hui, il le sera peut-être un jour. Peut-être. Le psychologue doit séparer les pensées professionnelles et personnelles. Il doit être impartial, objectif. Il ne peut pas s’en prendre au gamin. Il ne peut pas. Mais quand même. Il déteste que l’on mette ses proches en danger. Il déteste que l’on se comporte de manière inconsidérée. Qui sait ce qui aurait pu se passer ? Malicia est forte, extrêmement forte. Pour autant, elle ne peut pas gérer toutes les mutations. Toutes les puissances. Axel a eu de la chance qu’il ne cause pas davantage de dégâts. Si il s’attend à des félicitations ou à des encouragements, il a tort. Il n’en aura pas. Du moins, pas de Bobby. Il n’en a pas fini avec sa colère. Il sait qu’il devra attendre plusieurs heures avant qu’elle ne redescende. Avant qu’il ne puisse agir posément. Il aurait dû être dehors. Il aurait assommé Axel avant qu’il ne fasse de conneries. Il aurait pu voir ce que la gamin prévoyait de faire. Il s’en veut. Évidemment qu’il s’en veut. Quoiqu’il en dise, quoiqu’il en pense, il tient encore à Malicia. Elle est et restera son premier vrai amour. Elle fait partie de ces personnes que l’on ne peut pas mettre en danger, sans qu’il ne s’énerve et crie au scandale. Kitty, Malicia, Ororo, Snow Johanna… Des femmes qui l’entourent et qu’il apprécie. Il ne verrait pas sa vie sans elles. Et sûrement pas sacrifiées par un crétin.
Il en est là de ses réflexions lorsqu’il voit le visage d’Axel apparaître dans le couloir. Évidemment. Il faut qu’il le croise à ce moment là. En passant à côté de lui, Bobby lui adresse seulement un signe de la tête. Il ne va pas lui parler. Pas tout de suite. Pas sans avoir pris du recul. Pas sans avoir réfléchi. La vague de colère qui le submerge le conforte dans cette idée. Il ne va pas l’aborder. En même temps, Axel doit comprendre qu’il ne doit plus jamais refaire ça. Il doit comprendre que son comportement est inacceptable. Bobby s’arrête. Il se retourne. Il peut lui dire. Calmement. Posément. “Axel… je peux te parler un instant ?” Il traverse la distance qui le sépare du jeune mutant. Il essaye d’être calme. Il essaye vraiment. Il est connu pour son sang-froid et sa patience à toute épreuve. Sauf qu’il a failli mourir il n’y a même pas vingt-quatre heures et que Malicia est dans un triste état à cause d’Axel. Deux raisons pour ne pas réussir à garder le contrôle. Alors, quand il est enfin face au gamin, il ne peut pas retenir la déception mêlée à la colère. Un cocktail magique. Quand il reprend la parole, c’est sur un ton sec, sur un ton plus fort qu’il ne le voulait au départ. “Qu’est-ce qu’il t’est passé par la tête ?” La question que tout le monde se pose. Il n’ignore pas que la puissance de sa mutation est impossible à maîtriser pour l’instant. Mais Axel aurait pu rester en retrait. Il aurait pu essayer d’aider autrement. Il y avait des centaines de manières d’être utile. Il a fallu qu’il choisisse la pire. Bobby ne va pas tolérer l’insolence, il ne va pas tolérer de sourire fier. Il n’acceptera que des excuses. Rien d’autre.
L’étrange sensation d’être arraché à un rêve, ou plutôt à un cauchemar, ne cessait de lui coller à la peau. Il se sentait différent, comme si quelque chose en lui avait drastiquement changé. Axel avait suivi les autres en silence, les pieds très légèrement au-dessus du sol alors qu’il avançait la tête baissée et le regard vagabond, fuyant celui des autres élèves et des autres professeurs. Il n’avait pas décidé de rester auprès d’eux non plus et s’était simplement assuré de foutre le camp le plus vite possible dès qu’on eut remarqué qu’il était encore là et bien loin d’être mort. Chanceux, il n’avait été qu’égratigné au bras, mais lorsqu’il reposa les yeux sur sa blessure pendant que les autres s’occupaient de se rassurer et de discuter pour essayer de se redonner courage et de se faire oublier tout ce qui avait bien pu se passer si soudainement, Axel fronça les sourcils en relevant sa manche, s’apercevant que la blessure n’était même plus là. Ni sang, ni cicatrice, ni rien d’autre. Alors qu’il l’avait pourtant bien sentie lui brûler la peau, et qu’il était certain d’avoir vu briller sous le tissu lorsque le Pouvoir s’était manifesté à plusieurs reprises. Et pourtant, ça n’était plus là. Isolé à l’écart, éloigné des autres qui parlaient, se rassuraient et se réconfortaient, il passa une main sur son bras, cherchant à comprendre ce qu’il pouvait bien s’être passé pour que la blessure ait ainsi disparue, mais il n’y trouva pas la moindre explication, et malgré le souvenir encore brûlant de sa peau écorchée à ce moment, il préféra oublier ce détail dans un coin de son esprit et supposa qu’un de ses camarades l’avait soigné sans même qu’il s’en rende compte, puisqu’après tout, c’était loin d’être une priorité, d’autres avaient été plus gravement blessés. Il n’était pas non plus resté auprès des autres, simplement mal à l’aise à l’idée de devoir affronter des regards et des questions plus violentes les unes des autres, ceux qui étaient là et qui l’avaient vus faire n’allaient pas lui offrir le moindre répit. Alors il s’en offrit lui-même en s’enfermant dans l’une des toilettes, les yeux plantés dans ceux de son reflet, à essayer de comprendre ce qui lui était passé par la tête, car lui-même n’y comprenait rien. Il avait eu l’impression qu’autre chose décidait à sa place, comme s’il n’était plus Axel. Comme s’il y avait eu une chose qui le contrôlait.
Ses prunelles d’un bleu bruyant résonnaient encore de quelques reflets dorés. Et le visage grave, encore creusé après ce qu’il s’était passé avec Malicia, Axel serrait les dents et les poings, il avait l’impression qu’il avait fait quelque chose de bien, mais par la même occasion se haïssait de ce qu’il avait fait. C’était encore trop récent pour qu’il puisse se faire une véritable idée de ce qu’il avait fait, et qu’il puisse juger si ça avait été une bonne ou une mauvaise idée ; tellement récent qu’il sentait encore son corps s’élever au-dessus du sol contre sa volonté. S’accrochant de toutes ses forces au lavabo, il se força à reposer les pieds au sol. Ses mains serrant si fortes qu’il avait même commencé à lentement canaliser de l’énergie entre ses paumes, une énergie différente des salves qu’il projetait d’ordinaire. Une énergie chaude, brûlante même, sifflante et corrosive qui avait commencé à s’en prendre à la porcelaine alors qu’elle n’était encore que sous la peau de ses paumes, laissant s’échapper une vapeur blanchâtre. Les yeux d’Axel s’illuminèrent de nouveau, complètement, plus fort qu’à l’ordinaire. Comme deux torches, comme si des flammes trop lumineuses s’apprêtaient à en sortir, quelque chose clochait. Quelque chose d’anormal se produisait depuis qu’il avait laissé s’échapper une partie de son pouvoir à travers Malicia, il ne comprenait rien. Il ne comprenait plus. Il voulait comprendre, mais une sensation de terreur l’envahissait alors qu’il sentait brûler une rage sans fin au creux de ses entrailles, un sentiment qui l’avait toujours habité depuis qu’il avait perdu Lucas mais qui était bien plus intense et bien plus vorace maintenant. Poussant un grognement, les muscles serrés et le corps endolori par les efforts qu’il produisait pour simplement arrêter son Pouvoir, il reposa les pieds au sol après un autre grognement douloureux et difficile. Furieux contre lui-même, son poing droit vint s’abattre sur le côté, contre un mur, la douleur vint envahir sa main. Puis le reste de son corps, et ses yeux perdirent de leur brûlante luminosité. Axel retrouva son calme, se passa le visage sous l’eau et resta immobile quelques instants à fixer son reflet, duquel il était persuadé d’apercevoir autre chose, comme dissimulé derrière sa propre silhouette, comme caché dans le coin de son œil, comme si une autre chose s’y camouflait. Il avait l’impression de devenir fou.
L’impression de perdre pied avec la réalité. Comme s’il basculait dans une espèce de rêve éveillé où ses pires cauchemars prenaient formes. Comme les espèces d’insondables et horribles limbes dans lesquelles il s’était égaré pendant son coma, un royaume terrifiant de vide, de noirceur et de froideur. Mais plus il y pensait maintenant et trouvait similitude dans ce qu’il ressentait, plus il prenait conscience de ne pas avoir passé trois années dans un vide complet, des images lui venaient en tête, des espèces de rapides successions de choses plus ou moins informes lui traversait l’esprit et serrant les poings à nouveau il ferma les yeux, grimaça en se concentrant sur autre chose et se força à ne plus y faire attention, redirigeant toutes ses pensées sur les souvenirs heureux qu’il lui restait de Lucas et lui-même. Et ça fonctionna. Axel était véritablement, et enfin, de nouveau là. Calme, apaisé et tranquille. En tout cas, spirituellement et vis-à-vis du dérapage de son Pouvoir. Prenant de grandes inspirations pour rester calme, Axel sortit finalement de son isoloir de fortune et décida d’immédiatement aller s’enfermer dans sa chambre, c’était le seul endroit où il serait à l’aise, en tout cas tant que les deux autres avec qui il la partageait ne viendraient à leur tour. Mais pour le moment, ce serait suffisant. Il était encore bien loin de se réjouir et d’être heureux, toujours prisonnier de la sensation terrible de conséquences qui lui tomberaient dessus maintenant que beaucoup avaient été témoins de ce qu’il avait fait, sous la pression, sous les ordres des véritables X-Men qui insistaient pour qu’il participe et qu’il use de son Pouvoir. Sur le moment, Axel s’était persuadé qu’il n’y avait rien d’autre à faire, il ne pouvait aider que de cette façon, et pas d’une autre. Et même s’il était maintenant conscient de la gravité de son erreur et du danger dans lequel il avait mis, non seulement, Malicia mais aussi les autres, et sans doute le reste de la ville, lorsqu’il constata avec quelle violence son Pouvoir pouvait être dévastateur dans des mains non-habituées – même si lui-même ne savait pas s’en servir – Axel commença à regretter sa décision. Il n’avait jamais pensé que sa mutation pouvait être aussi dangereuse et aussi puissante, et s’il avait su il se serait bien retenu ne serait-ce que d’entrer en contact avec elle pendant une fraction de seconde. Mais le mal était fait, et même s’il regrettait, Axel était une forte tête, il porterait fièrement son erreur et continuerait d’insister sur les bonnes intentions qui l’avaient poussé à agir de la sorte plutôt qu’à se confondre en excuses et en implorations pour leur pitié et leur pardon.
Silencieusement, il marchait le long du couloir, perdu dans ses pensées, les yeux fixés sur ses pieds – comme pour se forcer consciemment à rester au sol, ayant encore du mal à forcer ses pouvoirs à se taire et s’éteindre. Et interrompu dans sa lente et muette fuite vers le refuge qu’était sa chambre, Axel redressa la tête dès qu’il entendit la voix de Bobby. Ses yeux évitant le contact de ceux du psychologue, pour une fois, et haussant les épaules à sa question, non pas d’un air nonchalant et désintéressé mais plutôt comme s’il se doutait de quoi ladite conversation allait se composer. Le regardant s’approcher, le cœur s’arrêtant quelques instants et un creux se nouant dans son estomac, Axel croisa brièvement son regard. C’était loin d’être difficile de deviner, Bobby n’allait pas lui parler de la pluie et du beau temps après ce qu’il venait de se passer. Axel était silencieux, les bras pendants, se mordillant l’intérieur de la joue, stressé et angoissé à l’idée de commettre une autre erreur. Et les mots du psychologue lui arrachèrent l’esprit. Cisaillant et incisant profondément en lui, « Qu’est-ce qu’il t’est passé par la tête ? » son ton sec, cette violence dans quelques mots, dans une simple question. Axel resta silencieux, baissa le regard pour fixer le sol quelques instants et redressa ensuite la tête, plongeant son regard dans celui du psychologue, sans rien dire, prenant simplement une grande inspiration qui était déjà marquée d’agacement à cause de la façon dont il le lui avait demandé, et haussa les épaules, un bref secouement de tête, « Je sais pas. » laisse-t-il d’abord s’échapper de ses lèvres dans un murmure rauque, encore frappé du très léger, et étrange, écho qui avait accompagné sa voix quand il s’était déchargé d'un surplus d'énergie en Malicia, « Je voulais aider. J’voulais juste aider. » avait-il continué, les mains tremblantes contre ses cuisses. Il n’avait pas voulu à mal, il n’avait jamais voulu faire de mal à qui que ce soit.