May 16.
Il guette son téléphone.
Et toujours rien.
Ça fait un mois qu’ils se sont retrouvés avec Seth. Déjà un mois et déjà plus de nouvelles. Theodor a bien essayé de jouer la carte du type compréhensif, qui ne veut pas brusquer les choses et qui attend simplement dans son coin, mais ça devient difficile d’être compréhensif quand on n’a plus de nouvelles après un mois. Il soupire, porte une main à son visage et dépose son téléphone à côté de lui. Ça ne sert à rien de s’abîmer les yeux plus longtemps sur un écran qui reste résolument éteint. Ça ne fera pas venir les nouvelles. Il a passé tellement de temps à essayer de le faire retrouver. Il a engagé trois détectives privés dont deux qui n’ont pas été très efficaces. Il n’y a que le dernier qui a fait ses preuves peut-être. Il a tout fait pour le retrouver et a finalement réussi. Seth a même accepté de le revoir et maintenant quoi ? Theodor avait tellement eu espoir qu’une fois confronté, Seth n’aurait plus aucune raison de partir. Visiblement, il s’est trompé. Et il s’en veut d’être toujours à ses pieds des années après. Il pose ses mains sur son bureau et repousse son siège en arrière. Il se lève pour prendre un verre de whisky. Il a une migraine depuis qu’il est réveillé et ça ne s’arrange pas. Même après avoir pris une aspirine. On tape timidement à sa porte. « Entrez. » Fait-il d’une voix lasse. C’est sa secrétaire qui a toujours cet air effrayé sur le visage. Elle a de grosses lunettes rondes et un chignon mal fait qui trône sur le sommet de sa tête. « Monsieur Leonhard, je suis désolée de vous déranger mais je… j’ai reçu un appel de votre détective. » Une lueur d’intérêt s’allume dans son regard. Il la regarde par-dessus son verre de whisky et l’invite à poursuivre d’un mouvement de la main. « Oui, euh, il n’a rien. Il m’a dit de vous dire ça. Toutes ses pistes n’ont mené à rien. Et… et il m’a dit que c’était comme s’il s’était volatilisé. » Il abaisse son verre. Il ne comprendra jamais pourquoi elle a autant peur de lui comme ça. Il n’est jamais violent et il se met encore moins en colère facilement. Il soupire. « Très bien, merci. Versez-lui le montant de ce mois-ci. » La jeune femme hoche la tête et s’en va. Un mois.

June 16.
Deux mois.
Toujours aucune nouvelle.
Le détective n’a aucune piste.
Troisième salaire versé pour rien.
Des migraines toujours plus violentes.
La colère qui gronde dans sa poitrine.

July 16.
Trois mois.
Même le détective esquive les appels de Theodor. Quatrième salaire non versé par manque de résultat et manque de nouvelles.
Theodor est de plus en plus inquiet et si quelqu’un avait fait du mal à Seth ? Si ce quelqu’un était George Boers ? Clairement, il joue avec le feu avec cet homme. Il lui a retiré un jouet qu’il convoite depuis un moment et il ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues depuis. Alors peut-être qu’il a fini par savoir pour Seth et qu’il s’est occupé de l’éliminer en laissant croire à Theodor qu’il a simplement disparu. Comme la dernière fois. Pourtant, il n’a plus croisé Boers depuis un moment. Et c’est bien quelque chose dont il serait venu se vanter auprès de lui. Alors il a des doutes un peu. Mais l’absence de nouvelles de Seth l’empêche d’avoir des pensées cohérentes. Puis il a ces migraines qui reviennent sans cesse et il a l’impression de développer une phobie qu’il n’avait pas avant. Il ne supporte plus d’être dans une foule, il a du mal à respirer et à penser de manière cohérente. Il a beau essayer d’apaiser les esprits autour de lui, son pouvoir l’épuise plus qu’il ne l’aide sur le coup et il ne comprend pas. Il écourte ses sorties depuis pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. S’il sort, c’est toujours en compagnie d’Amalia qui l’empêche de trop souffrir.

Il essaie de rassurer Reyhan, Sévastian et Wally parce qu’ils s’agitent quand ils le voient trop concentré ou trop distrait (Ne vous inquiétez pas, tout va bien. Ce n’est rien de grave, vous savez, juste une fatigue passagère.). Il sait pourtant que Wally est un excellent télépathe et qu’il doit savoir ce qu’il se passe, mais il ne sait pas s’il ne dit rien par respect ou parce que lui non plus ne comprend pas ce qu’il se passe. Mais ce qui est sûr c’est que Theodor ne veut pas inquiéter les jeunes plus que ça. Ils ne peuvent rien faire pour le soulager.

August 16.
Le carnet de Theodor est gribouillé de partout.
On relit difficilement ses notes, mais on intercepte des mots çà et là.
Seth - Disparition - Quatre mois - Abandon - Boers - Piste 1 : nulle - 4 - meurtrier.
Les ratures s’étalent sur des dizaines de pages et puis plus rien. Plus de date, plus de constat, plus rien.

November 16.
Les migraines se sont intensifiées pour Theodor et son pouvoir a commencé à déconner. Il ne sait pas comment l’expliquer, mais soit son influence va trop loin et provoque des saignements de nez chez lui et une mort certaine pour la personne en face soit ça ne fonctionne pas du tout. Et puis il y a tout un brouhaha qui l’entoure par moment, il a du mal à se concentrer. Là où il percevait des couleurs par le passé, c’est désormais un mélange, il n’arrive plus à identifier les couleurs principales, les couleurs les plus vives. Ces couleurs vives représentent l’aura d’une personne. La couche qui permet d’identifier un peu la personnalité de la personne en face. Là, il a juste l’impression qu’il y a autre chose qui s’est mêlé sans arriver à déterminer quoi. Ce qu’il sait, c’est qu’il a mal au crâne sans arrêt et qu’il est face à un halo de couleurs tellement flou qu’il a du mal à l’interpréter. « Theo… je ne peux pas t’aider… je ne maîtrise pas ce genre de pouvoir. Fais-toi aider s’il te plaît. » Son regard est brumeux. Il a appelé Amalia en dernier recours comme toujours. Elle a le pouvoir du bouclier et annule plus ou moins l’influence que Theo peut avoir. Elle bloque son pouvoir et ça lui fait un bien fou. Il s’est tenu loin de la maison toute la journée pour ne pas avoir à affronter l’air inquiet de ses trois enfants. Mais il ne supporte plus toute cette douleur, tout ce qu’il capte. Il a essayé d’ouvrir son pouvoir en test face à Reyhan, Sévastian et Wally et il a eu l’impression de mourir. Tout s’est mélangé d’un coup et avec une force assez violente. Son nez a commencé à saigner et s’est précipité dans sa salle de bain pour calmer le saignement et se calmer tout court.

« Par qui ? Personne ne peut m’aider. » Fait-il en grognant. Amalia s’avance et pose une main sur son bureau. Un pli soucieux barre son front. « Je ne sais pas Theo. Je ne sais pas qui peut t’aider, mais tu dois faire quelque chose. Il se passe quelque chose avec ton pouvoir. Va voir quelqu’un à HYDRA. » Il grogne un peu. « Je ne le dis pas en plaisantant. Tu vas continuer comme ça encore longtemps Theo ? Tu es prêt à te laisser consumer par ton pouvoir juste pour… pour te prouver quoi ? » - « C’est bon arrête. » - « Sa disparition t’affecte beaucoup plus que la dernière fois, Theo. » Ses lèvres se pincent. La dernière fois, il a détourné toutes les auras positives en auras négatives si bien qu’il a causé bien plus de mal que de bien avec son pouvoir. Cette fois, c’est lui qui disjoncte. Il ne ferait de mal à personne excepté lui-même. « Il ne te mérite pas, Theo. Il va toujours fuir. S’il te plaît ouvre les yeux sur ça et oublie-le. » Il redresse la tête et lance un regard mauvais à Amalia. Elle ne peut pas comprendre. Elle ne voit pas ce qu’il voit tous les jours. Des auras d’une couleur si sombre, si affreuse qu’elles lui causent bien plus de maux puisqu’il peut les voir contrairement aux autres êtres humains. Des auras qu’il essaie d’alterner parce qu’il ne supporte pas les couleurs qu’il a devant les yeux. Il fait passer son bien être avant ceux des autres alors il manipule, utilise son pouvoir pour donner l’illusion à ceux qu’il a en face qu’ils vont mieux. Parce qu’il ne supporte pas une stupide couleur. Alors que Seth. Seth était auréolé d’une couleur dorée si rassurante et si belle qu’il a souhaité ne jamais s’en séparer. Et pourtant il est parti. Deux fois. Et Amalia lui demande de le laisser s’en aller. « Tu n’es plus seul, Theo. Tu as Reyhan, Sevastian et Wally sous ta responsabilité. Je sais à quoi tu penses, mais d’après toi, chez qui ils finiront si tu n’es plus là pour eux ? » Il croise ses mains dans sa nuque. Il connaît la réponse. S’il n’est plus là pour les protéger, Boers va en profiter. Il ne peut pas les abandonner. « Fine, je vais voir qui peut m’aider à HYDRA. Je vais essayer. » Sa grande sœur esquisse un sourire avant de se redresser. L’argument des trois gamins qu’il garde chez lui était de loin le meilleur. Elle connaît suffisamment son frère pour savoir qu’il est prêt à tout sacrifier pour eux.

December 16.
« Je suis surpris de vous voir ici, Monsieur Leonhard. » Il esquisse un sourire en coin. « Je ne viens pas souvent de ce côté de la base… – « Autant dire jamais. » L’homme aux cheveux blanc sourit à son tour. Ça commence bien. « J’ai besoin de votre expertise. » Heinrich Hohenheim abandonne ses lunettes pour fixer plus intensément Theodor. « Ça fait plusieurs mois que mon pouvoir est devenu… compliqué. » - « Votre pouvoir ? » - « Je vois les auras qui entourent les gens et je peux les manipuler pour que la personne change d’état d’esprit. Si je veux, une personne ayant une aura violente peut devenir la personne la plus peureuse possible. » Une lueur intéressée s’allume dans son regard et Theodor se demande s’il a bien choisi et s’il a bien fait de suivre les conseils (enfin ordres) de sa sœur. « Et depuis quelques mois… tout a déraillé. Je ne vois qu’un halo flou de couleurs autour des gens et impossible d’isoler la couleur dominante, j’ai l’impression d’en percevoir beaucoup plus et d’autres… choses qui viennent parasiter mon interprétation. La dernière fois que j’ai tenté de manipuler l’aura de quelqu’un ça ne s’est pas bien terminé. » Autant dire qu’il l’a tuée. La femme pleurait énormément après la crise de colère que Theodor a eue, il a essayé d’altérer son aura, de modifier son côté peureux en courage mais ça l’a conduit à faire tout l’inverse. Elle s’est jetée sous les roues d’un bus. Theodor n’a rien dit à personne de cet incident, tout le monde a pensé à un suicide alors qu’il était responsable. Ça s’est passé quand il a cru obtenir une piste pour Seth et qu’il est allé directement voir la personne pour l’interroger. La piste était fausse, évidemment et pour la première fois de sa vie, il a explosé de colère. C’était en août.

« Les mutations sont amenées à évoluer tôt ou tard. On va faire un test. » Theodor soulève un sourcil. « Vous allez essayer de me dire ce que mon aura vous dit sur ma personne. Décrivez-moi ce que vous voyez sans rien omettre. » La Tête pousse un soupir et hésite un long moment. Il n’y a aucune raison pour que ça se passe comme il y a quelques mois. Il ne doit pas essayer de le manipuler cette fois juste interpréter. C’est tout. Il se concentre et laisse son pouvoir l’envahir. Encore une fois, il voit des dizaines de couleurs et du flou autour d’Heinrich. « Votre aura est parasitée comme les autres. J’ai du mal à distinguer la couleur qui domine. » - « Les auras fonctionnent par couche si je ne me trompe pas ? Et selon les couleurs que vous voyez vous savez comment une personne se comporte, j’ai raison ? » - Theodor hoche la tête. « Très bien. Essayez de me dire ce que vous comprenez alors. » - Il se concentre de nouveau. C’est toujours aussi flou et tout un tas d’autres pensées viennent parasiter son cerveau. Il essaie de comprendre où Hohenheim veut en venir. « Je ne... Réfléchissez. Qu’est-ce que vous ressentez ? » - « Ce que… » Le scientifique roule des yeux. « Agacement. Vous êtes agacé. » - « La lecture des auras vous permet de connaître la personnalité dominante d’une personne, vous ne lisez pas ses émotions. » Curiosité. « L’évolution logique de votre pouvoir, c’est probablement ça justement. Vous percevez des informations parasites, c’est bien ça ? » Amusement. Theodor fronce les sourcils et hoche la tête. « Et ça vous fait ressentir quelque chose en retour toutes ces… informations ? » Curiosité « Est-ce que vous pouvez être plus direct ? Les énigmes ne sont pas trop mon fort. » Disons plutôt que sa patience n’est plus si parfaite désormais. Depuis que ses… crises ont commencé, il s’énerve beaucoup plus souvent. Il se sent en colère alors qu’il n’a jamais été dans cet état auparavant. « Monsieur Leonhard, c’est bien probable que vous soyez devenu empathe. »

A la suite de cette supposition, Theodor est retourné plusieurs fois voir Hohenheim principalement pour s’exercer et pour apaiser ses migraines. Il a dû apprendre à faire connaissance avec son nouveau pouvoir qui lui parasite toujours autant le cerveau et qui lui paraît difficile à maîtriser. Pourtant il fait tous les efforts du monde pour réussir à mieux le comprendre. Il veut éviter de tuer encore quelqu’un sans le vouloir vraiment.