new year's evejust in case you ever foolishly forget; i’m never not thinking of you.

Une nouvelle année. Une autre. Au bout d'un moment, on arrête de compter. Les jours passent, les ans passent, les gens passent et rien ne s'arrête jamais, ni la vie, ni le temps, ni les coeurs brisés. Le temps passe et Aneesh n'a jamais pris le temps de lui dire au revoir: le nouvel an n'a pour lui aucun intérêt. Mais les gens aiment bien, et puis ils mettent des jolies décorations aux murs et sur leurs maisons et ils sourient et ils sortent et ils boivent trop et pendant les premières semaines de danger, Aneesh traîne sur internet pour récolter toutes les histoires de nouvel an qui existent, juste pour rigoler une fois ou deux. Mais il sort rarement, quand l'occasion se présente. Il n'a plus l'âge de sortir pour boire un coup, après tout.

Mais... mais cette fois, c'est différent. C'est différent parce que quand ils se sont échangés des cadeaux de Noël, vaguement bourrés et franchement souriants, elle lui a offert un ticket pour Taylor Swift et il lui a offert un ticket pour Taylor Swift et ça aurait pu en rester là mais elle a souri, avec son putain de grand sourire, et ses yeux chocolat se sont illuminés et elle a semblé si... si éternelle, dans ses yeux, pendant un instant. À chaque fois qu'il tombe amoureux, Aneesh sait que ça va mal se finir. À chaque fois qu'il tombe amoureux, Aneesh sait que ça va se finir, que ça va foncer dans le mur, que ça va finir par la mort la mort la mort. À chaque fois qu'il tombe amoureux, Aneesh sait que ce qui le rend faible, c'est les grands sourires et les yeux pétillants et Taylor est très forte à cela et à chaque fois qu'elle sourit il tombe un peu plus amoureux et ça fait à peine quelques semaines qu'ils se connaissent alors comment pourquoi et pourquoi mais pourquoi mais il est amoureux, il n'a même pas besoin de le nier et ça lui fait un peu mal au coeur.

Surtout quand elle lui adresse un grand et beau sourire, avec ses yeux chocolat pétillants, alors qu'elle lui dit oui quand il lui propose de sortir dîner pour le nouvel an, et son coeur a comme un pincement et son estomac se retourne.

Ils chantent à pleins poumons dans la voiture alors qu'ils vont de l'Institut à cet endroit un peu posh qu'il a trouvé dans le centre-ville, souvent désert malgré le fait que ce soit le nouvel an. C'est là où il allait, ces dernières années, pour se changer les idées sans se sentir obligé de faire une vraie soirée de la nouvelle année et il connait le propriétaire, c'est un mec super sympa. Il a fait une réservation au nom de Doe-Hansen-Wright et ça l'a fait rire, ainsi que grincer des dents un peu en même temps. Au bout de la deuxième fois à écouter l'album de Taylor Swift, il coupe l'auto-radio et ils ferment la bouche et le silence est presque confortable, alors qu'il trouve un endroit où se garer dans Little Italy. Il pourrait passer des heures dans ce silence. Il pourrait passer des heures avec elle.

Ils sont plutôt beaux, ce soir. Aneesh s'est acheté un costume pour l'occasion, avec un noeud papillon et une veste en velours et il s'est coupé les cheveux et il s'est un peu rasé et il se sent plutôt beau mais ça n'a rien à voir avec Taylor qui est renversante. (Il ne lui a pas dit. À la place, en la regardant, il a reniflé et puis lâché, faussement moqueur: “ on va dans un endroit classe, tu sais? ” même si il sait, avant même d'entrer, qu'elle va éclipser toutes les femmes de la pièce). Ils sont accueillis par un serveur en costume qui les mène à une table et leur laissent les cartes. « Je pense qu'il croit qu'on est un couple, » dit Taylor soudainement, et Aneesh ne peut pas s'empêcher de rire légèrement (quoique vaguement nerveux). « On a l'air malins maintenant. En même temps, on est beaucoup trop classes pour que les gens ne le pensent pas... » Aneesh rigole un peu plus franchement en ouvrant le menu pour observer, d'un air imperturbable, les noms des plats proposés ici. Il en connait la plupart mais il est bien incapable de traduire l'italien... “ Damn right, ” lâche-t-il pourtant, avec un clin d'oeil. « Surtout toi. — Moi? Et toi alors, qui éclipse toute la lumière de la pièce? Toutes les jeunes femmes? Hein? Tu es un soleil, Taylor Wright-Hansen, ta beauté est ravissante, aveuglante, je- je ne sais même pas quoi te dire! ” dit-il, très ironiquement, haussant un peu la voix jusqu'à ce que les visages se tournent vers eux, interrogateurs. Il rigole légèrement, renversant la tête en arrière.

C'est plus simple de prétendre.

“ Cap de faire semblant que je te demande en mariage? Avec un peu de chance, on n'aura pas à payer l'addition et ils nous offriront le dessert! ” Il éclate de rire encore. “ Non, sérieusement. T'es forte en théâtre? Je suis sûre que t'es forte en théâtre. Allez, c'est décidé, on fait ça. Fais toi plaiz'. Je te mets au défi de jouer le couple insupportable et arrogant. Go, ” et avant qu'elle n'ait pu répondre, le serveur se présente à eux en leur demandant s'ils ont commandé. “ Oui, mon bon monsieur. Je vais prendre... six huîtres, une assiette de foie gras et un peu de caviar en entrée. Pour le plat principal... pour moi, ce sera le gibier aux oranges... et est-ce que c'est possible d'avoir un hamburger? — Un hamburger, monsieur? Nous- nous ne servons pas ça, ici. — Du pain, de la salade, de la tomate et du steak, vous avez? — Euh... oui, monsieur. — Bah voilà. À point, s'il vous plaît. — Oui, monsieur. — Les oranges, je les veux d'Espagne. Et tout ceci dans de la jolie céramique, s'il vous plaît, je suis allergique au calcaire. Et de l'argenterie, nom de dieu, pas de l'inox! On arrosera tout ça... avec quoi on va arroser tout ça, ma chérie? T'as choisi? Mon dieu, cette femme est une telle indécise... Vous savez, monsieur le serveur-- ” Et il continue à lui parler de tout et de rien, jusqu'à le rendre si mal à l'aise qu'il rougit rougit rougit. “ Enfin bref. Ma chérie? ” Aneesh lui adresse un sourire vaguement moqueur, l'air de la mettre au défi de commander quelque chose de plus extravagant que lui.

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C'est le premier de l'an et la ville chante. Aneesh adore New York, ça lui rappelle des souvenirs dignes de cartes postales, ça lui rappelle aussi que la vie ne s'arrête jamais, pour rien, pour personne. Elle est continuellement en mouvement, et ça les new-yorkais l'ont bien compris. Alors quand la voiture s'est arrêtée, que les jolies lumières des buildings de la ville ont cédé aux imposantes chandelles du restaurant, Aneesh a souri, Aneesh a tellement souri, que ça lui fait mal au visage maintenant, quand il regarde Taylor imiter un accent ma foi plutôt agaçant en déblatérant une liste impressionnante de nourriture à l'adresse du serveur qui blêmit à vue d'oeil. Aneesh n'a d'yeux que pour elle, ne pouvant pas s'empêcher de sourire jusqu'à se froisser un muscle, observant chacune de ses mimiques changer complètement l'expression de son visage, lui donner un air tantôt sérieux, tantôt mesquin, tantôt arrogant. Et enfin, elle l'achève d'un « Vous savez depuis qu'on a appris que mon ami est malade, on a décidé de vivre à fond » qui manque de le faire éclater de rire et alors, là, adieu leur petite soirée au restaurant! Aneesh ne sait pas trop comment mais il parvient à rester vaguement sérieux, laissant ses dents mordre sauvagement l'intérieur de ses joues pour rester impassible, en hochant gravement la tête. “ Ah, ce pauvre Charlie, ” soupire-t-il à mi-voix, donnant raison à Taylor.

Et on ne l'arrête plus. Celle-ci continue de parler à un rythme effréné qui surprend le professeur de philosophie, qui doit se morigéner pour ne pas éclater de rire ou sourire tendrement en la voyant ainsi émue et rigoureusement précise sur le comment du pourquoi ils ne doivent pas faire ceci ou cela. Aneesh ne l'écoute qu'à moitié, gardant ses yeux dans les siens, sur son visage, laissant sur son visage traîner une inquiétude toute justifiée pour le rôle qu'il joue; à l'intérieur, pourtant, il rit de joie. Il n'y a que Taylor pour le rendre comme ça; il n'y a que les mortels pour lesquels il s'éprend pour lui faire ressentir ça. « Vous ne voudriez quand même pas que je meurs devant mon compagnon à cause d'une manipulation fâcheuse. — Oh, ma chérie, ma toute petite chérie, ne parle pas donc de ça... Nous avons déjà- - — Nous avons déjà trop souffert... » finissent-ils en même temps, et s'adressent un petit sourire de connivence. Mais dans les yeux de Taylor brillent de véritables larmes, et Aneesh doit se faire violence pour ne pas éclater de rire ou se mettre à pleurer à son tour — mais ça ferait un peu too much, non? “ Oh, ma chérie, ” parvient-il juste à dire en congédiant le serveur d'un geste empressé de la main, avant de tourner l'autre sous celle de Taylor.

Sa paume est douce, remarque-t-il. Ses doigts longs, et fins, il les imagine mieux sur un piano que sur la sienne. Comme après un contact indésirable, la main d'Aneesh se dérobe quand leurs paumes s'effleurent, leurs doigts se touchent; d'un mouvement gracieux, il fait le tour de la table pour venir se prostrer près d'elle, une grande ombre près de sa chaise, reprenant délicatement sa main dans les siennes comme pour la protéger du monde. À son oreille, un spectateur lambda (et les yeux sont nombreux, sur eux; autant serveurs que clients ont été attirés par ce couple à l'apparence mal assorti absolument dédaigneux) aurait pu voir un geste de tendresse, des mots de réconfort ou d'amour, quelque chose de privé et d'étrange et de délicat qu'on ne peut pas s'empêcher d'avoir l'envie d'entendre. À la place, quand le nez d'Aneesh se niche dans les cheveux de la jeune femme et que ses lèvres effleurent la peau sensible de son oreille — promis, ce n'est pas un jeu de séduction; il fait ça pour l'art, pour la pièce, la représentation; il n'a pas du tout envie de sentir l'odeur de son shampoing, ou d'observer sa peau s'hérisser de frissons quand il souffle dans son cou —, il ne lui marmonne que des imbécilités, comme d'habitude: “ pas mal, le coup des allergies et de l'ami malade. Je vais essayer de placer le coup du chiot kidnappé ou écrasé par une voiture, ” dit-il d'un ton léger, avant de se séparer d'elle dans un petit sourire tendre, si parfait sur le visage d'un jeune amoureux qui s'apprête à toucher les étoiles.

Dans des gestes toujours si tendres, toujours si simples, il apporte sa main à son visage et y dépose un baiser, avant de retourner à sa place. Le serveur revient, sert le vin. Aneesh en goûte une gorgée, fait passer cette gorgée par tous les gargarysmes possibles puis tend son verre à Taylor qui en fait de même. “ Parfait, ” parviennent-ils à dire en choeur, enfin, et le serveur, toujours gêné, leur serre à chacun le fond d'un verre avant de s'éclipser de nouveau. “ Je reviens, ” dit Aneesh en se levant, emboîtant le pas au serveur pour le rejoindre au niveau du comptoir près duquel il espère peut-être partager ses expériences de clients fous avec les autres serveurs. “ Écoutez, monsieur. Ma... compagne est quelqu'un de très fragile et de très émotif. Depuis la perte de notre chien Bingo il y a trois semaines, elle est inconsolable... et je m'étais dit que votre établissement saurait lui redonner le sourire. C'est là que nous avons appris que son père allait être libéré de cette affreuse prise d'otage en Afghanistan il y a trois ans... vous comprenez, n'est-ce pas? Non, vous ne comprenez pas, rajouta-t-il sévèrement quand le serveur hocha la tête. J'ai bien perçu votre gêne, et même la moquerie dans le fond de vos yeux. Ma compagne est une femme très particulière, vous entendez, qui mérite tous les égards. Ce soir, ce sera la meilleure soirée de notre vie, du moins je l'espère. Je vais la demander en mariage... et j'espère qu'elle dira oui. Je serai le plus heureux des hommes. Alors je ne veux pas que votre négativité ruine cette soirée pour nous, non monsieur! ” Aneesh ressemble au prof qu'il est, sourcils froncés, expression artistiquement déçue sur le visage, doigt inquisiteur tendu vers le jeune serveur confus qui n'a rien demandé.

Après un dernier regard appuyé, Aneesh retourne à sa table et adresse un petit sourire à Taylor. “ Tout va bien aller, ma toute douce, ” dit-il en posant à son tour sa main sur la sienne, parlant assez fort pour que personne ne trouve de failles dans leur couverture pour ce soir.

Quoi, comment ça, personne ne les regarde?
Aneesh serre un peu ses doigts autour de la main de Taylor. Il a envie de prétendre. Juste pour cette nuit, il a envie de prétendre qu'il a le droit d'être avec elle, et qu'il est avec elle, et que la menace de la mort flotte au-dessus d'eux deux. En enfonçant ses yeux dans les siens, Aneesh peut presque croire qu'ils sont les seuls êtres à exister au monde.

Et puis très vite, il lâche sa main quand le serveur à la moue déconfite revient avec leur armada d'entrées, et l'estomac d'Aneesh se tord alors que, très vite, la table se recouvre de petites assiettes où croûlent les mets à l'air aussi gras qu'appétissants. Aneesh sourit à Taylor une fois que tout est devant eux et que le serveur est parti. “ C'est parti! ” dit-il joyeusement en se mettant à mettre dans sa bouche tout ce qui est physiquement possible, oubliant volontiers son petit instant tendre de faiblesse pour mieux se concentrer sur le moment présent.

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Il mange, il mange, il mange, ils mangent à fond, sans s'arrêter, tout ce qui se passe sous la main. Aneesh sourit, et Taylor lui sourit, et c'est si simple, c'est si bien. C'est vraiment le couple parfait, avec une conversation simple et éclairée, des petits compliments amusants, des critiques amusés et autour d'eux, on s'active avec un sourire: ici un couple se demande quand est-ce que le temps leur a volé cette joie de vivre, là un serveur ne peut pas s'empêcher de s'enquérir de leur état au milieu du repas. “ On ne peut mieux, ” dit Aneesh, avec un large sourire, parce que Taylor sourit et lui aussi et l'instant présent est long, réconfortant, et a du sens.
Il grave ce moment dans sa mémoire. Aneesh a un peu une mémoire de merde (contrairement à la personne avec qui il dîne ce soir là) mais il veut garder cet instant pour toujours gravé sur sa rétine, il ne veut pas l'oublier, il ne veut pas le quitter. Il ne veut pas penser à Charles Xavier, à l'Institut, à la Guerre qui leur pend au nez, à Camilla, à la douleur, à la mort, à des époques depuis longtemps révolues. Il lui semble qu'il a vécu la moitié de sa vie dans l'apathie la plus totale, entre l'anesthésie complète et le désintérêt faussé.
Et puis il y a Taylor, incendiaire, magnifique, solaire Taylor, avec son sourire et sa mémoire et la manière qu'elle a de pencher légèrement la tête sur le côté quand il parle, comme pour mieux se concentrer sur ses paroles. Taylor, qui va se faner et qui va mourir, Taylor dont la peau est douce est exempte de rides et Taylor qui a la vie devant elle. Aneesh se demande: que voit-elle quand elle me voit? Que pense-t-elle quand elle me voit?

Mais ces pensées sont bien vite repoussées; il doit se concentrer sur l'instant présent. La nourriture. L'alcool. L'endroit. La nouvelle année. Elle pose sa main sur la sienne, envoyant un frisson le long de sa colonne vertébrale alors qu'il arrache ses yeux de son gibier magnifiquement bien cuit pour les planter dans les siens. « Mon amour... » Il sourit en coin, essuyant le bord de ses lèvres avec une serviette. “ Oui? — Merci pour cette soirée. Je sais qu'elle n'est pas finie, mais… Tu me combles chaque jour, et grâce à toi, cette année sera clôturée de la meilleure manière qui soit. » Aneesh sourit presque innocemment. “ Si tu es heureuse- - ” commence-t-il à dire, mais sa voix s'étrangle dans sa gorge quand la bretelle de sa robe glisse sur l'épaule de Taylor et qu'elle dit, d'une voix enrouée de luxure: « Je saurais te remercier... » Il ouvre grand les yeux avant de trouver la force de reprendre une expression détendue. (Sa peau révèle un grain de beauté qui est posé sur sa clavicule. Il se demande quel goût ça a.)
« Est-ce que tu veux qu'on prenne un dessert ici ou… Tu préfères en prendre un à la maison ? » Le sourire qui se hisse sur les lèvres d'Aneeh est amusé et joueur, alors qu'il tourne lentement la main sous la sienne pour qu'ils se retrouvent paume contre paume. Son pouce vient caresser, très légèrement, la peau sensible de son poignet, et il remarque avec joie qu'elle frissonne très légèrement à son tour. “ Sur la carte, j'ai vu une mousse au chocolat, dit-il d'un ton évident. Je crois- je crois préférer rester ici. Pour cette partie-là du dessert, du moins, ” rajoute-t-il, avec un petit clin d'oeil à l'adresse du serveur qui s'approche d'eux pour les débarasser de leurs assiettes. “ Mais pour la suite... ” Il retire sa main, clin d'oeil à Taylor, et félicite le serveur pour la nourriture.

Ils commandent le dessert et Aneesh s'excuse pour aller rejoindre le petit groupe de serveurs, qui les regardent avec un agacement grandissant — ce ne doit pas être très fun de s'occuper de clients comme eux le soir du nouvel an... Aneesh essaie de ne pas y penser. Ils sont là pour s'amuser. C'est un plaisir égoïste, un secret entre eux deux. Il n'a pas le temps de se soucier d'eux.
Il produit de la poche intérieure de sa veste un petit écrin bleu. “ Est-ce que vous pourriez, s'il vous plaît, mettre la bague dans la flûte que vous allez servir à ma compagne? dit-il avec un naturel désarmant. Je vais vous demander d'y faire très attention, monsieur, après tout, c'est bel et bien du platine et de l'éclat de météorite que vous voyez là... oui monsieur! Ma chérie adore l'espace, vous comprenez, la science, tout ça... c'est bien un passe-temps de femme! ” Il éclate de rire, met l'écrin (qui ne contient, à la vérité, qu'un anneau lui ayant coûté deux dollars) entre les mains gênées du serveur. “ Ne tardez pas! Je passe juste aux toilettes, je répète mon discours, et je compte sur vous pour être dans les temps. ” Nouveau clin d'oeil. Tout est parfait.

L'image que lui renvoie son reflet sur le miroir des toilettes est un peu triste. Il semble avoir le teint blafard, sous la lumière à peine tamisée des néons, et il se rend compte qu'il a oublié de raser correctement un spot de barbe sur sa joue. Machinalement, il se passe de l'eau sur les mains, se les passe dans les cheveux pour les ramener en arrière. Pourquoi il se sent si las? Si fatigué? Si vieux?
Il allume une cigarette qu'il pose sur le rebord de l'évier et rejoint le restaurant; l'alarme incendie se déclenche avant qu'il n'ait atteint la table; il prend la main de Taylor dans la sienne et se met à courir, après avoir balancé leurs manteaux sur ses épaules, vers la sortie avec les autres clients. Tout le monde coure maintenant, en les voyant faire, et il entend même un bref cri de surprise et d'horreur. Aneesh, lui, sourit et rit.

Tout le monde s'amasse dans le restaurant, et eux ils s'envolent. Aneesh empêche Taylor de glisser sur le verglas tandis qu'elle, elle lui interdit de s'arrêter pour lui envoyer des boules de neige: pas le temps, pas le temps, ils ont besoin de rejoindre la voiture... qui n'est pas là. Qui n'est plus là. En déblayant les alentours, Aneesh se rend compte qu'il s'était garé sur une place pour handicapés. Bon. Tant pis. Ils peuvent rester dormir ici — tiens, il y a un hôtel, là.
L'alcool dans ses veines lui fait du bien. Il n'arrête pas de rire. Ils font une ou deux batailles de boules de neige dans l'espace de dix mètres. Ils rient. Ils rient. Rien ne les arrêter.
Comptoir de l'hôtel. Petite chambre pour deux, une nuit. On leur adresse un sourire amusé, un sourire presque complice. Taylor insiste pour qu'ils boivent un peu au bar désert de l'hôtel avant de mentir et, quand elle glisse sa main dans la sienne d'un air pressant et lui adresse ce sourire là, ces yeux-là, Aneesh ne sait pas lui dire non.
Alors ils boivent. Et puis trébuchent sur le pas de la porte de la chambre quelques heures plus tard. 2016. Déjà. 2016, New York se réveille et eux, ils gloussent d'une manière incontrôlable en se débarassant de leurs manteaux, se trébuchant dessus et manquant à plusieurs reprises de tomber parterre.
Mais il rit, et il vit, et c'est un moment un peu parfait.
“ Tay-Tay-Taylor, bégaie-t-il, en glissant en dehors de ses chaussures. I-il y n'y a- qu'un lit, ” soupire-t-il, avant d'éclater de rire. “ Un seul lit! Un seul lit! ” Tout d'un coup, il se met à sauter sur place en balançant ses mains dans tous les siens, envoyant des signes de gangsta et des signes de babtous en même temps, improvisant un beatbox sous sa respiration. “ Un-un-un seul lit, rappe-t-il. Un seul lit, lit lit, lit. ” Et on ne l'arrête plus.

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Ils sont un peu des rappers pourris mais voir Taylor lancer des signes de gangstas et essayer de beatboxer, ça n'a pas de prix et Aneesh ne peut s'empêcher de rire, et de rire encore. Il n'y a qu'un seul lit! Il ne plus exactement pourquoi c'est si drôle, mais ça l'est et un sourire énorme déchire ses lèvres, un rire agite sa gorge et ses côtes. Il est impossible de les stopper. Pendant un instant, il peut presque croire qu'ils sont tous les deux immortels, à jamais vivants dans ce rires aux accents trop joyeux pour être sobres. « C'est quoi le problème, Aneesh-Doggy-Dog ? » dit-elle, et il se rend compte qu'elle est si proche, maintenant. Il manque de perdre l'équilibre en s'en rendant compte mais Taylor est si gentille: elle le tient, ses mains sur sa taille alors qu'il passe avec un petit sourire amusé ses bras autour de son cou. Elle est si petite dans ses bras. Si fragile et mortelle. Elle se met sur la pointe des pieds et effleure leurs nez; Aneesh lui rend son baiser esquimo avec plaisir. « T'as peur que je te viole dans ton sommeil ? » Il ne peut s'empêcher de rire légèrement à ses mots. L'absurdité de la situation l'amuse beaucoup. “ Non, ce n'est pas ça, ” dit-il simplement. Il s'apprête à lui expliquer qu'il trouve juste ça amusant que tout le monde pense qu'ils soient un couple. Tout le monde, littéralement tout le monde: il a même des élèves qui viennent le voir, entre les cours, pour lui demander des ragots sur Taylor Hansen-Wright. Ils ont toujours l'air déçu quand Aneesh leur dit qu'il n'y a rien entre eux. Il s'apprête à lui dire tout cela mais elle le prend de court quand ses doigts effleurent la peau sensible de son cou, le col de sa chemise, alors qu'elle entreprend de défaire le noeud complexe de son noeud papillon. « Parce que tu sais, c'est pas vraiment un viol si c'est consentant. »

Il ne peut pas s'empêcher d'arquer un sourcil. Taylor fait la même chose, mais c'est un peu plus pervers, un peu plus naughty. « Alors, qu'est-ce que t'en dis... » Il suit du regard la bretelle qui révèle sa peau, dont elle s'est débarassée d'un expert coup d'épaule. « No one has to know... » Elle est proche. Si proche. « Dis pas que tu n'y as pas pensé. Et que tu n'en as pas envie. » Aneesh ne lui connait pas vraiment cette assurance. Enfin si, Aneesh sait que Taylor baigne dans ce genre d'assurance; mais étonnamment, il l'imaginait pas du tout comme ça dans l'intimité et ça le surprend un peu. Pas de la pire des manières, ceci dit. Lentement, il défait ses bras autour de son cou et vient prendre son menton d'une main, la stabilisant et plongeant son regard dans le sien. “ You sure do know loads about rape, ” est la seule chose que son cerveau embrumé d'alcool parvient à formuler avant qu'il ne vienne déposer ses lèvres sur les siennes.
C'est un baiser un peu hésitant, un peu maladroit. Ils se cherchent, dans leur ébriété tendre, puis se trouvent et la main d'Aneesh lâche son menton pour se glisser dans sa nuque; l'autre s'est glissée dans son dos et il la serre contre lui, oubliant momentanément comment elle peut être fragile, comment elle pourrait se briser et mourir, là, dans ses bras — il ne réfléchit pas. Il ne réfléchit plus. Il n'y a que ses lèvres sur les siennes, qui deviennent presque avides, alors qu'il n'arrive pas à avoir assez, jamais assez; et il a l'impression qu'elle ressent la même chose. Ils s'aggrippent l'un à l'autre, avec force et passion. Aneesh s'envole sur un petit nuage, bien loin de tout, se laissant guider par ses instincts millénaires et son esprit embrumé d'alcool.

C'est seulement quand elle le pousse sur le lit et qu'il trébuche contre le matelas qu'il reprend ses esprits. Il est torse nu tout d'un coup, ne porte plus que son pantalon dont sa ceinture et la braguette sont défaites, il lui manque une chaussure et il la regarde. Elle s'est défaite de sa veste et de ses escarpins et elle semble si délicate, là, devant lui, dans cette grande robe bien trop formelle pour deux mutants bourrés dans une chambre d'hôtel. Il a dézippé la fermeture de la robe dans son dos et elle se défait de la second bretelle, et la robe parterre et elle est là, devant lui, en sous-vêtements dépareillés, presque nue et pourtant elle n'a jamais été aussi élégante et belle. Elle dit quelque chose qu'Aneesh ne comprend pas et lui grimpe dessus, le forçant à s'allonger sur le lit. Leurs lèvres s'effleurent encore, il glisse sa main dans ses cheveux.
Puis lentement, la repousse et esquive ses lèvres. “ Taylor, murmure-t-il mais elle n'écoute pas, pas vraiment, elle aussi s'est envolée sur le nuage. Taylor... ” Il est à deux doigts d'abandonner. De s'abandonner à elle, et leur désir évident, et toute l'assurance que l'alcool leur apporte. Mais justement, pense-t-il un peu amèrement. Tout ce que l'alcool apporte, il l'apporte avec son lot de regrets plus tard. Et il ne veut pas ce genre de regrets et d'ambigüité entre eux. Ce qu'ils ont est trop précieux.

Il pose ses mains sur ses hanches et la repousse un peu plus franchement jusqu'à ce qu'elle s'éloigne suffisament pour qu'il puisse la regarder dans les yeux sans qu'elle ne soit tentée de l'étouffer d'un autre baiser brûlant. “ Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Pas ici. Pas maintenant. Pas- pas comme ça. ” Il sent qu'il s'emmêle les pinceaux. Il fronce les sourcils. “ J'suis juste- on est juste complètement torchés. Ce- c'est vraiment pas une bonne idée, ” murmure-t-il avec douceur pourtant, l'une de ses mains remontant le long de son corps pour se poser sur sa joue, parmi ses mèches brunes, avec une tendresse qui contredit un peu ses mots. Il sourit. “ T'es mignonne quand t'as bourrée. À moins que tu sois simplement mignonne quand moi j'suis bourré, ” glousse-t-il maladroitement. Puis reprend son sérieux. “ M'en veux pas, Taytay... je veux pas que y'ait un truc comme ça qui se passe si c'est pour qu'on le regrette après ou pour que ça devienne chelou entre nous. ”

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Quand elle reste silencieuse, et toujours langoureusement assise sur lui, à mesure que les secondes passent, Aneesh se dit: je ne peux pas lui résister. Impossible, impossible de la repousser. Elle a l'air si sûre d'elle, en se laissant lentement tomber sur lui, s'allongeant sur son corps, mélangeant leurs formes et leurs souffles; son nez se promène à la surface de sa peau, son visage, son nez, sa joue, son cou et presque, presque sa bouche. Aneesh ne peut pas s'empêcher de sourire sous sa peau, ses mains glissant d'elles-même sur ses hanches, allant tracer des formes incompréhensibles dans son dos, à la surface de sa peau. Et puis elle l'embrasse, encore et encore, doucement. « Tu sais quoi ? » souffle-t-elle sur sa peau, et il frissonne. Il est très conscient de leurs corps qui se touchent, de sa chaleur, de son souffle, de sa peau, de ses lèvres, de son goût sur ses lèvres, de son goût sur sa langue, de son goût sur sa bouche. « Je pense que… On est déjà allés trop loin. Je veux dire, regarde moi, je suis à moitié nue. Et on s'est embrassés. Un peu plus, ça ne changera pas grand-chose, right ? Et au moins, on aura l'un comme l'autre profité à fond de cette soirée... » Profité à fond, en effet... quand elle est raisonnable, comme ça, elle sait qu'il ne peut pas lui résister. Il est obligé de céder à la tentation, d'adhérer à sa dernière idée loufoque, d'abandonner face à son petit sourire et les étincelles dans ses yeux. Elle lui mord doucement la lèvre, il frissonne, ses mains pressent machinalement son corps contre le sien. « Je pense que c'est la meilleure manière de commencer la nouvelle année. Vraiment. » Si raisonnable, si logique... elle a raison. Évidemment qu'elle a raison. « Et si vraiment tu penses que c'était une mauvaise chose, contrairement à moi tu pourras toujours prétendre que tu ne te souviens pas de ce qui s'est passé... » Il fronce les sourcils, fait la moue mais elle l'embrasse, encore et encore et encore, et les mains d'Aneesh se promènent le long de ses côtes, vont même jouer avec l'attache de son soutien-gorge, chatouillent même le creux de ses omoplates. « Détends toi. »

Et ils s'embrassent, encore et encore, leurs mains qui se cherchent et se découvrent, le bout des doigts glissant le long du corps de l'autre, les ongles venant parfois y tracer des arabesques abstraites. Aneesh fait doucement rouler Taylor sur le côté, s'attarde à embrasser son cou, sa clavicule, son épaule, la naissance de ses seins; et puis brutalement, alors que les mains de Taylor se glissent dans ses boucles brunes, il attrape ses poignets et se redresse, sa bouche déposant un dernier baiser sur son abdomen avant qu'il n'y repose son menton légèrement barbu. “ Taylor... et avant qu'elle ne puisse l'interrompre de nouveau: Pas comme ça. Pas maintenant. ” Et il ne sait pas si il veut vraiment coucher avec elle, si il veut jamais le faire; il ne sait pas pourquoi il a l'impression que ce n'est pas right en cet instant précis parce que après tout, quand est-ce que le moment sera-t-il right? Ils sont collègues, amis, camarades. Ils ne peuvent pas faire ça. N'est-ce pas?
Il embrasse son ventre, ses lèvres remontent lentement le chemin qu'elles ont lentement tracé jusqu'à son abdomen, jusqu'à venir se loger sur sa mâchoire; ses mains, toujours emprisonnent celles de Taylor. Il est au-dessus d'elle, ils sont nez-à-nez, et il la regarde, il la regarde vraiment, pour la première fois, dans le fond des yeux, à la surface de l'âme. Il sourit en lui embrassant le sommet du nez; puis s'arrache à ses bras avec une vitesse et une brusquerie qui l'empêche, elle, de le retenir. “ Désolé, ” lâche-t-il néanmoins, en trébuchant jusqu'à la porte de la salle de bains.

Quand il revient dans la chambre, deux dizaines de minutes plus tard, elle est toujours là; sauf qu'elle s'est drapée dans la chemise qu'il a abandonné quelque part sur le sol de la chambre, ses cheveux fous éparpillés autour de sa tête et son sourire un peu désolé mais pas tout à fait sincère. Il la regarde depuis l'encadrement de la porte, les bras croisés, le regard interrogateur: doit-il sortir? la laisser? faire comme si rien ne s'était passé?
Elle est jolie, pense-t-il en cet instant précis. Toute en mortalité et en éphémérité: ses boucles qui rebondissent sur ses épaules, se glissent dans les derniers boutons ouverts de la chemise blanche. La moue incertaine sur son visage. Ses yeux. Ses yeux. “ Let's get to bed, eh? ” souffle-t-il doucement en détournant les yeux, la beauté des traits de Taylor comme un milliard de coups de couteau dans son coeur. Il s'approche du lit après avoir éteint la lumière de la salle de bains, se défait de son pantalon après une hésitation, et se glisse sous la couette. Il fait déjà sombre, dans la chambre, et il n'y a que le bruit de la ville autour d'eux, et leurs respirations dans le noir. Il se tourne sur le flanc pour lui tourner le dos — nu — et ferme les yeux jusqu'à sentir la main froide de Taylor se glisser dans son dos, redessinner sa colonne vertébrale. Pendant un moment terrible, il se dit qu'elle ne va pas abandonner et que cette fois, il ne pourra pas la repousser, pas cette fois, et quand il se tourne pour lui faire face, il peut apercevoir son visage si jeune, si mortel, si beau dans le clair-obscur de la chambre, grâce aux lumières extérieures qui glissent leur rayon à l'intérieur. Elle retire sa main, il arque un sourcil interrogateur. “ Hold me, ” dit-elle simplement, avec cette détermination sincère dont elle fait toujours preuve. Il l'observe longuement avant de glisser un bras sous sa nuque et de l'amener contre son torse, nichant son nez dans ses cheveux alors qu'elle passe un bras autour de lui; puis ils s'endorment, blottis l'un contre l'autre dans le noir, prêts à accueillir la nouvelle année.