L’arbre étincelait de mille feux, s’étirant jusqu’au plafond en une longue tige verdâtre. Vito sentit une main passer dans ses cheveux blonds, il tourna la tête et croisa le visage souriant de sa mère. Drapée dans sa magnifique robe verte, ses cheveux roux et ses lèvres d’un rouge intense ressortaient comme jamais. L’enfant la fixait avec le regard brillant d’étoiles et d’admiration. Il lui pressa la main avec tendresse et lui murmura de sa voix attendrie :
- T’es belle maman !
Elle esquissa un sourire et se pencha pour s’abaisser à sa hauteur, ses longs bras maigrelets l’entourèrent et elle l’enlaça avec tendresse. Quelques exclamations attendries s’élevèrent parmi les invités. Cette soirée mondaine organisée par les Newport avait attiré tout le gratin New-Yorkais. Tout le monde se pressait pour apercevoir ce que cette famille richissime avait préparé cette année. La plus grande surprise, ce que tous ces yeux avides désiraient voir, c’était le nouvel arrivant. Les mauvaises langues persifflaient que le couple Newport se sentait des élans de Brad et Angelina, adoptant aux quatre coins du monde. Ces curieux venaient donc apercevoir la tête de cet adorable bambin aux joues rouges et aux yeux clairs qui intégraient la fratrie.
Engoncé dans un petit costume élégant, Vito ne réalisait même pas que la plupart de ces gens autour de lui étaient occupés à le juger et à juger ses parents. Il restait debout, le regard sur le sapin, les lumières clignotantes le rendant rêveur. C’était la première fois qu’il avait un sapin pour Noël. Et quel sapin ! Un monstre tout d’épines et d’écorce fait. Un golem de bois, un titan du vingt-cinq décembre. Vito se souvenait mal du Noël de l’année précédente, quelque part en Syrie, entre une étable à moitié détruite et une maison bancale, tombant en ruines.
Soudain, des mains l’attrapèrent et il s’envola littéralement pour atterrir dans les bras de son papa. Vito se mit à rire aux éclats quand son père le fit voltiger dans les airs, véritable attraction à soupirs énamourés et attendrissements pour l’audience. Enfin, Vito fut reposé à terre et son père s’accroupit, genou à terre, pour lui caresser les cheveux et lui demander si tout allait bien. Et tout allait vraiment bien. Pour la première fois depuis toujours, Vito ne craignait rien, se sentait aimé et protégé. Ses souvenirs de Syrie s’effaceraient dans les années à venir car la mémoire, débordante de clémence, supprime naturellement les premiers instants de l’enfance. Vito ne se souviendrait donc pas de cette toute jeune fermière dont un soldat étranger avait abusé derrière l’étable, la laissant seule et enceinte de Vito. Il ne se souviendrait pas non plus de ces deux premières années de véritable galère, pure et dure. Et surtout, il oublierait cet instant où sa pauvre mère avait dû l’abandonner aux mains d’autorités compétentes, au bout du rouleau, épuisée et sans le sou.
Son premier véritable souvenir, serait à jamais cet arbre de Noël gigantesque, le sourire éclatant de sa mère et les éclats de rire joyeux de son père.
Le silence régnait dans l’appartement de cet immeuble caressant les nuages. Tout le monde semblait être sorti. Son père était en voyage d’affaire, tout comme sa mère. Sa grande-sœur Tamarah était à une soirée pyjama chez des amies, son grand-frère Thibalt, quelque part errant en ville à une heure tardive. Restait encore les jumeaux, qui avaient été invités à un anniversaire. Vito se retrouvait seul, censé être surveillé par une baby-sitter qui avait reçu un appel de son petit-ami et qui s’était ensuite enfermée dans la salle de bain pour pleurer à chaudes larmes. Le garçonnet avait alors pu s’emparer de la télécommande et choisir lui-même le film qu’il désirait regarder. Contrairement à d’habitude, son choix ne s’arrêta pas sur un cartoon où le coyote pourchasserait indéfiniment Bip Bip.
Cette fois, Vito tomba sur un documentaire. Un reportage de son pays natal, cet endroit dont ses parents lui avaient parlé mais dont il ne gardait aucun souvenir. Le petit garçon entendit beaucoup de choses ce soir-là, de vrais arguments ainsi que des informations véridiques mais aussi des réalités modifiées, des témoignages sortis de leur contexte. En tous les cas, Vito suivit le reportage, déstabilisa à l’idée de ne rien connaître du tout de ses racines. Pour la première fois depuis son adoption, le gamin ne se sentit plus à sa place à cet endroit.
Il profita de l’absence de la baby-sitter pour quitter l’appartement. Descendant les étages par l’ascenseur, Vito remarqua bien les regards obliques des passants sur cette petite tête blonde qui se baladait seul, au beau milieu du hall, à minuit passé. Personne ne l’arrêta cependant et Vito put sortir, respirer l’air nocturne. Ses petits pas le firent avancer dans les rues New-Yorkaise qui sentaient l’essence, les hot-dogs trop grillés et les centaines de parfums de marque ou bon marché, se mélangeant à chaque passage d’un badaud. Vito observa ces gens qui sortaient des bars en riant, d’autres en pleurant et les derniers en vomissant. Ce qui lui valut de faire la grimace, écœuré.
À mesure qu’il avançait, les passants se faisaient plus rares. Les maisons changeaient, laissant place à des bâtiments moins luxueux précédés de vieux grillages mal refermés. Plusieurs fois, il fut apeuré par les hurlements de chiens hargneux montant la garde devant le domicile de leur maître. Vito ne réalisa qu’il s’était perdu que lorsqu’il arriva au beau milieu d’une ruelle sombre, étroite, où les gens le dévisagèrent. Les dames étaient très peu vêtues, certaines laissaient même volontairement apparaître leurs sous-vêtements. Vito n’avait jamais vu des gens s’habiller ou agir de cette façon. Tout le monde fumait, créant un nuage opaque autour de leur tête comme dans les dessins animés. L’odeur de hot-dogs avait laissé place à celle de la transpiration et des ébats dans les petites ruelles malfamées.
- T’es perdu gamin ?
- Tu veux que je te ramène chez toi ?- Tu veux un câlin petit gars ?
Tous des inconnus qui s’avançaient vers lui, lui tendaient la main en souriant de leur visage marqué par les stigmates d’une vie de débauche. Vito continua à avancer, la tête basse et le regard fuyant. Enfin, des sirènes de police firent fuir tout le monde. Vito resta seul au milieu de la ruelle, deux agents sortirent de la voiture et coururent vers lui, le reconnaissant grâce aux photos de lui dans la presse. Ce soir-là, Vito apprit que le monde ne s’arrêtait pas aux vitres brillantes de son appartement et que plus tard, il sortirait de cet univers bling-bling pour aller rencontrer le vrai monde du dehors.
Avant de finir ses études journalisme, Vito avait été en stage reporter de guerre sur le terrain. Il s’était donc retrouvé avec son binôme caméraman, au cœur même de l’action. Et pourtant, cela n’avait rien à avoir avec ce qu’il voyait là, sous ses petits yeux d’humains qui ne comprenaient même pas tout ce qu’il se passait en cet instant. Un trou béant s’était formé dans le ciel, de drôles de choses en sortaient telles des machines. New-York pleurait, New-York hurlait, New-York saignait. Vito n’avait pas suivi les habitants lambda qui couraient le plus loin possible de ce cauchemar car son métier exigeait de lui qu’il transgresse les lois du bon sens.
Vito s’était terré dans un coin, en compagnie de son meilleur ami caméraman et ils avaient filmé, pris des notes et des photos. Des véhicules avaient volés au-dessus de leur tête, des parties entières de bâtiments était tombée en lambeaux sur le sol tels une vulgaire sculpture dont on couperait un bout. Et puis au milieu de ces bestioles extraterrestres, ces super-héros. Ces Avengers. Ces gens qui, depuis quelques années, étaient sortis de l’anonymat. Enfin, pas tous. Mais qui ne connaissait pas Tony Stark et sa précieuse armure ?
Si la révélation de leur existence avait secoué le globe tout entier, New-York était aujourd’hui pendue à leurs lèvres. C’était une question de vie ou de mort. Vito fut témoin de drôles de choses ce jour-là, il prit en photo quelques-uns de ces étranges spécimens qui attaquaient à vue. Une sorte de ver volant géant passa à un moment bien au-dessus de sa tête. Vito croyait à une créature vivante mais son caméraman lui soumis l’idée qu’il puisse s’agir d’un vaisseau. Pas idiot du tout. Et pour contrecarrer cette invasion, une poignée de gars solides comme des rocks, invincibles aux yeux des humains fragiles qu’ils étaient.
Et pourtant, malgré leur victoire, cet évènement fut le début de leur déclin dans le cœur des New-Yorkais.
Tout le bureau était en pleine effervescence, on courait littéralement de droite à gauche, des ordres fusaient aux quatre coins des pièces. Ecris ça, relis ça, imprime ça, corrige ça. Tout le monde bataillait pour finir ses articles et imprimer le papier car aujourd’hui, 8 février 2016, l’humanité avait encore été frappée en plein cœur par les mutants. Vito avait foi en ces êtres dotés de pouvoirs depuis l’attaque de Chitauris. Les avoir vu lutter vaillamment, mettre très consciemment leur propre vie en jeu pour sauver celle des autres, ça lui avait laissé un goût de fierté en bouche.
Cependant, aujourd’hui, le bilan était grave. 5 384 blessés et 3 214 morts. Vito peinait à comprendre comment une telle chose avait pu se produire, c’était une histoire affreuse. Et si sa propre conviction en la capacité des super-héros s’en voyait amoindrie, que dire de celle de New-York ? La ville était en plein désespoir, endeuillée et à bout de souffle. Certains étaient las d’être pris au piège dans les rixes entre mutants, aliens et autres mutants néfastes. Tous, se sentaient impuissants et faibles comparés à ces entités parfois même divines, qui détenaient au creux de leur paume le destin de tant d’innocents ! Sans parler du fait que désormais, presque un habitants sur trois travaillant au cœur de New-York pouvait affirmer avoir perdu une connaissance de façon liée aux super-héros et à leurs ennemis.
Ce jour-là, Vito ne céda pas à la facilité d’adhérer au discourt des Watchers. Même dans les pires moments, le journaliste gardait à l’esprit qu’il y avait deux faces à chaque pièce. S’il prônait la non-violence auparavant, comment persister avec ce discourt lorsque les ennemis étaient armés de pouvoirs surhumains ? Toutes ses convictions étaient ébranlées et le jeune homme se retrouvait complètement paumé.
Ce soir-là, après sa journée de boulot où il avait passé des heures et des heures à reporter des témoignages ou à faire parler des proches des victimes, Vito décida qu’il devait en savoir plus. Il fallait qu’il trouve le moyen de se rassurer, de réaliser une bonne fois pour toute que les mutants n’étaient pas tous des aimants à emmerdes. Et pour ça, sa solution toute trouvée était de rencontrer une poignée de mutants, de les côtoyer et d’écrire à leur sujet en secret. De cette expérience journalistique ressortirait la vérité : si oui ou non, les mutants étaient un danger pour l’humanité.