Theodor soupira en repliant le parchemin qu’on venait de lui apporter. Il releva la tête pour croiser le regard du coursier. « Ton chef a pas marqué la récompense, je m’occupe pas d’un contrat tant que je sais pas combien j’suis payé et que j’ai pas une petite avance. Ils savent mes termes alors maintenant dégage avant que je ne te renvoie à eux dans une boîte en bois. » Gronda-t-il plaquant violemment le parchemin contre le torse du pauvre petit qui tremblait des pieds à la tête. Il avait fait deux jours de voyage pour trouver le mercenaire et il se doutait que le retour dans la demeure de ses maîtres allait se faire dans la douleur. Il ne préféra pas jouer sur la corde de la compassion avec l’homme balafré de peur de se retrouver avec une épée en travers de la tête. Il avait cette réputation d’avoir le sang chaud et d’éliminer les gens avant de se demander si c’était si judicieux que ça de le faire.
Le gamin déglutit et sans demander son reste s’en alla. De toute façon le mercenaire avait baissé la tête sur son assiette se désintéressant de lui, il n’avait plus rien à faire dans la taverne. Theodor attendit qu’il s’en aille pour laisser un soupir franchir ses lèvres. Il n’était pas d’humeur à prendre un seul contrat en ce moment. Amalia. Sa chère sœur, Amalia, était morte en couche. Il n’avait pas eu le temps de passer la voir en neuf mois de grossesse parce qu’il arpentait les terres à la recherche de son contrat. Quand il l’eut trouvé et qu’il lui soutirait son dernier souffle, Amalia s’en allait aussi donnant l’impression à Theodor d’avoir lui-même assassiné sa sœur. Il apprit la nouvelle en croisant son beau-frère dans la taverne du village où il vivait. Il était ivre et tenait des propos incohérents. Il avait bien failli envoyer son poing dans la figure du mercenaire, mais il avait lamentablement échoué dans l’enclos aux cochons du père Galo’Oh. Il lui avait balancé un seau d’eau froide pour le faire dessouler et ils avaient fini par parler quelques heures plus tard. S’il ne le montra pas au début, une fois seul, Theodor laissa sa peine le submerger et par la suite, exécuta ses contrats avec une hargne jusqu’alors inconnue à toute personne connaissant les méthodes de Theodor Leonhard. Amalia et lui n’avaient eu qu’eux dans leur vie. Ils s’étaient toujours très bien débrouillé tous les deux. Et lui qui ne souhaitait que son bonheur fut ravi lorsqu’elle finit par trouver un parti intéressant (un paysan avec des jolies terres) qui lui offrit un toit et l’assurance d’une vie confortable et chaleureuse. Elle s’était d’abord inquiété de savoir où son petit frère allait finir avant d’accepter ce mariage et en ayant l’assurance que Theo pouvait se débrouiller. Amalia avait toujours été là pour lui et le chagrin de sa perte l’éloignait d’un peu tout ce qui le motivait à fouler ces terres. Il n’avait plus envie de tuer en ce moment, il voulait juste du temps avec sa sœur perdue, lui dire à quel point elle lui manquait et la serrer dans ses bras une dernière fois. Il prit trois longs mois à arpenter les Terres de Feu à la recherche d’une solution quelconque. Il laissait traîner ses oreilles et payait grassement toute personne ayant des informations à lui donner sur la communication avec les morts. « Paraît qu’il y a un druide qui peut. » Lui lança une vieille un jour. « Oui mon bon m’sieur, il peut communiquer avec eux. » Un druide hein ? « Dis-moi où il est localisé. » Fit-il en lui montrant sa carte. « Et je te laisse la fin de mon repas. » Il vit les yeux de la vieille s’illuminer et elle s’évertua à s’acquitter de sa tâche le plus sérieusement possible.
Theodor mit des semaines à trouver la trace de ce druide. Il s’installa à l’auberge d’un village où des paysans prétendaient l’avoir vu pour la dernière fois et il guetta. Tous les soirs il prenait la même table, tous les soirs il guettait les arrivées, mais tous les soirs il rentrait dans sa chambre bredouille. Il commençait à désespérer, à se dire que l’esprit de sa sœur devait déjà être bien loin et qu’il n’avait qu’à aller se recueillir sur sa tombe comme toute personne normale. Ce soir-là, il poussa la porte de l’auberge sans grande conviction et s’installa au bar où il demanda une pinte de bière. On vint s’installer à côté de lui, un homme grand, mince, les cheveux bouclés et des yeux bleus fantastiques. Theo hocha la tête simplement avant de se désintéresser de lui. Il finit par bouger, s’installant un peu plus loin. La soirée s’écoula ainsi, il était perdu dans ses pensées, inconscient de ce qu’il se passait autour de lui jusqu’à ce qu’il entende des éclats de voix. « Faudra… faudra qu’tu m’fasses revoir ma mère. J’ai des comptes à régler avec elle. » « Embête pas notre ami le druide avec ça ! » Druide ? Avait-il bien entendu ? Son attention se reconcentra sur la scène. Les deux hommes parlaient de celui aux yeux bleus d’un peu plus tôt. Était-ce cet homme qu’il cherchait depuis des mois ? Theo attendit qu’il s’en aille avant de bouger. Il se glissa dans la sortie et prit sur lui de le suivre. Une fois sûr qu’ils étaient hors de vision, il l’attrapa par le bras et le plaqua contre le mur d’une maison. « Est-ce que c’est vous dont on parle ? Est-ce vous qui êtes capable de communiquer avec les morts ? » Fit-il à voix basse. Il n’accepterait pas une déception alors il espérait fortement qu’il avait la bonne personne entre les mains.
Seth a eu une enfance agréable. Il a été élevé par sa mère, son père ayant fui le village lorsqu'il apprit qu'elle était enceinte. Mais ce n'était pas si grave, puisqu'elle s'était bien occupée de lui. Oh, bien sûr, elle était morte – ça ne l'avait pas empêché d'être dévouée, aimante et joyeuse, chaque jour que les Dieux faisaient. Elle n'avait pas résisté à l'accouchement, alors ses cuisses étaient toujours nues et en sang, parfois elle tenait son abdomen, comme si il lui faisait un mal de chien, et ses traits étaient tirés, plissés. Puis son visage se détendait, elle souriait à nouveau, sa voix résonnait dans leur petite maison. Elle était le seul esprit qui pouvait toucher Seth, qui pouvait le porter, l'embrasser, passer la main dans ses cheveux ou soigner ses plaies, quand il courait partout et s'écorchait dans la boue. Il n'avait pas de raison d'être triste. Il n'avait pas compris qu'elle était partie, parce que pour lui, elle était toujours là. Et le temps passa. Seth grandit. Il s'ouvrit peu au reste du monde, il resta beaucoup dans les jupons de sa mère, jusqu'à ce que ses mains le traversent. Jusqu'à ce que les baisers qu'elle voulait lui donner, ne puissent plus l'effleurer. Il avait beaucoup pleuré, quand c'était arrivé. Il n'avait pas compris pourquoi elle était immatérielle, du jour au lendemain. « Es-tu morte ? » avait-il demandé. Elle lui avait offert un sourire maternel, le genre de sourire qu'on donne aux gens qu'on aime, aux gens qu'on protège. « Depuis dix-huit ans, je suis morte, mon fils. » Ses sanglots avaient redoublé. « Je t'ai tué, maman ? » Mais elle avait fait non de la tête, avec empressement. Elle ne pouvait plus le toucher, si elle avait pu, elle aurait mis ses mains sur chacune de ses joues, et dans les yeux, lui aurait dit. « Tout le contraire, fils. » Sauf qu'il ne pouvait pas la regarder. Elle ne pouvait pas le toucher. Elle s'est accroupie devant lui, mais il a tourné la tête. D'une voix douce elle s'est mise à chanter. C'est là qu'il l'a regardée à nouveau. « Love me like a river does, cross the sea. » Ses épaules arrêtèrent de trembler et dans les yeux océan de sa mère, il vit les portes d'un monde meilleur. « Ne t'en va pas, maman. » Elle avait des rides au coin des yeux, les rides d'un sourire qu'elle essayait de réprimer. « Love me like a river does, endlessly. » Il ferma les paupières un moment, écouta la mélodie et il aurait juré que derrière ses yeux clos, brillait une lumière divine. « Baby don't rush, you're no waterfall. » Seth ouvrit les yeux. Sa mère disparaissait. « Je t'aime. » Cette fois, le sourire qu'elle esquissa était franc. Elle tendit la main pour caresser sa joue, mais ses doigts, bien sûr, ne touchèrent jamais la peau de son fils. « Love me, that is all. » Les notes s'envolèrent avec le fantôme de sa mère. Il était seul dans la maison. L'avait toujours été.
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« Faudra... faudra qu'tu m'fasses revoir ma mère. J'ai des comptes à régler avec elle. » Le pochard à sa gauche avait la voix tremblante et l'haleine imbibée. Seth, la tête à semi-baissée, prit une gorgée de son verre, et tira une grimace. « N'est-ce pas notre cas à tous... » murmura-t-il. Le barman attrapa la main de l'importun, qui s'apprêtait à agripper l'épaule de Seth. « Embête pas notre ami le druide avec ça ! » Ce dernier leva son verre au barman, le remercia d'un hochement de tête, et finit cul-sec le breuvage qu'il avait payé. Puis il se leva de son tabouret, déposa une pièce d'or au barman pour son amabilité, attrapa son bâton et remit la capuche de sa cape. Il n'aimait pas trop s'exposer – il était bien trop habitué à l'anonymat. Poussant la porte de la taverne, Seth salua un couple de fantômes qui se promenait, comme si la mort ne les avait jamais atteint, comme si leurs cœurs battaient toujours. Ces isolés, ceux qui laissaient le déni les garder, étaient une vraie peine pour le druide. Pendant un temps, il avait essayé de les convaincre, de leur faire comprendre qu'ils n'avaient plus rien à faire sur terre. Mais un fantôme dans le déni est une sale bête, que personne ne peut persuader, même par la meilleure des logiques, de son sort. Désormais, il n'aidait que les vivants – et les morts qui voulaient passer de l'autre côté. Il était le pont, il était Charon accompagnant les âmes sur le Styx, et celui lui suffisait bien.
En tournant dans une allée, Seth sentit une présence derrière lui. La présence d'un homme, et non d'un esprit. Il fut pourtant trop lent, et son dos rencontra la pierre froide lorsqu'un homme le plaqua contre le mur d'une petite maison, à l'abri des regards. « Est-ce que c'est vous dont on parle ? Est-ce vous qui êtes capable de communiquer avec les morts ? » Il chuchotait, incertain, désespéré. Seth le repoussa du plat de la main, regagnant son espace vital. Il n'aimait pas être trop proche des gens. Il n'était pas habitué à ce qu'on puisse le toucher. Plus maintenant. Il plissa les yeux, reconnut le visage de l'homme. Il était présent dans l'auberge. Son visage était fin, élégant, mais son regard était dur et violent. Cet homme avait vu les Enfers, et il en était revenu. Il avait ça de commun avec Seth. Le druide ôta sa capuche, et darda un regard au bleu glaçant, sur celui qui venait de lui sauter dessus. « Je suis le pont sur la rivière des morts, oui. » Il fit un pas en avant, puis un deuxième, approchant son visage de l'inconnu au maximum. Seth cherchait à connaître ses intentions. Nombre de fois, d'autres druides, ou des hommes jaloux, avaient voulu lui nuire. Il avait même affronté un dragon déguisé sous son costume d'humain, un jour. Il resta en silence, à respirer dans le froid, les yeux plantés dans ceux de son interlocuteur. Puis il lâcha un petit soupir, et recula. « Qui avez-vous perdu ? » demanda-t-il, sans autre forme de procès. Ce faisant, il reprit sa marche, espérant que l'homme le suive. Le vent était mordant, le temps était à la pluie, et la demeure de Seth n'était pas loin. Ils seraient plus confortables pour discuter affaires, près d'un bon feu de cheminée, une tasse de vin entre les mains.
Theodor se rendit compte qu’il maintenait le druide peut-être un peu trop fort. Ce dernier ne semblait pas s’en formaliser plus que ça et se contenta de l’écarter d’un geste de la main. La vague de violence qui secouait le corps du mercenaire se calma et il se laissa faire mettant deux pas de distance entre eux deux. Le druide finit par enlever sa capuche et son regard si bleu le transperça. Theo se sentait mis à nu et dans un geste aussi inutile que ridicule, il referma sa cape autour de lui et alla poser sa main sur le pommeau de son épée. Ses doigts se crispèrent dessus et sa mâchoire se serra également. Il essaya de calmer son envie de lui abattre sa lame sur le crâne. Il n’aimait pas qu’on l’observe aussi longuement. Surtout un druide. Surtout ce druide. Il avait des yeux si clairs, si bleus qu’il lui semblait qu’il pouvait lire en lui sans aucun problème et son âme était si noire, si désespérément perdue qu’il ne pouvait la montrer à quiconque. Il préféra rompre le contact visuel avant de céder, avant de reculer et se dire qu’il était ridicule de fabuler sur le contact avec les morts. Il devait laisser sa sœur où elle était et chérir la petite fille qu’elle avait mise au monde au lieu de chercher à la recontacter coûte que coûte. Avec un père à moitié ivrogne qui ne cultivait plus ses terres à cause de la peine causée par la perte de sa femme, l’enfant serait bientôt vendue pour subvenir à ses besoins en boisson et ça, Theo ne le supporterait pas. Le mercenaire allait se rétracter, faire machine arrière et retourner dans son village pour sa nièce lorsque le druide ouvrit finalement la bouche. « Je suis le pont sur la rivière des morts, oui. » Voilà qu’il parlait en énigme. Theo arriva à la conclusion que oui c’était bien lui tout de même. Il n’aimait pas lorsqu’il rencontrait des gens parlant de la sorte. Ça l’énervait toujours un peu. Il le vit s’approcher de lui, Theo décida de ne pas bouger et il le laissa faire. Encore une fois, il fut happé par les deux orbes bleus. Il lui semblait que sa respiration s’était arrêtée et que l’air comprimait sa poitrine. Cette fois, il n’arrivait pas à détourner le regard devant cet être troublant. Il l’entendit soupirer puis reculer. « Qui avez-vous perdu ? » Avant que Theo ne puisse ouvrir la bouche pour lui répondre, il l’ignora et reprit sa marche prenant le mercenaire au dépourvu. Theo se secoua et finit par bouger, suivant le druide. Il vint se mettre à sa hauteur. « C’est quoi votre nom ? » Contra-t-il. Avant de révéler quoique ce soit, il voulait savoir son identité. Il ne savait pas ce que ça allait bien pouvoir lui apporter, mais il avait besoin d’entendre un nom.
Ils passèrent devant plusieurs maisons avant de sortir du village, s’enfonçant un peu dans les bois. « J’ai perdu ma sœur, Amalia, il y a quelques mois. Je sais pas si c’est encore possible à ce stade de pouvoir communiquer avec elle. J’y connais rien en fait. » Inutile de le préciser. Il n’était pas druide, mais mercenaire. Il n’y connaissait rien à la magie à part ce que ses yeux lui avaient autorisé à voir et rien de plus. Il se nourrissait des légendes qui circulaient sur les créatures vivant sur ces terres sans jamais les croiser réellement. Sans vouloir les croiser non plus. Il était né pour tuer l'Homme, pas les engeances du monde. Il se demanda vaguement si le druide avait déjà croisé des dragons et s’ils étaient aussi fascinants qu’on s’accordait à le croire.
L'homme prit place à ses côtés, tandis que Seth arpentait les rues boueuses. Bien vite, ils quittèrent le hameau pour prendre une route qui grimpait dans les bois. « C'est quoi votre nom ? » Le ton se voulait cinglant, mais Seth ne fut qu'attendri par une tentative aussi enfantine de reprendre le contrôle. L'homme qui cherchait l'assistance du druide ne devait pas avoir l'habitude de ce genre de situations, où il n'était pas maître de ce qui se passerait ensuite. En témoignait sa lourde épée, son visage sévère et les plis de sa peau qui exprimaient le dur passé qu'avait dû avoir l'étrange. Seth ne répondit pas, pourtant. Ils gardèrent le silence quelques minutes, avant que l'inconnu ne repasse à l'attaque. « J'ai perdu ma sœur, Amalia, il y a quelques mois. Je sais pas si c'est encore possible à ce stade de pouvoir communiquer avec elle. J'y connais rien en fait. » Seth hocha doucement la tête. Il s'arrêta, attrapant le bras de l'homme. En plongeant son regard dans le sien, il vit la perte, la douleur, la colère. Des sentiments qu'il connaissait bien. Il les retrouvait chez bon nombre des gens qui venaient le voir pour parler avec leurs défunts. Quelque chose était différent, ceci dit. Une vibrance dans l'émotion. « Il n'y a pas de date limite, pour communiquer avec les morts. Tant qu'ils restent là. » Ce faisant, il posa son doigt sur la poitrine de l'étranger, là où son cœur battait. Il sourit, et reprit la route. Les pas de l'autre résonnaient avec plus d'empressement, et moins d'habitude, tandis que le druide semblait presque flotter sur le lit de feuilles mortes qui habillait le chemin. La pluie battait fort, mais les arbres qui les couvraient les protégeaient partiellement.
Ils arrivèrent devant la demeure de Seth sans aucun panneau de préavis, comme si elle venait d'apparaître à leurs côtés. Le druide se stoppa soudainement, et l'homme qui le suivait lui rentra dedans sans le vouloir. Il marmonna quelques excuses, ou bien n'était-ce qu'un grognement, auquel Seth ne répondit guère. Celui-ci ouvrit le battant de sa maison, et n'invita pas l'inconnu à entrer explicitement. Il laissa juste la porte ouverte. Seth se dirigea de suite près de la cheminée, et y alluma un feu auprès duquel il s'assit. D'un sourire, il convia l'autre à le rejoindre. « Mon nom est Seth. » Il ouvrit une bouteille qui reposait sur une petite table près du tabouret sur lequel il s'était installé, et en versa le contenu dans deux tasses. La première, il la porta à ses lèvres, et y but quelques gorgées. La seconde, il la laissa sur la petite table, pour l'homme. « Parlez-moi de votre sœur. Qui elle était. Pourquoi vous l'aimiez. » Il tira de sa poche une pipe qu'il alluma, sans demander l'autorisation. Il était chez lui, après tout. Après avoir tiré quelques bouffées dessus, il reprit la parole. « Ça m'aidera à établir le dialogue avec elle. »
Au contact de la main de l’autre sur son bras, Theo eut un sursaut et son regard se posa sur ses doigts qui le tenaient. Il fut parcouru d’un frisson intense lorsque le druide plongea ses yeux bleus dans les siens. Cet homme était dérangeant, il mettait le mercenaire mal à l’aise. Il allait ouvrir la bouche pour le faire lâcher et l’éloigner de lui lorsque l’autre le devança. « Il n'y a pas de date limite, pour communiquer avec les morts. Tant qu'ils restent là. » Et avant qu’il ne puisse protester, il posa un doigt au niveau du cœur de Theodor. Le nombre de fois où il avait entendu cette phrase… phrase qu’il avait toujours trouvé très agaçante en plus parce qu’elle voulait tout et rien dire. Le druide reprit la route et le mercenaire suivit à son tour. La pluie ne tarda pas à s’abattre sur eux rendant le chemin boueux, l’air humide et froid et faisant clinquer l’armure légère que Theo portait. Main sur le pommeau de son épée, il suivait toujours le druide. Malgré tout, il était en alerte. Après tout, il n’avait aucune idée d’où ils allaient comme ça. C’était peut-être un piège de la part du frêle homme se tenant juste devant lui et il n’en savait rien. Peut-être qu’il n’aurait pas dû écouter les gens à la taverne. Alors il se tenait prêt si jamais il l’attaquait.
Theodor était en train de repérer le chemin pour le retour également, la forêt ne laissait personne s’y perdre et les rendait rarement en vie. On ne comptait plus le nombre de disparitions dans ces bois aussi le mercenaire préférait rester vigilant. Et en parlant de vigilance, son corps rencontra quelque chose d’autre. Quelque chose d’autre qu’il identifia comme étant le druide. Il grogna de vagues excuses, mais l’autre ne lui répondit pas. Theodor finit par apercevoir l’objet de cet arrêt soudain : une maison se dressait devant eux et en croire le visage du druide, cela devait être sa demeure. Il ouvrit la porte et s’engouffra chez lui, laissant le mercenaire à l’extérieur. Theo fronça les sourcils, se demandant ce qu’il devait faire. Entrer ? Ne pas entrer ? Attendre que l’autre vienne le chercher ? Les Dieux lui viennent en aide, il ne savait pas du tout comment se comporter avec les druides. Il observa l’autre homme allumer un feu et s’y installer devant. Il esquissa un sourire et finalement l’invita implicitement à entrer. « Mon nom est Seth. » Hésitant d’abord, Theodor fit un pas à l’intérieur et vérifia que rien n’allait le foudroyer sur place puis il entra entièrement. Le prénommé Seth prit deux verres et y versa le contenu d’une bouteille dans chacun d’eux. Avant de faire le moindre mouvement, Theodor le laissa boire, constatant qu’il ne tombait pas en avant empoisonné, il prit le second et le porta à ses lèvres. « Parlez-moi de votre sœur. Qui elle était. Pourquoi vous l'aimiez. » Fit-il tout en allumant une pipe. « Ça m'aidera à établir le dialogue avec elle. » Theodor hocha la tête et vint s’asseoir à ses côtés. « Nous n’avions que l’autre comme compagnie. Nos parents sont morts tôt et c’est elle qui m’a élevé. On a toujours souhaité le bonheur pour l’autre et elle l’a été en se mariant avec un homme bon. Elle a été une bonne personne toute sa vie et ç’a été en donnant la vie qu’elle a perdu la sienne. » Il but une autre gorgée. « Elle était l’exemple même de la bonté et elle ne méritait pas ce sort funeste. Même si sa petite fille tend à devenir comme elle, elle méritait de voir son enfant grandir. » Il soupira en pensant à sa nièce et tout ce qu’il allait devoir faire pour la protéger. À quoi avait pensé Amalia en abandonnant la jolie poupée dans ce monde avec un père qui se laissait totalement aller ? « Même si elle était l’aînée, j’ai toujours juré de la protéger et j’aimerai pouvoir lui demander pardon pour l’avoir laissé partir comme ça. » Il tourna ensuite son regard vers le druide. « Vous pouvez m’aider avec ça alors ? J’aimerai aussi pouvoir lui dire que je protègerai Agatha. » Il marqua un temps d’arrêt. « Amalia est son prénom. » Finit-il par dire avant de prendre une autre gorgée de ce que le druide lui avait offert.
Spoiler:
Bon j'espère que je te donne assez de matière et que c'est pas trop moisi du cul
Seth avait fermé les yeux. Il entendit les pas lourds de l'homme, le bruit qu'il fit en s'asseyant. Il perçut la gêne, ses regards furtifs sur le feu de cheminée, sur le mobilier, sur Seth. Mais le druide resta de marbre. Il serra les paupières plus fort encore, jusqu'à ce qu'il ne voit que le noir. « Nous n'avions que l'autre comme compagnie. Nos parents sont morts tôt et c'est elle qui m'a élevé. On a toujours souhaité le bonheur pour l'autre et elle l'a été en se mariant avec un homme bon. Elle a été une bonne personne toute sa vie et ç'a été en donnant la vie qu'elle a perdu la sienne. » Son récit se coupa pour quelques secondes. Elles suffirent à Seth et il apporta sa pipe à ses lèvres, les paupières toujours closes. Il tira une longue bouffée. « Elle était l'exemple même de la bonté et elle ne méritait pas ce sort funeste. Même si sa petite fille tend à devenir comme elle, elle méritait de voir son enfant grandir. Même si elle était l'aînée, j'ai toujours juré de la protéger et j'aimerais pouvoir lui demander pardon pour l'avoir laissée partir comme ça. » Seth lâcha la fumée qui lui emplissait les poumons. « Vous pouvez m'aider avec ça alors ? J'aimerais aussi pouvoir lui dire que je protégerai Agatha. » Les yeux fermés, il ne voyait pas le nuage qui se formait entre lui et le chevalier, mais il le devinait. « Amalia est son prénom. » C'était le portrait de la femme, de la sœur. Seth ouvrit brusquement les paupières, fixant ce visage de fumée. « Amalia... » murmura-t-il.
Le druide se leva prestement, et d'une main, indiqua à son compagnon de rester assis. Il partit déposer sa pipe sur la table, un peu plus loin, après l'avoir éteinte. Il en profita pour ramener un couteau rituel, ainsi qu'une tasse vide. Il ne s'inquiéta pas du regard inquiet de l'autre homme, et reprit place près du feu. Face au chevalier, qu'il ne quitta alors plus des yeux. « Nous allons essayer de parler à votre sœur, mais j'ai besoin de vous. Voyez, quand j'utilise ce don, j'appelle les morts de tous les temps et tous les lieux. Vous n'imaginez pas leur nombre... » Sans ciller, le druide força plus avant son regard, cherchant presque à pénétrer l'âme de son vis-à-vis. « Vous serez mon phare. Son phare. Vous serez la lumière et nous essayerons ensemble de l'attirer à nous, pour pouvoir lui parler. » Il n'attendit pas la réponse du chevalier, et saisit sa main rugueuse. L'homme eut un mouvement de recul, mais Seth tint bon. Son couteau trancha l'intérieur de sa main, et le sang coula sur le sol et dans la tasse jusque là vide. Le druide avait toujours le regard fixe, quasiment transi. Il mutila sa propre paume, avant de mélanger les sangs. Il avala la mixture d'une traite, stoïque.
Plusieurs secondes passèrent sans que rien ne se passe. Alors un voile tomba sur les yeux de Seth. La pièce était noire, aussi noire que les limbes, aussi triste et aussi froide. Des âmes traînaient leurs souffrances comme des boulets, et leurs gémissements, leurs cris était une musique que Seth avait appris à aimer. Il appela. « Amalia ? Votre frère est avec moi. Vous avez la chance de pouvoir faire vos adieux. » Parmi les morts, certains sont jaloux. Ils veulent vivre à nouveau. Alors ils s'accrochent à Seth, ils parlent fort et ils crient et ils pleurent. « SILENCE ! » hurle le druide, avec la force d'un ouragan. Les secondes s'écoulent. Sa voix douce reprend soudain. « Vous êtes Amalia, je suppose ? » Elle brille de mille feux. Elle a le sourire le plus chaud, le plus maternel qu'il ait jamais vu chez une défunte. Ses jambes sont maculées de son propre sang, mais ça lui sied à merveille, selon Seth. Il sourit, et la salue en baissant lentement la tête. « Je suis enchanté. Votre frère vou– Theodor, oui. Theodor vous attendait. »
En le voyant se dresser, Theodor bougea à son tour avant de se stopper, il devait rester assis. Le druide alla poser sa pipe puis attrapa un couteau. Il fronça les sourcils, il ignorait tout de la magie. Il savait simplement qu’il y avait une magie bénéfique et une magie maléfique et il se demandait laquelle avait besoin d’un couteau pour ses rituels. Par mesure de précaution, il posa une main sur la garde de son épée, prêt à dégainer au besoin et transpercer le corps frêle du druide. Il revint s’installer près du feu et posa sur lui ses yeux d’un bleu perturbant. « Nous allons essayer de parler à votre sœur, mais j'ai besoin de vous. Voyez, quand j'utilise ce don, j'appelle les morts de tous les temps et tous les lieux. Vous n'imaginez pas leur nombre... Vous serez mon phare. Son phare. Vous serez la lumière et nous essayerons ensemble de l'attirer à nous, pour pouvoir lui parler. » Theodor eut un doute, était-ce réellement une bonne idée de vouloir parler à Amalia si le druide devait faire venir autant de morts. Il ne se débattit même pas lorsque l’autre prit sa main, il sursauta simplement et fit un geste de recul. Avant qu’il ne puisse protester, il lui entailla la main faisant gronder le mercenaire. Seth fit couler son sang, il tâcha le plancher avant de venir s’écouler dans la tasse qu’il avait déposé non loin de lui. Il l’observa faire la même chose de son côté avec sa propre main, il mélangea les deux dans la tasse et… l’avala. Theodor n’arrivait pas à savoir s’il était fasciné ou profondément écœuré par ce qu’il voyait. Tout était déroutant.
Le temps s’étira sans qu’il ne se passe rien. Theodor n’osait pas parler, il se contentait d’observer. Jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche. « Amalia ? Votre frère est avec moi. Vous avez la chance de pouvoir faire vos adieux. SILENCE ! » Le mercenaire manqua de sursauter en l’entendant hurler d’un seul coup. Malgré lui, il jeta des coups d’œil à la maison, comme s’il était capable de voir quelque chose alors qu’il n’y avait rien. C’était le calme plat. « Vous êtes Amalia, je suppose ? » Theodor se redressa, lâcha son épée. Était-elle vraiment là ? Amalia était vraiment là ? « Je suis enchanté. Votre frère vou– Theodor, oui. Theodor vous attendait. » « Elle est là ? » Il ne la voyait pas. Comment pouvait-il être sûr qu’elle était là ? « Pourquoi est-ce que je ne la vois pas, druide ? » Gronda-t-il. Il avait pourtant envie de croire qu’elle était réellement là, mais sans preuve, pouvait-il vraiment y croire ? La magie était tellement rare sur cette terre qu’il ne savait pas s’il pouvait vraiment faire confiance à ce druide. De plus, il ne comptait plus le nombre de faux magiciens qui arnaquaient les pauvres naïfs (un peu comme lui) qui avaient besoin de la magie. Habituellement, il ne se laisserait pas avoir, mais pour Amalia c’était autre chose. Il se tut un moment et scruta le visage du druide. Il savait qu’il devait se méfier, il le savait. Pourtant, il avait envie d’y croire. « Amalia est réellement là ? » Alors un peu plus loin dans le salon, une casserole bougea. Tout était calme auparavant et la maison était également suffisamment propre pour qu’il n’y ait pas de bestioles qui puissent avoir bougé cette casserole. Theodor se prêta au jeu. « Je suis désolé de ne pas avoir pu être là, Ama. Je sais que ça n’aurait servi à rien, mais j’aurais pu te dire au revoir au moins. J’ai récupéré ta fille, c’est moi qui l’élève parce que ton époux… ton époux n’allait pas bien et il aurait fait d’elle… bref il valait mieux que ça soit moi qui m’en occupe. Elle va bien, tu sais, elle te ressemble beaucoup et je lui parle toujours de toi pour pas qu’elle t’oublie. » Pour pas que je t’oublie non plus, avait-il envie d’ajouter. « Tu me manques, Ama, j’espère que tu ne souffres plus là où tu es en tout cas. » Il regarda le druide, il ne savait pas quoi dire d’autre et il ne pouvait pas entendre ses réponses non plus. « Que dit-elle ? » Finit-il par demander au bout de longues minutes de silence.
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Jeu 7 Avr - 22:05
