Seize heures. Son téléphone se met à vibrer. Une alarme pour lui rappeler qu’il a un rendez-vous. Une pause dans sa journée de travail. Sauf qu’il n’a pas terminé de livrer tous ses colis. Il en est même loin. Il hésite un instant. Un tout petit instant. Juste avant d’esquisser un grand sourire. Il dépose son véhicule de travail - comprendre son vélo - dans une ruelle. Il l’accroche rapidement à un escalier de secours. Il retrousse les manches de son uniforme affreux. Il récupère le sac qui contient les enveloppes et autres colis à déposer chez les clients. Trois. Deux. Un. Let’s go. Il file à travers la ville. Laissant derrière lui un filet rouge de lumière où quelques éclairs se dessinent. Faut pas croire, il respecte le code de la route. Il court sur le trottoir. Il prend à droite. A gauche. Il traverse sur les passages piétons. Il regarde de chaque côté de la route avant de traverser. Il ne bouscule pas les gens. Il lance un “Pardoooon ! Désolé !” à la grand-mère dont il vient de renverser le cabas. Il poursuit sa route. Ivre de joie et de vitesse. Qu’est-ce qu’il aime ça ! Sentir ses cheveux batailler dans les airs. Sentir le vent fouetter son visage. Voir la ville défiler sous ses yeux. Avoir l’impression que tout est au ralenti. Être hors de la vitesse. Il a un privilège que peu ont. Un privilège dont il n’arrive pas à se lasser. Il termine ses livraisons rapidement. Fallait s’y attendre. Toutes les minutes, il entre dans un bâtiment à vitesse normale. Il en ressort la minute d’après. Et il enchaîne. Ainsi de suite. Jusqu’à devoir retourner jusqu’à la ruelle où il a abandonné son vélo. Cela doit faire, quoi ? Quinze minutes ? Il a déjà un quart d’heures de retard sur son rendez-vous. Mais ça ne change pas de d’habitude. Il passe en vitesse à côté d’un homme bedonnant, la cinquantaine. Il ne le remarque pas tellement, sauf peut-être pour constater qu’il a une tâche de ketchup en forme de chien sur sa chemise. Ah oui, et quand la moumoute de gars s’envole et atterrit sous le pied de Jared. Il manque de tomber dans un roulé-boulé non-contrôlé. Il se rattrape au lampadaire le plus proche. Bon sang ! C’était moins une. Il récupère le tas de cheveux par terre. C’est incroyable. On dirait presque une vraie. Même si on pourrait la prendre pour un gros tas de poils appartenant à Chewbacca. Il l'époussette doucement avant de la ramener à son propriétaire. Toujours être serviable. Toujours ! “J’ai marché dessus, elle est un peu sale. Vous vous méfierez, on dirait qu’il y a un bout de chewing-gum, ce serait con qu’elle reste collée à votre tête, hein.” Il esquisse un grand sourire au gars. Même pas un ‘merci’ ? Même pas un ‘Wow, vous êtes incroyablement gentil, que dieu vous bénisse’ ? Même pas un pourboire ? PFFFU ! Les gens sont devenus tellement individualistes. Tant pis. Jared s’éloigne déjà. Faut qu’il récupère son vélo. “V-vos chaussures fument !” Jared baisse le regard vers ses converses. Effectivement. Crotte ! Il fait un clin d’oeil au passant à la moumoute. Pas de problème. Ça lui arrive souvent. Parfois même, il en perd ses vêtements. Il n’arrive pas encore à jauger sa vitesse et à juger s’il va trop vite ou pas. Mais ça va venir.
Pour l’instant, il se contente de faire une danse digne d’un indien pour éteindre les volutes. Voilà ! Tout est sous contrôle ! OH BORDEL ! UNE FLAMME ! Y A UNE FLAMME ! Il ouvre de grands yeux. Merde. Il prend feu ! AU SECOURS. Il va mourir. Il va finir en poulet rôti. Il va se transformer en une brochette sur un barbecue. Il retire rapidement sa veste pour la jeter sur le bas de son jean. Il attend quelques secondes avant de la retirer. Okay, cette fois, c’est bon. Ne soyez pas déçu, il se transformera en poulet un autre jour. Ce n’est que partie remise ! Il se rend compte seulement maintenant que des gens se sont arrêtés autour de lui. On avait dit discrétion, hein ? C’est plutôt raté. “C’est ce qui arrive quand on marche trop vite ! Faites attention à vous aussi, on sait pas quand ça peut arriver.” Fuis, Jared, fuis ! Il traverse la foule, avec une démarche décontractée. A l’intérieur, c’est plutôt “Mayday mayday, on est démasqué ! Ils savent que tu es le machin lumineux qui traverse la ville. Sauve-toi ! Tu vas te faire tuer ! COURS !”. Finalement, il arrête de paniquer quand il finit par retrouver son vélo. Il ne s’est pas fait tuer par un vilain. Il n’a pas été arrêté pour qu’on lui demande un autographe (de toute manière, qui le ferait ?). Il enfourche son bolide qu’il a gentiment renommé Flash McQueen depuis qu’il a découvert sa vitesse. Flash McQueen, c’est le fidèle destrier que tous les cowboys lui envient. Il ne mange pas. Il ne boit pas. Il ne s’arrête pas pour ses besoins en plein milieu de la route. Bon okay, faut pédaler sévère pour avancer rapidement. On ne peut pas tout avoir ! Il l’aime bien, son Flash McQueen. Tous les deux se connaissent depuis plusieurs mois, maintenant. Ils connaissent le caractère de l’autre. Ils sont complices, hé ouais ! Il est temps de montrer de quoi le vélo est capable. C’est parti ! Pédale. Pédale. Pédale. Allez, Jared. Avance plus vite que ça ! Tu te traînes. On dirait une vraie grand-mère. Hop hop, un peu de nerf ! Il finit par arriver devant le diner typiquement américain où Kyla travaille. Enfin, travaillait. Il est en retard, elle doit déjà attendre qu’il se pointe. Il gare son bolide dans un dérapage contrôlé (il pose un pied au sol et décale son vélo pour l’appuyer contre le mur). Il retire son uniforme qu’il fourre négligemment dans le sac. Il est paré pour sa pause. De toute manière, il a terminé ses différentes courses. Il a tout le reste de la journée pour glander et s’amuser. Jazz travaille comme d’habitude. Harry doit cuver quelques bières dans son appartement. Et ses autres potes sont trop occupés pour se libérer en plein milieu de l’après-midi. Il n’y a que Kyla pour le sauver de l’ennui. Ce qu’il y a de bien avec elle, c’est qu’elle a la même mentalité que lui. Ou la même non-mentalité. Il n’y en a pas un plus responsable que l’autre. Pourtant, ils sont adultes et travaillent tous les deux. Mais non. Toujours à faire des conneries. Toujours à jouer aux gamins. On ne les changera jamais.
Il pousse la porte de l’établissement. Plongée immédiate dans une autre époque de l’Amérique. Il aime bien cette endroit. Ça lui rappelle (non pas qu’il ait connu cette époque) les années les Américains se dandinaient sur du rock. Il se serait tellement éclaté si il y avait vécu. Il esquisse un sourire à la serveuse qui débarque avec ses rollers aux pieds. Une collègue de Kyla. “Salut ! Tu viens pour manger ou tu comptes traîner Kyla dans tes galères ?” Comment ça, la traîner dans des galères ? Ce n’est absolument pas le genre de Jared. Vous voyez l’auréole au-dessus de sa tête ? C’est bien la preuve qu’il est irréprochable ! Il dessine une moue attendrissante. Même les collègues de Kyla commencent à bien le connaître. A croire qu’il a un panneau “danger ambulant” collé au front. Et puis, d’abord, c’est pas de sa faute ! C’est elle qui vient chercher les problèmes et qui l’entraîne dans des situations pourries. Il n’est qu’un pauvre être manipulé et influençable. Il n’est qu’une frêle créature entre ses doigts crochus et méchants. Ça ne se voit pas ? “On va rester sages aujourd’hui, promis ! Sinon, t’auras qu’à cracher dans mon milkshake la prochaine fois que je viens manger.” La prochaine fois qu’il vient, il refilera sa boisson à quelqu’un. Parce qu’il est certain qu’ils vont avoir quelques égratignures après cette énième sortie. Tout dépend si Kyla se décide à être raisonnable et adulte. Pour une fois. Il ne demande que ça, lui. Aller au musée (pour mettre son doigt dans le nez des statues ou pour imiter les tableaux). Aller au cinéma (pour jeter du pop-corn sur les gens et critiquer les acteurs). Manger au restaurant (pour… pour manger, en fait). Il attend que Kyla réalise enfin qu’elle peut avoir un comportement mature. Lui, il se contente de se mettre à son niveau pour ne pas qu’elle se sente exclue de la société, vous voyez ? Il est une âme charitable et pleine de bonté. Qu’est-ce qu’elle ferait sans lui ? La collègue semble satisfaite du marché. Elle a même un petit sourire. Quoi ? Elle a déjà craché dans son milkshake ? BEURK. “Deal ! Elle est à l’arrière, elle se change. Tu peux l’attendre là, si tu veux.” Il acquiesce. Il s’installe sur le tabouret qu’elle désigne. Un peu de repos va lui faire du bien après les kilomètres qu’il va de faire au pas de course. Heureusement qu’il n’est pas asthmatique, il serait déjà tombé raide dingue par terre. Après chaque course, il est seulement essoufflé et courbaturé. Comme un papy qui aurait enfin réussi à aller de son salon à sa cuisine en trois heures et six minutes.
Vous savez quoi? Même si je ne suis pas là où je pensais être en arrivant à New-York, je ne vais pas me plaindre. Au moins, j'ai un toit au dessus de ma tête, de quoi manger dans mon assiette, et un travail. Certains ne sont pas aussi chanceux que moi après tout. D'accord, ce n'est pas le métier de me rêves, mais il faut bien manger et puis honnêtement, il est plutôt bien adapté pour quelqu'un comme moi. Hyperactif je veux dire. Je passe mes journées (ou mes soirées ça dépend de mes horaires) à rouler sur mes patins d'un bout à l'autre de la salle; entre prendre les commandes, apporter les plats et boissons, passer un coup de chiffon sur les tables libérées...tout cela permet d'aider à brûler ce trop plein d'energie que j'ai toujours en moi. Ca ne m'empêche pas de boire mes tisanes matin et soir (Jared a osé me traiter de mamie nova quand il l'a découvert!) mais ça aide, définitivement. Et puis j'ai pu rencontrer des gens très bien grâce à ce travail...
Notamment Jared. Et là vous me dites: "Who?" Jared, ou bouffe-tout comme j'aime le surnommer quand il mange beaucoup au diner. Il sait que je le taquine et puis c'est en rétaliation du "mamie nova" (je t'en ficherai des mamies nova!). Mais revenons à nos Jared. Il est un de mes meilleurs amis ici. Si au départ il n'était qu'un client parmi tant d'autres, le fair qu'on ait approximativement le même âge mental nous a vite rapproché...hey, qui se ressemblent s'assemblent comme on dit. Il est fan de super-héros, et je crois que je commence à en attraper le virus. Ou alors ce n'est que lorsque l'on est ensemble et qu'il a la passion communicative? Je n'en sais rien honnêtement, mais le fait est là. Dès qu'il y a une connerie à faire, en général on est là pour y aller les deux pieds devant! Malgré cela on a jamais eu de gros, gros soucis, ce n'est pas faute d'essayer. Et vu où je vis habituellement, on aurait pu...le Bronx quoi. Hey, ne me regardez pas comme ça, je fais ce que je peux avec les moyens à ma disposition. Cette ville est si chère...moi qui trouvait Edimburgh chère...ah! La bonne blague. Mais passons.
"J'ai fini Jess! Je vais me changer!"
Surtout que je devais faire vite. Jared devait venir me chercher ce soir pour qu'on passe un peu de temps ensembles. À faire quoi, je n'en n'ai pas la moindre idée. On verra bien le moment venu. Sûrement à être de grands gamins. Je lui aurait bien proposé d'aller à l'inauguration de nouveaux bâtiments fraîchement reconstruits, mais je doute que mes exclamations d'admiration pour les travaux de l'architecte en charge soient aussi intéressantes pour lui que les siennes envers les super-héros ne le sont pour moi...
Je referme enfin mon casier et attrape mes patins à roulettes avant de revenir à l'avant du diner. Mon sourire se fait immense quand je le vois, à m'attendre sagement. On pourrait presque le penser mature en le voyant comme ça. Et puis je lui ruine son groove, en me jetant sur lui pour le serrer dans mes bras. Oui je suis quelqu'un de tactile, que voulez-vous.
"Jared! Tu as réussi à ne pas être en retard, je suis impressionnée." En général il a toujours quelques minutes de retard, rien de bien méchant, mais c'est un fait. Pour un coursier c'est amusant. Je finis par relâcher mon étreinte "Allez, on y va" "Ne faîtes pas trop de bêtises tous les deux..." je me tourne et offre un grand sourire innocent à Jess "Nous? Mais noooon. Tu nous connais!" "Justement..."
Sur ces bonnes paroles, nous sortons du diner et je vois son vélo. Jusque-là, je n’avais pas vraiment d’idée de quoi faire mais maintenant…Je me tourne vers Jared, un sourire malicieux sur le visage.
"Jareeeeeed…Ca te tentes de faire un tour en ville ?"
Je pointe son vélo, puis mes patins, suivi d’un haussement de sourcil entendu. Je savais qu’il n’aurait pas besoin de plus pour comprendre où je voulais en venir.
Si on en croit les réseaux sociaux, y aurait un nouveau super-héros dans la ville. Une espèce de traînée rouge qui laisserait des éclairs sur son passage. Héhé, il est déjà connu dans le monde entier, Jared en mettrait sa main à couper ! Il a la classe, à courir dans tout New-York. Il est même reconnaissable. C’est le début de la gloire, les amis ! Demain, on érigera une statue en son honneur et on criera son nom pour obtenir ne serait-ce qu’un regard. Bon okay, il ne va pas devenir une célébrité qui fera mouiller la culotte des midinettes, mais tout de même ! Il a le droit de rêver, non ? Allez, les gars ! On lui dira plus tard qu’il risque de mourir dix fois par jour et qu’il sera sûrement la cible de super-vilain. Laissez-le encore s’imaginer une vie heureuse et insouciante. Jared change de direction dans ses recherches sur les réseaux sociaux. Ce n’est plus la traînée rouge (faut vraiment qu’il se trouve un alias) qui l’intéresse. Une même version bleue existe. Une version qui est devenue l’obsession de Jared. Pour une fois qu’il a des super-pouvoirs, il faut qu’on le copie ! C’est vraiment insupportable. Il veut rencontrer cette personne pour lui expliquer rapidement que ça ne se fait pas de voler les pouvoirs des autres, non mais ! Imaginez que cette traînée bleue soit plus appréciée que lui, il fait comment ? Il se teint en blond pour avoir des traînée jaune ? Va falloir faire quelque chose ! Mais il est arraché de son téléphone par une espèce de folle blonde qui le serre contre lui. Hé oh ! Il a besoin de respirer, on se calme ! Pour autant, il rend l’accolade, non sans avoir éclaté de rire. On dirait qu’ils ne se sont pas vus depuis dix ans, alors que leur dernière rencontre date de quelques jours. “Fais gaffe que ma petite-amie ne te voit pas, elle pourrait t’exploser la tronche.” Une petite blague qui cache une vérité. C’est vrai que Jazz pourrait jouer avec ses petites mains pour que la tête de Kyla disparaisse. Ce serait un spectacle dégueulasse. Des morceaux de cervelle partout. Des lambeaux de peau collés au comptoir. Bref, on ne veut surtout pas voir ça. D’ailleurs, est-ce que Jazz est du genre jalouse ? Faudrait qu’il lui pose la question, un de ces jours. Il ne voudrait pas que toutes ses amies finissent au fond d’un trou parce qu’il aura été trop proche d’elles au goût de Jazz. Ce serait quand même con, non ? “Jared! Tu as réussi à ne pas être en retard, je suis impressionnée.” Il est à l’heure, sérieusement ? Il jette un coup d’oeil plein d’espoir à son téléphone. Ses épaules se rabaissent. Même pas. Il est en retard. De vingt minutes. Quoique, pour Kyla, ce doit être un miracle de ne pas devoir l’attendre pendant une heure. Donc, disons qu’il s’agit d’un exploit. Ils doivent au moins célébrer cet événement avec un milkshake… ah non, Jess va cracher dedans. Ils iront le boire ailleurs, ils feront marcher la concurrence, comme ça. “Je sais, je m’améliore, mais j’ai encore du travail à faire !” Il joue la modestie, le petit Jared, alors que son sourire fier vient tout gâcher. Faut dire que ce genre d’exploits n’est pas courant. Sa mère serait émue aux larmes de le voir arriver avec seulement vingt minutes de retard. Son patron serait jaloux que son coursier n’ait pas la même rigueur au travail. Quand je vous dis que c’est un événement extraordinaire !
Ils finissent par se séparer, chacun reprenant ses distances. Ils doivent former un drôle de duo d’amis, ces deux-là. Mais faut dire qu’ils ressemblent à deux gamins qui sécheraient les cours. C’est un peu ça pour Jared. Officiellement, il n’a pas terminé sa journée. Vraiment, ces deux-là doivent offrir un spectacle assez drôle et surprenant. Ils sont un gros fuck à ceux qui pensent que l’amitié homme/femme n’est pas possible. Elle l’est. A condition de se comporter comme deux enfants. “Allez, on y va” Il récupère son téléphone et se lève de son tabouret. Il lève les yeux au ciel quand Jess ramène sa fraise. Typiquement la fille qui n’a aucune confiance en eux ! Ils sont majeurs, ils sont responsables, ils sont grands. C’est pas comme si ils s’apprêtaient à faire des bêtises. C’est pas comme si ils avaient déjà fait les idiots à plusieurs reprises. Ils savent rester raisonnables. Tiens, ils vont même aller s’asseoir dans un parc pour nourrir les pigeons et refaire le monde. Rassurée, Jess ? Son inquiétude en serait presque vexante. A croire qu’ils ont besoin d’un adulte mature pour les surveiller. Non mais oh ! Ils savent ce qu’ils font. Parfois. Merde. Kyla a son sourire qui dit “on va s’éclater, mais ça sent mauvais”. Il la regarde avec suspicion. Elle a toujours des idées pourries. Alors que lui, il est raisonnable et tente de la tempérer. Si si, il faut le croire, voyons ! Pourquoi vous doutez tous comme ça ? “Jareeeeeed… Ça te tentes de faire un tour en ville ?” Des patins. Un vélo. Il comprend tout de suite où elle veut en venir. Dans sa tête, il y a un cri de joie qui retentit. Mais il ne peut s’empêcher de secouer la tête de droite à gauche. Noooon, ils vont tomber et se casser des trucs. Il n’a pas besoin de ça pour se faire mal, lui. Et il a promis qu’ils ne feraient rien d’insensé. Il est sûr que Jess les espionne à travers la vitre. Elle surveille qu’ils ne fassent pas de bêtises. C’est soit son milkshake, soit l’amusement. Qu’est-ce qu’il va choisir ? “J’sais paaaas. T’es maladroite comme fille et je sais pas si tu serais capable de supporter la vitesse de mon bolide…” Il fait mine de réfléchir, une main sur la selle de son vélo. Est-ce vraiment raisonnable ? Non. Est-ce qu’il est vraiment raisonnable ? Absolument pas. Est-ce qu’il a le temps ne pas être raisonnable ? Absolument oui. Et puis, regardez-la. Elle a tellement l’air d’avoir une vie ennuyeuse. Il doit la sortir de là. Il doit faire une bonne action. Il n’a pas le choix d’accepter. Parce que Jared est un bon Samaritain. Il a le coeur sur la main et toutes ces conneries. “Boooon, okaaaay. Mais juste un petit tour et après, j’te ramène chez tes parents. D’accord ?” Mais seulement parce que c’est elle. Seulement parce qu’elle a insisté pendant des heures (ou pas). Seulement parce qu’il veut lui faire plaisir (et s’amuser aussi).
Il décroche son vélo et le fait rouler sur quelques mètres pour se décaler du mur. Ils vont rouler sur le trottoir, ce sera moins dangereux. Enfin, si il arrive à éviter les enfants, les parents, les chiens et les grands-mères. Finalement, la route est peut-être un meilleur choix. Il passe une jambe de l’autre côté de son vélo. Il a une espèce d’inquiétude qui vrille dans son estomac. Et si il n’était pas capable de maîtriser sa vitesse ? Il est encore dans une phase d’apprentissage. Sa vitesse se déclenche à n’importe quel moment, en particulier quand il est pressé. Si il se met à pédaler rapidement avec Kyla accrochée derrière lui, il n’est pas à l’abri d’une catastrophe. Il chasse cette pensée de son esprit. Rien ne va se passer. Il est un futur super-héros. Il sait contrôler et au pire, il utilisera cette même super-vitesse pour la sauver. La traînée rouge est dans la place, les gars ! Il se tourne pour croiser le regard de Kyla. “T’es prête ? Accroche-toi bien !” C’est parti, les amis ! En avant pour de nouvelles aventures new-yorkaises ! Même qu’il pédale normalement ! Pas de quoi stresser, alors. Tout est sous contrôle. Tout va bien. Il contrôle la situation. Il commence leur promenade sur le trottoir, avant de débouler sur la route. Il enchaîne les virages et les dérapages. On s’en fout ! Ils rigolent comme deux idiots insouciants. De nouveau sur le trottoir, il file tout droit. Il se laisse prendre par l’enthousiasme du moment et se met à pédale un poil plus vite. Juste un poil. Mais suffisamment pour ne pas capter qu’il se rapproche d’une école et que des gamins commencent à sortir du bâtiment. Le voilà qui freine comme il peut pour les éviter. Le vélo chute. Jared avec. Kyla suit. Il se retrouve enchevêtré dans son vélo, les fesses douloureuses, mais un sourire sur le visage. la meilleure chute du monde entier ! Les gens les regardent, hagards. Ils ne comprennent pas ce qu’il vient de se passer. Jared se défait du vélo et l’abandonne par terre pour s’intéresser à son amie. “Hey ! Ça va ?” Il a un corps à l’épreuve de la douleur depuis son enfance. Faut dire qu’avec tous les os cassés, toutes les foulures et autres entorses, il a de l’expérience. Par contre, la pauvre Kyla n’a pas le même pedigree. Faudrait pas qu’elle fonde en larmes parce qu’il n’a pas été assez prévenant. Il s’en voudrait fort et serait obligé de lui payer un Starbucks !