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Prisoners • trapped & forgotten
Ellen Morgan
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THINKING OUT LOUD

Parker & Ellen

Le moteur vrombissant, la Shelby GT350 de 1967 se garait enfin après des kilomètres avalés sans difficulté. Au volant, Ellen tournait la clé dans le neiman avant de se poser lâchement dans le siège de sa voiture. Le silence, enfin. Journée éreintante ou plutôt nuit éreintante. Son service nocturne venait de se terminer, il devait être sur les coups de trois heure du matin lorsque le véhicule éteignait son moteur dans le silence de la rue. La nuit avait posé son voile inquiétant sur la ville depuis longtemps, coulant son venin dans les ruelles les moins fréquentables. La brune aurait pu rentrer chez elle, prendre une douche rapide et s'endormir comme bon nombre de ses collègues allaient le faire mais dormir, elle n'y arrivait plus depuis quelques temps. Son don nouvellement révélé l'épuisait mais le manque de sa famille, ce lit affreusement vide, l'absence des rires de sa petite fille dès le levé du jour la maintenaient éveillée plus que jamais. Elle n'était plus capable de vivre normalement depuis un mois maintenant. Qui aurait cru que vivre sans les êtres aimés serait plus dur que n'importe quelle épreuve? Même subir sa mutation physiquement douloureuse était moins difficile que de supporter cette absence. Ellen avait donc appris à faire sans eux ou en tout cas, elle tentait de le faire. Une fois de plus, ce soir, elle s'endormirait sûrement d'épuisement, poussant toujours plus ses limites.

En attendant, elle quittait son automobile, prenant soin de la verrouiller. Ses pieds frôlaient le sol, presque silencieusement, la menant dans un bar, cet endroit où elle allait de plus en plus, dangereusement. Se tourner vers la bouteille n'était pas la solution, elle le savait mais elle n'en avait pas d'autre, ne cherchant pas plus loin que le bout de son nez de toute façon. D'ordinaire raisonnable, elle n'avait plus aucune raison de l'être. Seul son travail était encore une motivation de se lever le matin mais quand ce dernier était terminé, elle pouvait bien se laisser crever dans un coin qu'elle n'en avait plus rien à faire. Entrer dans ce bar, pousser cette porte, ce n'était qu'un pas de plus vers sa tombe. Pourtant, inconsciemment, elle se freinait. La peur de la dépendance sûrement. La peur de faire une connerie sous l'influence de l'alcool aussi. Comme souvent, dans son coin de bar, elle tournait son verre ambré entre ses mains. Elle mettait souvent de longues minutes à le finir. A la fois parce qu'elle n'avait pas l'habitude des alcools forts mais aussi parce qu'elle se limitait souvent à deux ou trois verres, de quoi tenir encore debout, de quoi être pleinement consciente de ce qu'elle fait alors forcément, un verre lui durait une heure à peu près. La plupart des gens ne comprenaient pas son fonctionnement. Elle ne semblait plus vouloir vivre et pourtant, elle ne retournait pas son arme de service contre elle-même. Sa mort pourrait être si simple, sa mort pourrait se limiter à un suicide facilement exécuté dans son cas. Idiotie d'humanité! Elle ne pouvait l'expliquer que par cela. Avant d'être détruite, elle était humaine et quel humain ne s'accrochait pas, même bêtement, à sa misérable vie? Alors elle continuait sa route, elle se tuait à petit feu à coup d'alcool fort, manquant sûrement de courage pour se tirer une balle dans le crâne. C'était aussi simplement complexe que ça.

Il lui arrivait parfois, comme à cet instant, de relever les yeux de son verre, de quitter ses pensées intimes pour le monde extérieur. Souvent, notamment dans cet établissement, ses iris se posaient sur des hommes aux rires rauques, cassés par les incalculables cigarettes fumées, attablés autour d'un jeu de cartes où les paris d'argent étaient monnaie courante. Son regard ne restait jamais longtemps posé sur eux. En revanche, elle avait cette tendance étrange à scotcher les gestes de la barmaid. Une quarantenaire qui aurait pu être sexy si elle ne s'était pas fait excessivement tirer la peau et injecter des centilitres entiers de botox. Dans un monde comme le leur, Ellen n'arrivait pas à comprendre qu'on puisse tant se soucier de son apparence. Elle n'était pas la dernière pour se faire jolie quand il le fallait mais dans cette société aux fondements ébranlés par les événements récents, elle trouvait que c'était une chance de pouvoir vieillir et forcément, effacer les traces du peu de temps passé sur cette planète, elle trouvait cela dommage, d'autant plus qu'il y avait bien plus important à se soucier. Cela ne l'empêchait pas pour autant d'être comme hypnotisée par ses gestes. Essuyer des verres, en remplir d'autres, attraper un gâteau individuel pour le poser avec la tasse à café. L'agent de l'HPU avait appris à voir de la douceur là où il n'y en avait pas vraiment habituellement. Inconsciemment, elle se consolait sûrement ainsi. De la douceur dans un monde de brutes comme on dit. De la brutalité qu'elle avait pour habitude de fréquenter et qui se répercutait sur son quotidien. Le regard qu'elle lançait actuellement à un homme lui aussi accoudé au bar ne dirait pas le contraire. Il était dur, il était probablement vide d'une quelconque tendresse, d'une quelconque affection. Vidant son whisky d'une traite, ses pupilles ne lâchaient pas les siennes alors qu'elle posait son verre sur le comptoir en bois tâché et abîmé par les mites. « Je peux vous aider peut-être? » Une question qu'elle aurait pu poser pendant son service, une question normalement connotée d'amabilité mais le ton qu'elle avait employé lui retirait cette spécificité. Ellen oubliait souvent qu'elle pouvait être reconnue à cause de son visage passé sur les écrans des Américains et partout ailleurs mais cet homme la fixait d'une façon si insistante que la raison devait être toute autre. La question trouvait alors ici toute sa légitimité et la jeune femme comptait bien avoir sa réponse, d'une façon ou d'une autre.

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