« This is the end Hold your breath and count to ten Feel the earth move and then Hear my heart burst again. » - Skyfall, Adele.
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Fais pas ta tête de sorbet, Snow ! » Elle lève les yeux au ciel, traversant les jardins avec un agacement palpable. « Mais enfin va lui parler ! » Bien sûr. Aneliese ne pouvait-elle donc pas la lâcher deux minutes ? La situation était si tendue que tout l’Institut en était impacté, comme si chaque centimètre carré était une potentielle poudrière prête à exploser à la moindre étincelle. « Va donc faire lampadaire près de quelqu’un d’autre ! » Elle rit. Liese rit parce que, pour une fois, la répartie était autre chose qu’un silence de mort. La blonde se fait liquide, s’échappe et sort du champ de vision. Un peu de tranquillité, c’était au fond tout ce qu’elle demandait. Même un dimanche, tout partait à vau-l’eau. Même un dimanche, l’oisiveté semblait interdit. La forme aqueuse retrouve une silhouette humaine au milieu d’un couloir quand Prudence est à nouveau arrêtée par une dispute bruyante entre deux gamins. Soupir.
Les mutants avaient cette fâcheuse tendance à imploser à la moindre contrariété, surtout à cet âge, et visiblement personne n’était là pour éviter une nouvelle catastrophe. Hésitation palpable. Snow finit par s’avancer. « Oh ! Ca suffit ! » Ca n’était pas son rôle, elle n’avait pas à faire ça mais la température qui se dégageait du premier garçon était plutôt inquiétante. Elle n’avait pas besoin d’un thermomètre pour évaluer les risques pour le mobilier de bois - et l’opposant actuel - comme elle estimait ne pas avoir besoin d’une quelconque autorisation d’intervenir, pas là, pas sur le coup. « Toi, là. Stop. Tu respires. » Elle s’interpose, se place entre les deux, déposant une main froide sur l’épaule du pyrokinésiste en herbe. Habituellement, elle les évite, elle fuit leur chaleur, leur caractère souvent flambant, ces flammes qu’elle craignait tant - sa peur aurait-elle justifié une fuite ? Non. Fuir n’était plus une solution. « Et toi, tu devrais savoir qu’on ne se sert pas de sa télékinésie pour malmener ses camarades. » Le regard est sévère. Elle a l’atroce impression d’avoir pris vingt ans dans les dents, les idéaux en miettes et les certitudes en perdition, mais c’est efficace. Le silence a remplacé les agressions verbales, au moins le temps qu’elle éloigne l’adolescent-bouillotte des autres. Si elle subit la chaleur, Prudence sait aussi qu’elle peut apaiser la fièvre qu’il ressent, l’effet dévastateur que peut avoir la colère sur ceux qui ne maîtrisent pas encore totalement leur mutation. Il lui était, qui plus est, extrêmement facile de mémoriser les différents pouvoirs des jeunes de la X-Mansion, résidu d'une période où c'était nécessaire afin de survivre. « On va aller voir monsieur Drake, il saura quoi faire. »
Ils étaient proches du bureau, ainsi s’est-elle permise de toquer à la porte, certaine qu’il avait entendu l’agitation, certaine que les éclats de voix lui étaient parvenus, même atténués. Elle ouvre la porte, sans trop attendre de permission. Il était toujours là pour les pensionnaires, c’était un fait reconnu, du lundi au dimanche, au milieu de la nuit s’il le fallait. « Désolée de te déranger mais.. notre charmante allumette de service a besoin de toi. » Sourire gêné. Elle était toujours celle qu’on finissait par mener à l’infirmerie ou vers le psychologue, voire vers Charles lorsque la glace était hors de contrôle, l’inversion des rôles étaient aussi choquante pour elle-même que pour les autres. La dernière visite de la Confrérie avait remis les choses en perspective, permis à Snow de choisir son camp, de prendre des décisions pour son avenir, et finalement de trouver sa place là où on ne l’attendait pas quand d’autres retournaient leur veste contre toute attente.
« Je serai .. au sous-sol, si tu as besoin. » Ils ne s’étaient pas beaucoup vus, dans toute cette effervescence, pris au piège d’une guerre qui couve. Elle s’éclipse, referme derrière elle la porte et se dirige vers la salle des dangers. Elle avait plus envie de se défouler que de rédiger une dissertation ou lire un livre, sans doute parce qu’à contenir son stress, elle savait qu’elle risquait de perdre la main sur les diverses capacités qu’elle possédait - et qui se rebellaient encore aisément. Certes pas de verglas aléatoire à déplorer mais la température corporelle était toujours basse, laissant la fraîcheur caractéristique sur son passage. La combinaison noire en était devenue rassurante, plus adaptée, moins sujette à se détériorer dans les changements réguliers. Des cibles, seulement des cibles, ça devrait suffire à relâcher les nerfs. Certains faisaient du yoga, elle visait des ennemis fictifs. Chacun ses méthodes. Personne ne lui en voudrait de s’isoler, si ? Et Bobby savait qu’il pouvait toujours s’incruster.. à moins qu’il ne doute de la tolérance de la blonde et de son calme si déstabilisant. A moins qu’il se refuse encore à rester seul dans une pièce avec elle.
Assis à son bureau. Poings ramenés contre son front. Paupières closes. Le visage d’Emma lui revient. Sa froideur. Sa distance. Sa placidité. Le visage du politicien lui succède. Comme un rappel de la réalité. Il est mort parce que son amie l’a décidé. Il est mort parce que son amie a utilisé ses pouvoirs contre lui. Une action qui va à l’encontre de la jeune femme qu’il a connue. Une action qui est à l’opposé de ce qu’ils enseignent ici. La tolérance. L’ouverture d’esprit. La bienveillance. Ils essayent de prouver aux gamins que la cohabitation est possible. Malgré l’intervention impromptue de la Confrérie. Malgré les discours défaitistes. Il y a toujours de l’espoir. Il y en aura toujours tant que des personnes croiront à un avenir meilleur. Ils ne peuvent pas tous baisser les bras. Ils ne peuvent pas tous abandonner la lutte. Même si des gens comme Emma perdent pied et se transforment en machine à tuer. Même si des personnes comme Emma disparaissent de la circulation pour devenir des assassins. Il a besoin de temps pour digérer. Il a besoin de temps pour comprendre. La rencontre avec la jeune femme a été perturbante. Il ne sait pas ce qu’il doit faire. Il ne sait pas. Avec tout ça, il n’a toujours pas réglé son problème avec le centre commercial. Ses cauchemars qui surviennent au coeur de la nuit. Quand l’obscurité est la plus intense. Quand la pénombre est la plus menaçante. Il ne s’arrache à ses pensées qu’en entendant des éclats de voix dans le couloir. Il devrait aller voir. Il devrait s’assurer que tout va bien. Mais il se sent las. Il n’a pas le courage de se lever. Il n’a pas le courage de se confronter au désarroi. Pas tout de suite. Il lui faut encore quelques secondes. Quelques instants de repos. Seulement après, il ira voir. En espérant que les gamins n’aient pas le temps de s’entretuer. Il ne quitte sa position que lorsque l’on toque à la porte de son bureau. Le panneau s’ouvre presque immédiatement. Son regard tombe sur Snow. La jeune femme est suivie par un gamin. Un pyrokinésiste qui est touché par les derniers événements. Bobby se lève de sa chaise. Il passe à côté de sa table pour accueillir ses visiteurs. Il esquisse un sourire. Tous les deux ont l’air gêné. Alors qu’ils ne devraient pas. Il n’est pas en consultation. Il n’est pas en pleine élan productif. Il méditait seulement. Il cherchait seulement à trouver un sens à ces derniers jours. “Désolée de te déranger mais.. notre charmante allumette de service a besoin de toi.” Il retourne son attention sur le concerné. Il intériorise le soupir qui lui vient. Il aimerait que tous les pensionnaires se comportent avec maturité et intelligence. Au lieu de cela, ils continuent à se déchirer et à se disputer. Ils sont encore trop jeunes pour réaliser qu’ils se trompent. Ils sont encore trop jeunes pour prendre de la distance avec la tension et les soucis. Les nerfs sont à vif pour tout le monde. La moindre remarque, le moindre regard, le moindre geste est une excuse pour se sauter à la gorge. Même Bobby ressent cette fatigue morale.
Il va devoir laisser ses réflexions pour plus tard. Il y a plus important. Il va peut-être comprendre pourquoi des gens se disputaient dans le couloir. “Je serai .. au sous-sol, si tu as besoin.” Il la dévisage. S’il a besoin. Elle ne dit pas ça pour rien. Elle ne le dit pas par pure politesse. Il y voit une invitation à la retrouver pour discuter ou pour s’entraîner. Il est vrai qu’ils n’ont pas eu le temps de se poser, de parler, de revenir sur leurs problèmes respectifs. Ils pourraient avoir besoin de se confier. “D’accord, merci Snow.” Toujours à veiller sur les jeunes mutants. Toujours à assurer le service quand les membres du personnel n’ont plus le courage. Toujours à essayer d’arranger les choses. Beaucoup doive être surpris par son comportement. Beaucoup doive s’en étonner et s’en féliciter ou en rager. La jeune femme disparaît avec la discrétion qui la caractérise. Elle laisse le patient et le médecin en tête à tête. Il prend une inspiration. Il sait ce que le pyrokinésiste va lui dire. Machin a dit quelque chose. Machin a été violent. Machin a utilisé ses pouvoirs. Machin l’a provoqué. Toujours les mêmes histoires. Toujours les mêmes conflits. Il fait un signe au gamin de s'asseoir de l’autre côté du bureau. Lui-même s’installe de ce côté du bureau. Pas besoin de passer par l’étape séance de psychanalyse. Pas besoin de se plonger dans un cadre formel. Aujourd’hui, les enfants ne cherchent plus seulement les conseils d’un professionnel. Ils ne cherchent plus seulement un endroit où parler des traumatismes du passé. Ils veulent une relation de confident. Ils veulent un adulte qui est proche d'eux. Ils veulent être rassurés, encadrés et protégés. Ils sont tous terrifiés. Ils sont tous inquiets. Ce n’est pas en mettant plusieurs mètres entre eux que Bobby arrivera au bout de leurs soucis. “On ne viendra pas t’embêter ici, d’accord ? Tu peux te relâcher et reprendre le contrôle sur ta chaleur.” Regard bienveillant. Sourire encourageant. Il a confiance en ce gamin. Si le jeune avait dû perdre le contrôle et incendier la X-Mansion, il l’aurait déjà fait. La vérité, c’est qu’il a assez de maîtrise pour savoir quand arrêter, pour savoir quand se contrôler. Cette dispute a réussi à attiser son feu. Cette dispute est venue réveiller les flammes. Mais il a gardé la main dessus. Snow est probablement arrivée au bon moment. Il aurait pu balancer une attaque sur un de ses camarades. Ce qui n’aurait pas été joli-joli. Bobby lui accorde le temps nécessaire pour souffler. Ils ont toute la journée, si besoin. Ils ne peuvent pas parler tranquillement et sereinement si le pyrokinésiste continue à être une boule de chaleur. Il doit avoir l’esprit clair, libéré de sa colère. Ou en tout cas, d’une partie de sa colère.
Une heure plus tard, la porte de son bureau finit par s’ouvrir. Le pensionnaire qui en sort est plus détendu, même s’il pourrait s’énerver de nouveau, à tout moment. Les conséquences d’une ambiance pesante et tendue. Ils en sont tous sensibles. Les susceptibilités sont accrues. La patience est à bout. Ils doivent faire des efforts sur-humains pour ne pas se sauter à la gorge à cause d'un frôlement. La troisième Guerre Mondiale n’a pas encore éclaté dans les couloirs, c’est plutôt bon signe. Il laisse la porte de son bureau ouverte. Il ne compte pas rester très longtemps. Si Snow est en bas, ce n’est sûrement pas pour admirer la collection de voitures. Il veut s’assurer qu’elle ne se met pas en danger. Il veut s’assurer qu’elle ne repousse pas ses limites à l’extrême. Il veut s’assurer qu’elle va bien. Dans la Danger Room, une simulation est déjà en cours. Snow, sûrement. Il ne rentre pas immédiatement. Il prend la précaution d’enfiler sa tenue de X-Man. On ne sait jamais. Il ne voudrait pas que son tee-shirt brûle dans la salle des Dangers. Il attend qu’elle termine son entraînement pour entrer. “Tu as aussi besoin du docteur Drake ou je peux le ranger ?” Une plaisanterie inutile. Elle n’est pas venue le consulter depuis des mois. Elle n’a plus jugé utile de venir à leurs rendez-vous. Elle a baissé les bras. Elle a décidé de régler ses problèmes autrement. Alors, ce n’est pas avec elle qu’il va pouvoir jouer les psychologues. De toute manière, c’était un peu ce qu’elle lui reprochait. D’être toujours dans l’écoute. D’être toujours dans l’analyse. Il n’était jamais vraiment Bobby. Il était toujours un peu le médecin. Vivre sur son lieu de travail, en contact direct avec ses patients, empêche totalement la dissociation des rôles. Même s’il essaye. Même s’il fait des efforts. Surtout en ce moment. Il ressent le besoin de lever le pied. Il ressent la nécessité de ralentir le rythme. La tête remplie. La tête lourde. Il n’en peut plus d’être toujours tendu, stressé, inquiet. Il aimerait que tout aille bien et que la tension s’envole. Juste une fois. Juste pour lui rappeler ce que cela fait. “Comment tu t’en sors avec ta mutation ?” Aux dernières nouvelles, elle maîtrisait de mieux en mieux. Elle passait d’un état à un autre avec plus de facilité. Elle se débrouillait toute seule pour évoluer et apprendre. Il a un peu perdu le suivi de son évolution. Il s’est un peu égaré dans ses progrès. La connaissant, elle aura probablement développé une énième mutation depuis la dernière fois.
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es lames glacées lévitent rapidement, rotation précise avant qu’un mouvement de la main ne les dirige droit sur les cibles mouvantes, mettant fin à la simulation. Bobby ne tarde pas à entrer, arborant le noir caractéristique de leur tenue. Elle esquisse un sourire, ravie de voir que cette fois, il ne va peut-être pas se contenter d’observer. Il serait resté de l’autre côté, si tel avait été le cas. « Tu as aussi besoin du docteur Drake ou je peux le ranger ? » Touche d’humour. Il restait des résidus de cette tension, de ce qu’ils avaient partagé, brisé sur l’autel des devoirs, des préjugés, de ce qu’il devait à la véritablement femme de sa vie. Il restait une certaine réserve, comme si l’équilibre n’était plus possible dans leur relation, comme s’ils marchaient sur des oeufs. « Aussi étrange que cela puisse paraître, je dois être la seule à ne pas avoir besoin du docteur Drake, en ce moment. » Snow s’éloigne, retourne vers le panneau de contrôle avec lequel elle a visiblement pris ses marques, preuve s’il en fallait une qu’elle avait choisi de se débrouiller seule depuis un moment déjà. Là où l’Institut était prêt à imploser sous les conflits internes, elle évoluait avec une facilité déconcertante - c’était plus simple à ses yeux, ça l’était parce qu’elle était devenue mutante dans ce type de situation, parce qu’elle avait goûté à la confrérie, elle y avait déjà cédé, elle avait son existence en leur sein comme exemple. Les pensionnaires cédaient à ce qu’ils voyaient comme une manière de se défendre, de mieux réagir là où Snow savait le risque que cela comportait. La décision avait été prise le jour où elle avait croisé le regard de Tadeusz, le jour où elle s’était retrouvée à défendre des valeurs dont elle avait trop longtemps douté. « Ne t’en fais pas, ils reviendront. »
Le ton est calme. Ceux qui sont partis retrouveraient un jour le chemin de la X-Mansion, elle en était sûre, peut-être pas de la manière dont Bobby l’espérait mais ils auraient de leurs nouvelles, d’une façon ou d’une autre. Certains épouseraient la cause de la violence, d’autres rebrousseraient chemin après le premier meurtre, après avoir survécu aux entraînements moins tendres que ceux de Xavier. « La Confrérie a aussi son Professeur, un homme sage et patient qui refuse les sacrifices inutiles. » Iceman ne voyait que la surface, il n’avait comme référence que ces ennemis tant de fois combattus, et maintenant que Snow avait retrouvé la quasi totalité de ses souvenirs, maintenant que les visages retrouvaient les noms et les rôles associés, elle abordait les conflits d’une autre manière.
Les gants sont retirés. La seconde phase de la simulation nécessitait plus d’instinct, ce que l’épaisseur protectrice empêchait, malgré les adaptations, malgré les fibres plus malléables. Les hologrammes reprennent leur place et les simples cibles sont désormais capable de riposter. La salle des dangers restait un exploit technologique, une merveille d’innovation, plus ou moins mortelles et terriblement efficace. « Comment tu t’en sors avec ta mutation ? » Incorrigible. Il ne peut pas s’empêcher de s’occuper de ce qu’elle ressent, de la manière dont elle s’en sort. Il ne peut pas mettre de côté le psychologue, c’est dans sa nature, et Snow ne lui en tient pas rigueur parce que c’est aussi ainsi qu’elle l’aime. La boule de feu traverse le corps instinctivement devenu liquide avant de retrouver sa forme de chair et de sang. Un geste de la main givre l’attaquant qui disparaît. Un de moins. « Plutôt bien. » Indéniablement. Elle progressait avec la liquéfaction, bien qu’il lui soit toujours compliqué d’user de la glace dans cet état. « Je peux me permettre un conseil ? Les cauchemars ne passeront pas avec une simple introspection. Viens donc m’aider, ça diminuera un peu toutes ces tensions. » Comment sait-elle qu’il faut des cauchemars ? Elle le voit. Elle le connaît assez pour savoir qu’il est contrarié, qu’il dort mal, qu’il n’a pas assez de repos. Elle voit dans son regard clair les doutes, la lassitude, peut-être même des regrets dont elle ignore l’origine. « Et en plus, tu sais quoi ? J’ai deux oreilles, je peux aussi t’écouter. » Remarque taquine pour faire passer le message : la danger room peut lui permettre de lâcher prise, de se défouler, et Snow est là, peut donc par la même occasion lui donner la possibilité d’exprimer ce qui le tourmente. Il avait passé des années à l’aider, c’était à son tour.
A une époque, la Danger Room était une seconde maison. Il y passait son temps libre, à s’entraîner avec les X-Men. Il risquait sa vie, ici. D’une certaine manière, en tout cas. C’était le temps où il était encore un adolescent. Un élève parmi tant d’autres. Un gamin dont les capacités avaient été jugées utiles. Il n’était pas seul. Il y avait Kitty et Malicia. Il y en avait bien d’autres. Maintenant, il a un emploi du temps plus chargé. La Salle des Dangers est devenue la maison d’autres personnes. Des personnes comme Snow. A la recherche de la perfection. A la recherche de l’évolution. A la recherche de la progression. A la recherche d’un exutoire. Il a cédé sa place à ceux qui en ont davantage besoin. La dernière fois qu’il y est venu lui semble remonter à une éternité. Pourtant, ce n’est pas si loin. Ca ne peut pas l’être, n’est-ce pas ? Il commence à rouiller, à rester trop longtemps sur sa chaise. Il commence à rouiller, à ne pas bouger de son bureau. Il doit se reprendre. Surtout si les prochaines semaines deviennent compliquées pour les mutants. Surtout si les X-Men sont amenés à combattre la Confrérie. Les nouvelles recrues vont sûrement être difficiles à vaincre. Émotionnellement et physiquement. Il doit être en forme. Il doit être préparé. Il proposera une séance à Ororo. Dans les prochains jours. Pour l’heure, il est ici pour Snow. Il est ici pour écouter ce qu’elle a à dire. Jusqu’à maintenant, ça a toujours été ainsi. Elle a toujours eu des choses à dire, à confier, à exprimer. Elle a toujours eu des problèmes à solutionner, des inquiétudes à apaiser. Même si elle semble aller mieux. Paradoxalement. Elle devrait être paralysée par la peur comme beaucoup de pensionnaires. Il n’en est rien. “Aussi étrange que cela puisse paraître, je dois être la seule à ne pas avoir besoin du docteur Drake, en ce moment.” Elle confirme. Il peut ranger la cape de super-psychologue. Il peut se contenter d’être l’ami. Il esquisse un faible sourire. Parfois, il se demande si sa personnalité ne s’efface pas derrière son rôle. Parfois, il se demande s’il n’est pas en train d’étouffer à aider continuellement et à être le psychologue à longueur de journée. Tout le monde a besoin de quitter son habit de travail pour souffler un peu. Il n’y arrive pas. La dernière fois qu’il a essayé, il est tombé sur une réplique d’Emma qui a tentée de le tuer. Il n’a pas vraiment envie de recommencer. Il n’a pas vraiment envie de tenter le sort une deuxième fois. Il lui arrive moins de choses quand il est sagement assis derrière son bureau. Il devrait greffer ses fesses sur sa chaise. Il ne serait plus tenté de sortir. Il ne voudrait plus s’éloigner de la X-Mansion.
Mais le fait de simplement s’éloigner de son cadre professionnel aide déjà. Il sent la tension s’évacuer, doucement. A chaque battement de coeur, la pression se fait moins forte. A chaque respiration, le poids des responsabilités est moins lourd. Il n’est que psychologue et il se noie déjà. Il n’imagine pas ce que doit vivre le Professeur. Il n’imagine pas ce que doit ressentir un Président. Il n’est rien, comparé à eux. Il n’est qu’une personne qui essaye de réparer les fêlures du cerveau, avec des mots. Il n’est qu’un magicien des émotions. Un magicien qui ne se révèle pas toujours efficace. “Ne t’en fais pas, ils reviendront.” Elle fait référence aux enfants qui sont partis. Il n’a pas la même conviction qu’elle. Il n’a pas la même foi. Quand les gamins voudront revenir, ce sera trop tard. Ils auront vu les horreurs. Ils auront vu leur destinée. Ils auront vu que Magneto ne veut pas les utiliser autrement qu’en chair à canon. Ce sera trop tard. Il n’a pas la même certitude que Snow, il ne le peut pas. Il n’y arrive pas. Il vit ces départs comme un échec personnel et professionnel. Il n’est pas parvenu à les convaincre du bien-fondé de la X-Mansion. Il n’est pas parvenu à leur transmettre ce que Ororo, le Professeur, Scott et Jean lui avaient transmis. Cette amour pour l’humanité. Cette passion pour la paix. Chaque départ a été douloureux. Chaque adieu a été déchirant. Il a échoué, tout simplement. Les gamins ne reviendront pas. Ils ne feront jamais le chemin inverse. Par peur du jugement. Par ego. Par choix. “La Confrérie a aussi son Professeur, un homme sage et patient qui refuse les sacrifices inutiles.” Un homme sage et patient. C’est drôle, on dirait qu’elle parle de quelqu’un d’autre. On dirait qu’elle parle d’une autre personne. Pas de Magneto. Il a du mal à la croire. Il a du mal à voir le vieil homme ainsi. Il faut dire qu’ils n’ont pas une relation facile. A force de tourner autour de Malicia, le leader s’est attiré les foudres de Bobby. Son arrivée improvisée à l'Institut n’a pas arrangé les choses. Le sort réservé au Watcher non plus. Ils se sont comportés comme des criminels. Ils ne sont pas mieux que les Watchers eux-même. Il en reste persuadé. Mais il garde son avis pour lui. Tout ce qu’il pourrait dire contre la Confrérie pourrait être assimilé à Snow. Il ne veut pas qu’elle le prenne pour elle. Il ne veut pas qu’elle fasse un amalgame. Autour d’eux, un nouveau décor prend forme. Une nouvelle simulation commence. Il s’écarte de la trajectoire de la boule de feu, en la voyant traverser Snow. Manquerait plus qu’il se fasse brûler, alors qu’il vient seulement discuter.
“Plutôt bien.” C’est ce qu’il constate. Elle se débrouille de mieux en mieux. Plus de toux. Plus de douleur. Plus de fluctuation. Elle maîtrise totalement. Et dire qu’il y a quelques semaines, elle se considérait comme un monstre. Qu’est-ce qui a changé ? Elle a mûri, c’est indéniable. Elle a grandi, c’est certain. Il a fallu que le monde devienne cruel pour qu’elle trouve sa voie et s’assume. Il est heureux de voir ces changements. Il percevrait presque de la sérénité. Elle n’a jamais été aussi paisible. Elle n’a jamais été aussi apaisée. C’est bon de la voir ainsi. “Je peux me permettre un conseil ? Les cauchemars ne passeront pas avec une simple introspection. Viens donc m’aider, ça diminuera un peu toutes ces tensions.” Son regard se fait surpris. Ses cauchemars. Il n’en a parlé à personne. Comment peut-elle le savoir ? Il semblerait qu’elle le connaisse mieux qu’il ne le pense. Il soupire. Il ne peut rien lui cacher, vraiment ? Pas de secrets. Pas de cauchemars. Pas de problèmes. Elle sait déjà tout, rien qu’en lisant son visage. Rien qu’en l’observant. S’il voulait jouer la carte de l’homme mystérieux, c’est raté. Il secoue la tête. Il ne viendra pas l’aider. C’est son entraînement à elle. C’est sa simulation. Il y retournera plus tard, si il en ressent le besoin. Il lui laisse tout le loisir de se déchaîner sur quelques cibles. Il n’a pas tant de tension à sortir, après tout. Seulement de la frustration. Seulement de la colère. Seulement des traumatismes. Il va se débrouiller par ses propres moyens. Il va s’en sortir. Pas besoin de la Danger Room. “Et en plus, tu sais quoi ? J’ai deux oreilles, je peux aussi t’écouter.” Scoop. Elle a deux oreilles. Comme tout le monde, non ? Le sourire de Bobby se fait plus franc, plus grand. Inverser les rôles. Proposition ô combien tentante. Proposition ô combien séduisante. Proposition qu’il compte balayer d’un revers de la main. Elle n’est pas la bonne personne à qui se confier. Il a d'autres personnes pour cela. Ororo, le Professeur. Des gens qui le connaissent depuis bien plus longtemps. Des gens dont il est proche. Il ne voudrait pas embêter Snow. Elle ne sait pas vraiment ce que c’est. D’écouter les états d'âme. De réceptionner tous les sentiments. De gérer les émotions à fleur de peau. Elle ne sait pas. Il ne veut pas le lui imposer. Il ne veut pas évoquer l’attentat du centre commercial. Pas avec elle. Pas alors qu’elle s’en est voulue de ne pas l’avoir protégé. Pas alors qu’il a failli mourir sous ses yeux. Ce traumatisme, ils le partagent. Ils le portent tous les deux. A des niveaux différents.
Lui parler. Il est tenté. Il aimerait. Vraiment. Inverser les rôles. Se confier un peu à elle. Se laisser aller à quelques confidences. Il aimerait. Quelque chose le bloque. Elle le voit trop parfait. Elle le voit trop bien. Briser ses espoirs, briser sa vision, ce serait cruel. Il ne veut pas la décevoir. Il ne veut pas qu’elle change de regard sur lui. Malgré tout ce qu’il s’est passé, son opinion est encore importante. Son avis est toujours aussi essentiel. Il ne voudrait pas tomber dans son estime. Les confidences sont un risque. Les confidences pourraient mettre à mal son image parfaite, lisse. “J’ai des problèmes comme tout le monde. À côté de certains, les miens sont dérisoires. Alors, je ne pense pas qu’en parler soit important.” Il hausse les épaules. Il préfère minimiser. Il préfère ne pas l’inquiéter. Il dort mal, oui, mais ce n’est rien. Il rumine, oui, mais ce n’est pas inquiétant. Il est tendu, oui, mais c’est normal. Tout va bien. Dans une certaine mesure. Intérioriser, c’est ce qu’il fait de mieux. Il le fait avec les émotions des autres. Il le fait avec les siennes. Sa manière de gérer. Sa façon d’assimiler. Ou de repousser l’échéance. “J’essaye de les régler, je te le promets. Je prends même du temps pour moi…” Il fait des efforts. Il s’améliore. Il n’est plus le forcené du travail. Il n’est plus celui qui garde la tête plongée dans ses dossiers jusqu’à tard dans la nuit. Il s’accorde des pauses. Des moments de détente. Des moments loin de de l’Institut. Des moments qu’il utilise pour apaiser ses peurs et cicatriser ses plaies. Est-ce qu’elle le voit, ça aussi ? Est-ce qu’elle arrive à le lire sur son visage ?
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obby est surpris. Il ne s’attendait sûrement pas à ce qu’elle se préoccupe encore de son sort, de ses pensées ou de ses ressentis. Il ne s’attendait sûrement pas non plus à ce qu’elle sache ce qu’il ne dit pas, simplement en l’observant. Elle subit son agacement depuis des jours, ils étaient encore en train de se chamailler quand la Confrérie a débarqué, il n’a pas besoin de poser sereinement ses problèmes en confidences pour qu’elle perçoive les signes de contrariété. Quand le sourire fleurit sur le visage du X-Man, elle ne peut s’empêcher de ressentir un minimum de satisfaction - elle sait encore le faire sourire, après toutes ces épreuves, après la rupture, les disputes, les déchirures et les coeurs brisés. Il ne se confiera pas facilement, quoiqu’il en soit ; elle n’est pas étonnée qu’il refuse de prendre part à la simulation comme elle ne semble pas perturbée par ce vieux réflexe qui était le sien : détourner l’attention de sa personne. Elle ne le forcerait pas. S’il était venu, c’est qu’il en avait besoin, il n’aurait pas rejoint une ex si agaçante dans le cas contraire.
Snow n’insiste pas. Elle reprend calmement l’éradication de cibles menaçantes, elle esquive quelques projectiles et se concentre sur les hologrammes plutôt que sur le passé. Ruminer ne lui servait à rien, elle s’en était rendue compte, elle avait compris que perdre ses chances de fonder une famille n’était pas une raison valable pour mettre fin à ses jours - et elle n’y arrivait pas, autant laisser tomber. Elle s’était tournée vers d’autres exutoires, vers les études, vers des projets plus fous les uns que les autres. Ca l’aidait à tenir, même si le seul à en être informé restait le Professeur Xavier, à qui elle consentait enfin à s’ouvrir. D’aucun diraient qu’il serait temps.
Le froid a déjà pris possession de la Danger Room lorsque Bobby reprend la parole, et si elle lui tourne encore le dos pour ne pas se faire prendre en traître, ça ne l’empêche pas de froncer les sourcils. « J’ai des problèmes comme tout le monde. À côté de certains, les miens sont dérisoires. Alors, je ne pense pas qu’en parler soit important. » Incorrigible, il s’obstine à minimiser, parce que c’est dans son caractère, parce qu’il estime toujours qu’il y a pire, que son cas n’est pas important, qu’il passe après. Son travail a toujours rogné sur son existence privée, si tant est qu’il en possède vraiment une. Ne pas quitter l’Institut le soir devait compliquer la dissociation. « J’essaye de les régler, je te le promets. Je prends même du temps pour moi… » La lame qui traverse la pièce entaille le bras, arrachant une protestation à la jeune femme. La tenue est certes résistante mais elle n’est pas prévue pour servir de bouclier à toutes les attaques. Quelques gouttes carmines sur le sol alors qu’elle pose une main sur la blessure. « Hé ! On a pas la même conception des hologrammes, vraiment ! » Comme si l’intelligence artificielle qui gérait les réactions ennemies pouvait lui répondre. Déjà, la plaie a disparu, ne laissant comme trace visible que le sang luisant sur la combinaison. Elle en oublie presque que le paramètre « régénération » a été ajouté à ses entraînements, qu’elle n’est plus seulement la cryokinésiste qui doit résister à la chaleur, qu’elle n’est pas juste la forme aqueuse qui peut esquiver les attaques si les opposants ne se multiplient pas. Elle en oublie encore qu’elle a gagné un facteur compliqué à tester et évaluer si des attaques réelles n’entrent pas en ligne de compte.
Prudence n’a pas su gérer l’émotion, elle n’a pas su écouter Bobby tout en restant focalisée sur son objectif, ce dont elle était capable autrefois, au sein de la confrérie, quand rien ni personne ne pouvait faire fluctuer le coeur gelé. Elle soupire. Tenir une conversation logique et apaisante au milieu du chaos qui commence à naître devient difficile. « Tu n’as pas besoin de te justifier Bobby. Je sais que tu prends du temps pour toi. Tu crois vraiment que parce qu’on ne parle pas, je ne te vois pas ? » Elle avait affirmé l’aimer malgré tout et si elle n’avait plus réitéré l’aveu, enterrant définitivement son affection démesurée pour un homme qui ne voulait pas d’elle, rien n’avait changé pour autant. Il pouvait bien lui hurler dessus si ça l’aidait à se détendre, elle ne lui en tiendrait jamais rigueur. Du moins pas longtemps.
Petite silhouette qui se détache des autres. Il a quoi, onze ou douze ans ? Et alors que Snow s’apprêtait à stopper la simulation, se dirigeant vers le panneau de contrôle, elle se fige devant cette nouveauté dérangeante. Elle ne pouvait pas. Les enfants, qu’elle veuille bien l’admettre ou non, étaient son ultime point faible. Elle savait écarter les menaces ou éteindre des vies si il le fallait mais les jeunes âmes ne pouvaient obtenir sa colère, elle ne pouvait pas déchaîner sur eux toute la froideur de sa mutation. Le face a face a duré une minute, peut-être deux, elle a entièrement baissé sa garde. Un gamin, ça se raisonne, ça ne s’attaque pas ainsi, injustement. La gerbe enflammée l’atteint aussi sûrement que si elle était réelle, dégageant une chaleur moindre et pourtant palpable à travers les basses températures qui régnaient. Echec.
La pièce retrouve le vide qui la caractérise, laissant à Snow le loisir de rejoindre le psychologue, sa tenue encore couverte d’une couche de glace protectrice - petite nouveauté permise par une matière capable d’y survivre sans raidir - et elle choisit de s’asseoir à même le sol, pour respirer, frottant le givre qui se détache progressivement. « Quelqu’un m’a dit un jour que parler de ses problèmes aidait à les digérer. » Inutile de préciser que ce quelqu’un est actuellement près d’elle. Elle n’est peut-être pas réputée pour être une experte de l’écoute, mais d’un autre côté personne n’avait jamais l’idée de venir se confier. Elle était souvent trop franche pour cela. « Tu es humain. Ca n’est pas parce que tu as peur que je te juge ou que je te trouve moins parfait que tu ne peux pas venir me parler. Après toutes ces années tu crois vraiment que je pourrais te tourner le dos ? » Ils s’étaient entretués à tant de reprises que plus rien ne pourrait briser le lien qui les unissait. Se détruire était parfois même la seule manière qu’ils avaient d’échanger, résidu d’une époque où cela résumait l’entièreté de ce qu’ils étaient. « Je serai toujours là pour toi, tu le sais. Même si tu venais m’annoncer que tu as plongé un innocent dans une hypothermie mortelle. » Ce qui est en contradiction totale avec ce qu’il est, ce qui montrerait les plus sombres facettes de celui qui était encore réputé pour ne jamais perdre son calme. Même s’il avait du mal à l’accepter, Bobby avait des aspérités, des parts moins lumineuses qu’on ne le penserait et Snow était prête à parier qu’un jour, pour protéger ses enfants, il serait prêt à des extrémités dont lui-même ignorait tout. Pour protéger les siens, il se surpasserait, il appliquerait peut-être des méthodes qui ne lui ressemblaient pas, parce qu’il était humain, parce que c’était un homme bon et plein d’affection. « Tu n’as pas échoué avec ces gamins. Ils ont fait leur choix, et Tadeusz saura faire d’eux des mutants en pleine possession de leurs pouvoirs. La Confrérie a bien des défauts mais sans eux.. la colère de jeunes abandonnés à leur sort, sans guide, serait encore plus dévastatrice. On ne peut pas toujours apaiser les rancoeurs, il faut savoir accepter que la X-Mansion ne convient pas à tout le monde.. pas même aux X-Men, visiblement.. » Elle ne parlait donc pas de Magneto, quand elle a évoqué la sagesse d’un professeur. Elle n’évoquait pas le manipulateur de métaux, mais bien la silhouette plus calme qui se tenait calmement dans ses rangs. Les départs étaient perturbants, ils mettaient à mal l’équilibre et être l’une de celles qui restait déstabilisait la blonde elle-même. Le psychologue avait de quoi ressentir frustration, colère, amertume et culpabilité, c’était légitime bien qu’inutile.
La Danger Room ne pardonne pas. Un moment d’inattention. Un moment de déconcentration. C’est la fin. Bobby n’a pas vu la lame arriver. Sinon, il aurait fait un pas pour épargner Snow. Il aurait essayé de la pousser de la trajectoire. Il aurait tenté de geler le danger. Trop tard. Le mal est fait. Un mal moindre puisque Snow est capable de régénérer. C’est à peine si elle tremble sous le coup de la douleur. C’est à peine si elle s’émeut de la blessure. Elle se contente de râler contre la technologie. Bobby secoue la tête. Elle devrait réagir aux coups. Elle devrait réagir à la vue du sang. Elle ne devrait pas accepter l’idée de saigner et de se réparer aussi vite. Cette insouciance pourrait la mener tout droit à la mort. Elle ou quelqu’un d’autre. Mais il garde sa remarque pour lui. Elle y trouverait une once de psychologie là-dessous. Elle y verrait une manifestation professionnelle. Alors que ce ne serait que l’inquiétude d’un ami, d’un ex-petit-ami. Alors que ce ne serait que l’expression de son attachement. Puisqu’il ne s’autorise pas à exprimer son opinion, il se promet de surveiller ses arrières. De s’assurer que la Salle des Dangers ne profite pas d’un moment d’égarement pour la blesser une nouvelle fois. Il est un peu plus sur ses gardes. Il est un peu sur le qui-vive. Il attend la prochaine menace. Il attend la prochaine attaque. Bien décidé à intervenir en cas de besoin. Il a la mutation moins instinctive que Snow, mais s’il voit le danger arriver, il peut réussir à l’arrêter à temps. “Tu n’as pas besoin de te justifier Bobby. Je sais que tu prends du temps pour toi. Tu crois vraiment que parce qu’on ne parle pas, je ne te vois pas ?” Peut-être. Elle ne serait pas la première à être égoïste. Elle ne serait pas la première à se désintéresser d’un ex. Elle pourrait lui tourner le dos et ne plus avoir de soucis pour lui. Elle pourrait. Personne ne le lui reprocherait. Personne ne lui dirait rien. Ce serait même compréhensible. Mais non, elle continue de veiller sur lui. Une information à la fois rassurante et dérangeante. Il aimerait qu’elle passe à autre chose. Il aimerait qu’elle l’oublie. Il aimerait qu’elle arrête de se soucier de lui. Ce serait tellement plus simple. Tellement plus facile. Il pourrait alors se détacher doucement d’elle. Il pourrait alors s’éloigner. Il pourrait alors arrêter de culpabiliser. Il pourrait alors cesser de veiller sur elle. Dans un sens, il la laisserait partir. Il la laisserait tranquille. Sauf qu’à chaque fois, elle revient avec sa gentillesse, sa bienveillance, sa générosité. Comme un rappel de ce qu’il n’aura plus jamais. Comme un rappel qu’il ne la méritait pas.
Il hausse les épaules pour seule réponse. Il n’a pas de phrase toute faite. Il n’a pas les mots pour exprimer ses sentiments. Se parler n’est pas nécessaire pour s’inquiéter pour quelqu’un. Il le sait. Il est dans le même cas. Mais il ne s’était pas attendu à ce que Snow en face de même. “Je ne sais pas… tu serais en droit de te foutre de ce que je deviens.” Il y a toujours quelque chose qui les relie. Des souvenirs. Des sentiments. De l’attirance. Il y a toujours quelque chose qui les retient, qui les attache l’un à l’autre. Ils ne parviennent pas à s’éloigner. Même s’ils ne se croisent pas, ils continuent de penser à l’autre. Comme éternellement hantés. Comme éternellement entichés. Ils ont l’autre dans la peau. Ancré. Collé. Imprégné. Impossible de s’en défaire, sous peine d’être malheureux. Impossible de l’effacer, sous peine de souffrir. Ils sont obligés d’accepter qu’ils ne tourneront pas la page aussi facilement. Ils sont obligés d’accepter qu’ils seront toujours là pour l’autre. Quoiqu’il arrive. Un attachement comme jamais Bobby n’en a ressenti. Un attachement comme jamais il n’en a connu. Il n’arrive pas à l’expliquer. Il n’arrive pas à en trouver la source. Peut-être la similarité de leur mutation. Sûrement. Devant eux, la silhouette d’un enfant se dessine. Visage innocent au milieu du chaos. Visage attendrissant au milieu du danger. Bobby ne voit que le dos de Snow, mais il le voit se détendre. Se relâcher. Le silence s’installe. Pour quelques secondes. Pour quelques minutes. Elle ne devrait pas attendre. Elle ne devrait pas peser le pour et le contre. Elle devrait l’immobiliser pour connaître ses intentions. Pas le brutaliser. Pas le blesser. Pas le tuer. Seulement s’assurer qu’il ne la blessera pas. Les enfants sont sa faiblesse. Bobby le note dans un coin. Ils ont tous une raison d’hésiter, une raison de reculer, une raison de baisser les bras. Pour lui, ce sont les innocents. Les gens, mutants ou pas, qui n’ont rien demandé. Les gens qui sont pris pour cible ou qui subissent les conséquences. Il serait capable de sauver n’importe qui, au péril de sa vie. Mais plus particulièrement ses proches. Les gens qu’il côtoie depuis des années. Les gens qui font partie de sa famille. Ce qui devait arriver arriva. Le visage angélique se révèle moins sage qu’il n’y paraît. Une boule de feu est envoyée dans la direction de Snow. La simulation s’arrête sèchement. Elle a perdu. On ne peut pas toujours gagner. On peut pas toujours réussir. C’est la dure réalité des X-Men. Ils ne sont pas toujours efficaces. Ils ne sont pas toujours bons. Ils sont humains. Ils ont le droit de faillir. Ils ont le droit d’échouer. Même si chaque échec laisse un goût amer. Même si chaque échec doit être digéré.
La salle se vide de tout décor. L’enfant disparaît. Les dangers s’évaporent. Il ne reste plus qu’eux deux. Snow a une nouvelle forme. De glace. Pendant un instant, Bobby a l’impression qu’elle a évolué de la même manière que lui. En se transformant en glaçon. Mais bientôt, il réalise que ce n’est qu’une couche de glace. Qu’un revêtement protecteur. “Tu es humain. Ca n’est pas parce que tu as peur que je te juge ou que je te trouve moins parfait que tu ne peux pas venir me parler. Après toutes ces années tu crois vraiment que je pourrais te tourner le dos ?” La lassitude. L’agacement… elle pourrait lui tourner le dos pour diverses raisons. Il lui a quand même brisé le coeur. Elle pourrait s’en aller. Elle pourrait partir, sans scrupules, sans regrets. Pourtant, elle n’en fait rien. Toujours fidèle au poste. Même de l’affection et de l’amour ne peuvent pas justifier une pareille fidélité. Mais en se confiant, il craint de révéler des choses qu’elle ne connaît pas. Des choses qu’elle n’a pas envie d’entendre. Des choses qui pourraient la faire fuir. La perdre, voilà ça crainte. “Je serai toujours là pour toi, tu le sais. Même si tu venais m’annoncer que tu as plongé un innocent dans une hypothermie mortelle.” Justement, voilà le problème. Elle lui pardonnerait tout. Elle serait toujours à ses côtés. Il ne veut pas. Il ne le mérite pas. Si un jour, il perdait le contrôle. Si un jour, il devenait sanguinaire. Si un jour, il tuait des gens. Il aimerait qu’elle lui tourne le dos. Il aimerait qu’elle l’abandonne. Il aimerait qu’elle arrête de s’accrocher à lui, comme s’il était toujours l’homme dont elle était tombée amoureuse. Si un jour, il en vient à tuer quelqu’un, il ne serait plus le même Bobby. Quelque chose se serait cassé. Quelque chose aurait changé. “Tu n’as pas échoué avec ces gamins. Ils ont fait leur choix, et Tadeusz saura faire d’eux des mutants en pleine possession de leurs pouvoirs. La Confrérie a bien des défauts mais sans eux.. la colère de jeunes abandonnés à leur sort, sans guide, serait encore plus dévastatrice. On ne peut pas toujours apaiser les rancoeurs, il faut savoir accepter que la X-Mansion ne convient pas à tout le monde.. pas même aux X-Men, visiblement..” Tadeusz. Elle semble lui faire confiance. Elle semble lui donner beaucoup d’importance. Bobby ne le connaît pas personnellement. Ils se sont croisés. Ils se sont regardés de loin. Il ne peut pas dire si cet homme est digne d’une quelconque confiance. Mais le fait que Tadeusz appartienne à la Confrérie est déjà une source de méfiance. Peut-être qu’elle a raison. Peut-être qu’il a déjà eu un rôle important pour elle, du temps où elle était dans le même camp. Peut-être. Mais savoir les gamins de l’autre côté de la frontière, avec des hommes capables de capturer et de maltraiter un individu, lui fait froid dans le dos. Les gamins pourraient être mieux accompagnés. Ils pourraient être mieux entourés.
Evidemment, face à cette démonstration de force, ils sont tombés, la tête la première, dans le piège. Ils ont enfin ce que les X-Men leurs ont refusés. La violence. Le combat. La vengeance. Comme s’ils allaient enfin être de mini-héros. “La plupart de ceux qui sont partis n’ont même pas conscience des risques qu’ils prennent. Ils ont seulement choisi par dépit parce que nous n’étions pas capable d’entendre leurs inquiétudes et de leur offrir une solution satisfaisante.” Il a repassé les événements en boucle dans sa tête. Des centaines de milliers de fois. Il a réfléchi à toutes les possibilités. Il a trouvé où ils auraient pu être plus convaincants. Il a refait l’histoire des dizaines de fois. A chaque fois, c’est une torture. Une torture à base de culpabilité, de découragement, d’impuissance. Ils ont clairement fauté. Les mutants sont venus ici pour trouver quelque chose. Ils ne l’ont pas trouvé. Ils se sont tournés vers quelqu’un d’autre. La X-Mansion n’est pas parvenu à les apaiser, à les aider. La X-Mansion a échoué. “On n’a pas réussi à leur apprendre à aimer leur prochain...” Il pense à Axel et au Watcher. Preuve vivante (ou morte) que les jeunes pensionnaires ne se retrouvent plus dans le discours de la X-Mansion. Preuve ultime qu’ils doivent changer leur manière de procéder. Ils ne peuvent pas continuer ainsi et regarder les jeunes partir les uns après les autres. Impossible. “A ton avis, qu’est-ce qu’il va advenir d’eux ? Un second Alcatraz ?” Elle peut le savoir, elle. Elle a été de l’autre côté. Elle a été un des pions de Magneto. Elle est la mieux placée pour lui répondre. Elle est la mieux placée pour l’inquiéter ou le rassurer. Il a besoin de savoir. Pour anticiper. Pour digérer. Pour accepter.
« This is the end Hold your breath and count to ten Feel the earth move and then Hear my heart burst again. » - Skyfall, Adele.
I
l estime qu’elle aurait des raisons de se désintéresser de lui, comme si une rupture justifiait l’effacement total d’une personne. Peut-être était-ce effectivement le cas, et elle l’avait envisagé, mais ça n’était pas dans sa nature profonde. Elle n’avait pas pu se défaire d’Axel malgré sa violence, jusqu’au bout elle avait été là, elle s’était montrée prête à risquer sa vie pour cet être pour le moins déviant, il était donc évident qu’elle avait un problème avec les séparations. Son éducation lui avait-elle donné une forme de loyauté ? Mystique avait transmis énormément de choses à Snow, tout comme ses parents l’avaient fait bien malgré eux, et le tout formait de vastes paradoxes. Elle ne pouvait pas supprimer Bobby de son coeur, c’était ainsi, elle s’était faite une raison. Il ne méritait pas qu’elle s’éloigne simplement parce qu’il ne l’aimait pas, parce qu’elle n’était pas faite pour lui et que, même s’il refusait de l’admettre, elle n’avait pas su lui donner assez d’affection et de bonheur. « La plupart de ceux qui sont partis n’ont même pas conscience des risques qu’ils prennent. » Assise contre le mur, elle repose sa tête sur la surface froide, écoutant attentivement ses propos. Elle ne peut pas le contredire, elle avait souligné aux jeunes que la Confrérie n’était pas un paradis des licornes, que ça impliquerait des actes dont ils n’imaginaient pas les conséquences ; sans succès. Elle n’était personne pour donner des conseils, personne pour affirmer détenir une quelconque forme de vérité et plus le temps passait, moins elle exprimait le fond de ses pensées. Elle répondait aux questions des enfants, parce qu’elle s’en faisait un devoir, mais tout était bien plus édulcoré que la réalité de son ressenti. « Ils ont seulement choisi par dépit parce que nous n’étions pas capable d’entendre leurs inquiétudes et de leur offrir une solution satisfaisante. » Que peut-elle dire ? Je t’avais averti ? Ce serait gratuit et blessant. Elle avait essayé, elle aurait voulu qu’ils calment les inquiétudes en offrant un semblant de formation à la défense d’urgence, sur comment neutraliser quelqu’un sans le blesser mortellement. Le pacifisme de l’Institut voulait que les entraînements au combat ne servent pas ce type d’intérêt - un paradoxe quand on observait l’armement possédé par les X-Men.
« On n’a pas réussi à leur apprendre à aimer leur prochain… » Sourire désabusé. Aimer son prochain, ça n’est pas possible pour tout le monde. Aimer son prochain implique d’avoir la personnalité qui le permet. Elle-même n’était pas foncièrement programmée pour l’affection généralisée et la tolérance absolue, ça demandait toujours des efforts, du self-control. La période n’était pas propice à ce contrôle. « On n’est pas des dieux, on ne peut pas les forcer à adhérer à ce que l’Institut enseigne. Je serais bien mal placée pour te dire le contraire. » Peut-être avaient-ils des pouvoirs supérieurs aux êtres humains lambdas, toutefois ils n’avaient ni la science infuse ni une influence illimitée sur l’esprit. Xavier lui-même n’était pas pour la télépathie abusive. Ils devaient vivre avec ce que beaucoup considéraient comme un échec, et au final ça n’était pas exactement ce qui contrariait Prudence. Elle n’avait jamais eu l’optimisme de Bobby.
« A ton avis, qu’est-ce qu’il va advenir d’eux ? Un second Alcatraz ? » Elle rouvre les yeux, décollant le crâne du mur pour tourner le visage, croiser le regard du psychologue. Veut-il vraiment qu’elle réponde ? Snow sait ce qu’il veut entendre mais elle refuse de lui mentir, elle a bien assez payé le prix de ses silences au sein de leur relation, c’était aussi en partie la cause de la rupture. Il lui faut un instant pour rassembler ses mots, il lui faut le courage d’exprimer ce qui la terrorise. Elle se cache derrière l’apparence de l’apaisement, elle se dissimule derrière le déni pour ne pas finir dans l’état de tension qui baigne la X-Mansion mais au fond, loin derrière la glace de l’assurance, Snow a peur des conséquences. « Alcatraz n’était qu’une répétition. » C’est atroce à exprimer, c’est horrible à dire. « A l’époque, il n’y avait pas de précédant. Quand nous avons rejoint la Confrérie, nous avions pour but d’asseoir une supériorité et la paix était encore possible pour des centaines d’autres mutants. Le sérum était un choix. » Ils n’avaient sans doute pas exactement la même vision de ce qu’il s’était passé, elle poursuit malgré tout. « Aujourd’hui, même les plus optimistes ont peur, même les héros sont accusés. On a le choix entre se soumettre ou se cacher. Je voudrais croire que le Professeur a raison et que la paix est encore une option.. mais je.. honnêtement je n’y crois pas. » Elle était encore là, elle était une X-Woman, elle essayait d’apaiser les jeunes, elle essayait de calmer les choses, sans en avoir la conviction absolue, parce qu’elle était loyale et qu’elle voulait se forcer à y croire. Elle voulait s’obliger à ne pas lâcher prise, à ne pas abandonner ceux qui l’avaient aidée. Elle voulait être quelqu’un de bien, une fois dans sa vie, même si ce devait être l’unique et ultime fois.
Quoiqu’il fasse, quoiqu’il dise, il y a toujours de la culpabilité. Il y a toujours des remords. Il y a toujours une remise en question. Comme s’il n’assumait aucun de ses gestes. Comme s’il était incapable d’accepter ses propres décisions. Il ne fonctionne qu’avec des remords. Il ne fonctionne qu’avec des doutes. C’est son moteur. C’est sa manière d’avancer. Il essaye d’arrêter. Vraiment. Il essaye de se détacher. Il essaye d’accepter ses erreurs, ses fautes. Vraiment. Parce qu’à force, il va se rendre malade. Il va se rendre malheureux. Tout cela pour des décisions passés. Tout cela pour des erreurs. Il devrait poursuivre sa vie. Il devrait arrêter de regarder en arrière. Il devrait se contenter d’apprendre de ses erreurs et poursuivre sa route. C’est difficile. Il y a tant de choses qu’il aurait aimé faire autrement. Il y a tant de décisions qu’il aurait voulu ne pas prendre. Le recensement. La Confrérie. Le discours de Magneto et compagnie. Tout cela est venu rajouter une couche. Ils les ont confrontés à la réalité. Les gamins n’ont pas trouvé leur bonheur à la X-Mansion. Ils sont à la recherche d’autres choses. Bien plus traumatisés et marqués par le rejet de la société. Bien trop touchés par la haine des autres. Ils ne sont pas comme tous les jeunes qui débarquaient il y a quinze ou vingt ans. Les mentalités changent. Les besoins aussi. La X-Mansion n’a pas réussi à s’adapter et à suivre. Pourtant, Bobby reste certain que la Confrérie n’est pas la meilleure des solutions. Il reste sûr que c’est une erreur de suivre Magneto. La chose qui l’inquiète le plus est la promesse de Logan. Celle de tuer tous les Watchers. Celle de faire couler le sang. Il ne veut pas suivre Logan là-dedans. Dans cette vendetta contre les Watchers. Oui, ils font des choses contestables. Ils tuent des mutants, ils les maltraitent, ils les torturent. Oui, ils considèrent les mutants comme des monstres à éradiquer. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’appuyer leurs opinions en faisant justement ce qu’ils dénoncent : en tuant. En devenant violent, agressif. Ils n’en sont pas encore là. Mais il y a un jour où Bobby devra s’y opposer. Un jour où il devra exprimer son refus. Un jour où il les regardera partir, tuer quelques humains. “On n’est pas des dieux, on ne peut pas les forcer à adhérer à ce que l’Institut enseigne. Je serais bien mal placée pour te dire le contraire.” C’est vrai. Ils ne peuvent pas les forcer. Ils ne peuvent pas les endoctriner. Ils ne peuvent pas leur faire de lavage de cerveau. Par contre, ils peuvent trouver des arguments. Ils peuvent trouver des moyens de les convaincre. Ils peuvent leur montrer que la Confrérie est la pire des solutions. Ils le peuvent. Avec ceux qui restent. Avec ceux qui croient encore à l’Institut. Avec ceux qui n’ont pas encore décidé. Tout est une question de confiance. Pour le moment, tout ce qui l’inquiète, c’est le sort réservé à tous ces mutants partis rejoindre les rangs de la Confrérie. Il veut savoir ce qui les attend. Il veut savoir dans quoi tous ces jeunes se sont embarqués. Même loin de la X-Mansion, il persiste à s’inquiéter pour eux. Cependant, leur avenir n’est plus entre ses mains.
“Alcatraz n’était qu’une répétition.” C’est ce qu’il craignait. Il se rappelle encore la marée humaine de mauvais mutants qui courraient vers eux. Il se rappelle le peu de X-Men qu’ils étaient. Il se rappelle de toutes ces personnes qu’il a fallu neutraliser. Ça n’a pas été le jour le plus fun de sa vie. Ça n’a pas été l’expérience la plus joyeuse. Il aurait préféré que cette scène ne se passe pas une deuxième fois. Dans une version encore pire. Dans une version encore plus sanglante. Mais au moins, il est prévenu. C’est bon d’avoir un regard différent, un avis d’ancienne Confrériste. Snow n’aura jamais été aussi appréciée à la X-Mansion, grâce à ses connaissances et à son expérience. “A l’époque, il n’y avait pas de précédant. Quand nous avons rejoint la Confrérie, nous avions pour but d’asseoir une supériorité et la paix était encore possible pour des centaines d’autres mutants. Le sérum était un choix.” Un choix, peut-être. Mais la Confrérie est montée au créneau. Elle a décidé d’attaquer les manifestations pro-sérum. Elle est même allée jusqu’à attaquer le centre qui le fabriquait. Autant dire que le choix a vite été oublié. Elle n’a pas permis aux autorités d’avoir confiance aux mutants. Elle n’a pas autorisé les mutants à faire leur choix. Soit ils restaient mutants et étaient mal tolérés par les humains normaux. Soit ils prenaient le sérum et étaient rejetés par les mutants. Il n’y avait pas vraiment de choix. Il n’y avait pas vraiment de solution. Dans les deux cas, ils étaient perdants. “Aujourd’hui, même les plus optimistes ont peur, même les héros sont accusés. On a le choix entre se soumettre ou se cacher. Je voudrais croire que le Professeur a raison et que la paix est encore une option.. mais je.. honnêtement je n’y crois pas.” Le monde va de pire en pire. Les gens conduisent de plus en plus mal. L’inégalité entre les hommes et les femmes empire de plus en plus. Les droits des minorités sont jetées à la corbeille. Les attentats surviennent n’importe où et à n’importe quel endroit. Le monde va mal. Mais ils peuvent encore améliorer les choses. Ils peuvent encore s’assurer que tout n’empire pas. En commençant par le conflit avec les mutants. C’est possible. Oui, il y a maintenant des équipes qui patrouillent dans les rues, armées d’armes pouvant neutraliser leurs pouvoirs. Un armement contestable, mais aussi compréhensif. Comment pourraient-ils assurer la sécurité de la ville, face à des être dotés d’une puissance insoupçonnée ? Ils n’ont pas le choix, mais en même temps, cette technique est barbare et radicale. Les êtres humains normaux ne sont pas anesthésiés quand ils commettent un braquage ou qu’ils déclenchent un incendie. Pourtant, on se permet un traitement similaire aux mutants. Il y a des choses qui ne vont pas. Des égalités qui ne sont pas respectées. Il en est conscient.
“Notre rôle est de montrer que la paix est possible. Il faut le prouver aux mutants, aux autorités, à la population. Ce n’est pas seulement l’affaire des X-Men, tout le monde doit s’y mettre.” Il trouve cela tellement surréaliste que personne ne s’en rende compte. Que toutes ces personnes qui rejoignent encore la Confrérie ne le sachent pas. Que personne au gouvernement ne le pense. Ils ont peut-être une conception de la paix différente. Une paix, sans menace mutante ou humaine. Une paix, en éradiquant une partie de la population. Une paix relative, donc. Et si chacun des partis n’arrive pas à s’arrêter au bon moment ? Et s’ils n’arrivent pas à se remettre en question ? Et s’ils vont trop loin dans cette guerre inutile ? New-York risque de se transformer en champ de bataille. Des innocents risquent d’être sacrifiés. “On doit trouver un moyen de protéger les jeunes qui sont encore là.” Les protéger des dangers. Les protéger de la Confrérie. Les protéger d’idées fausses. Les protéger de tout. Leur donner une raison de rester en sécurité. Leur donner une raison de ne pas vouloir la mort de centaines de personnes. Leur donner des arguments pour rester pacifistes. Ce ne sera pas facile. Ce ne sera pas évident. Mais ils doivent le faire. Si tout le monde décidait de se battre, ils ne s’en sortiraient jamais. Ils ne parviendraient jamais à améliorer la situation, à sauver les homos sapiens et les homos superiors. Ce serait la fin.
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I
l ne renonçait jamais à son obsession de paix et de protection. Il ne lâchait jamais prise sur sa culpabilité. Elle n’a pas répondu. Elle s’est longuement murée dans le silence en observant le vide de la salle des dangers, contemplation muette d’un espace entièrement consacré à l’amélioration de leurs capacités, à leur survie sur le terrain. Y avait-il une limite aux fonctionnalité de cet endroit ? « Ca suffit. » déclare-t-elle en se relevant, remise de l’effort précédent. Elle se remet sur ses pieds, n’ayant finalement aucun mal à se stabiliser sur les talons compensés de la tenue - elle se sentait clairement moins minuscule qu’avec des chaussures plates. La main se tend vers celle de Bobby et elle le force à se lever à son tour. Son acte n’est pas négociable, ça se lit dans ce regard trop bleu qui insiste. « Tu vas finir par rouiller, à ruminer de la sorte. » La glace ne rouille pas mais ça n’est là qu’un détail. Ca n’était pas en prenant la poussière dans son bureau qu’il parviendrait à offrir une vision des X-Men qui donnerait envie aux gamins de rester dans la sécurité de l’institut.
Elle retourne au panneau de contrôle pour enclencher une nouvelle simulation, commune cette fois-ci, ne lui laissant ainsi pas de point de repli potentiel pour observer la scène. Bobby n’était plus en état de calmer ses patients, il perdait plus facilement patience et, pire encore, il n’extériorisait pas. Quelque chose le contrariait, il était hors de question qu’elle le laisse se morfondre ainsi, à se ronger l’âme pour le monde entier.
C’est Alcatraz qui renaît de ses cendres. C’est le chaos de cette époque où ils s’affrontaient qui refait surface, ou du moins un morceau étrangement similaire à celui dans lequel ils avaient manqué s’entretuer. Ce sont les corps inertes qui s’étalent et la peur qui résonne. Elle attrape les deux mains gantées du psychologue, le raccrochant à la réalité palpable, le détournant un instant du décor qui se plante. « On va les protéger. » Une promesse qu’elle lui fait bien qu’elle doute qu’ils y parviennent vraiment. Une promesse même si c’est vain, même si la guerre est à leur porte, même si le recensement les menace tous. « On est une équipe. Et pour fonctionner, on doit connaître l’autre, n’est-ce pas ? » C’était un de ses reproches : quand elle s’est mise à muter, elle n’a plus informé personne de ses capacités, de ses nouvelles failles, de celles qui n’étaient plus à l’ordre du jour. Les X-Men ne pouvaient se couvrir les uns les autres si ils ne pouvaient pas évaluer les possibilités de chacun. Snow corrigeait son erreur auprès de lui. « Prête-moi ta glace, s’il te plaît. » Les menaces commencent à apparaître, elles s’approchent et ils ne peuvent pas reconnaître tous les hologrammes. Il doit lui faire confiance tandis qu’elle noue leurs doigts. La glace de Bobby venait de ses mains, elle ne s’échappait que par ce biais et il l’utilisait pour forger de quoi se défendre ou se déplacer. Elle changeait un peu la méthode, n’offrant plus la faculté d’agir séparément. Ce qu’elle voulait ? Une fusion de leur potentiel. Il voulait protéger les gamins, ça commençait par réparer les remords, le passé et les réflexes rouillés.
Ce sont les flammes qui leur parviennent en premier, qui témoignent de la première faiblesse avérée. Et autour d’eux, elle forge un bouclier, né de la glace qu’il offre et de son agilité à créer sans bouger, sans voir, pour étendre le champ d’action - d’abord une fine bulle protectrice puis une couche plus épaisse qui semble glisser, s’éloigner du centre. Ca craque. Ca se fissure sous la chaleur, elle n’est pas sûre de parvenir à l’effet désiré, à quelque chose d’assez fixe et solide pour enfermer d’éventuels alliés. Elle s’accroche pourtant, à la fois à ces deux paumes si froides contre les siennes et aux yeux clairs. Alcatraz, le lieu de leur passé, réparant un regret, presque une erreur de ces souvenirs dont, jusque là, elle n’était pas parvenue à peindre tous les contours.
« Si on n'agit pas ensemble, on perd. Une idée à proposer ? » Sa propre température tombe. Elle l’a piégé, elle l’oblige en partie à faire preuve d’inventivité, à sortir de sa zone de confort et de ses techniques habituelles. Et elle apprenait à faire confiance à une autre personne qu’elle même, en retour. Se réconcilier passait peut-être aussi par le fait de se mettre à l’épreuve. « .. Au centre commercial, on n’a pas su faire ce qu’il fallait.. » C’était son sentiment. Elle avait gardé le goût amer de l’échec, ancré à celui de la rupture et elle s’était sentie atrocement fautive de ne pas être parvenue à lui épargner tout ce sang, toute cette douleur. Elle s’était jurée de lui montrer l’étendue de son amour, ce jour-là, de lui dire combien le perdre lui était impossible, combien elle avait besoin de le rendre heureux - elle avait renoncé, depuis. Y avait-il encore quelque chose à sauver, entre eux ?
“Ca suffit.” Il lève la tête. Quoi ? Elle va le gronder parce qu’il se morfond dans la culpabilité ? Il ne lui a jamais entendu ce ton catégorique. Il ne lui a jamais vu cette détermination. Il s’attend à ce qu’elle reprenne son entraînement. A ce qu’elle remette en route la Danger Room pour elle seule. Il n’est là que pour discuter. Il ne veut pas la déranger. Mais elle lui tend une main. Il la regarde comme s’il s’agissait d’un ovni. Comme s’il ne savait pas ce que cela signifiait. Il n’a pas envie de se prêter au jeu. Il n’est pas d’humeur. Il lâche la main du regard pour croiser les prunelles de Snow. Elle ne plaisante pas. Elle compte vraiment le bouger. Elle compte vraiment le forcer à s’entraîner. Elle joue les tortionnaires maintenant ? Depuis quand ? Il lâche un soupir au moment d’attraper sa main. Okay. Une petite simulation. Une toute petite. Et après, il retournera dans son antre. “Tu vas finir par rouiller, à ruminer de la sorte.” Ruminer a du bon, des fois. Ruminer permet de se remettre en question. Ruminer permet de digérer certaines choses. Même s’il a tendance à beaucoup ruminer, ces derniers temps. Beaucoup trop. Le psychologue calme et apaisant a disparu au profit d’une boule à remords. Une boule de nerfs. Une boule prête à exploser à tout moment. Il ne se reconnaît plus. Il ne se retrouve plus dans son comportement. Il a laissé de côté trop de sentiments et d’émotions. Il n’a pas pris le temps de les comprendre, de les trier, de les accepter. Il n’a pas pris le temps d'accepter les événements. Il s’est contenté de les mettre de côté. En attendant. Quand il aura le temps. Il en paye le prix. Il doit impérativement retrouver son tempérament pacifiste. Il en a besoin plus que jamais. Une simulation peut être un bon début. Un bon moyen de se remettre en marche vers son objectif. Même si la Salle des Dangers n’est pas vraiment l’endroit le plus paisible de l’Institut. Ce n’est pas le meilleur endroit pour retrouver son côté pacifiste. Il va faire avec. Il laisse le soin à Snow de gérer la programmation de la simulation. Il profite de ce temps pour faire quelques pas dans la salle. Pour se réapproprier les lieux. Pour se mettre dans l’ambiance. Pour se préparer au combat à venir. Pour se concentrer. Lorsqu’il se retourne, une partie de la pièce est déjà plongée dans un nouveau décor. Enfin, pas si nouveau que ça. Alcatraz. Évidemment. Le visage d’Emma surgit dans ses pensées. Il n’en revient toujours pas qu’elle soit vivante, après toutes ces années. Il n’en revient pas qu’elle soit devenue l’opposé de la femme qu’elle était à la X-Mansion.
Alcatraz n’a pas seulement été la pseudo-mort d’Emma. Il a aussi été l’évolution de sa mutation. Il a aussi été la rencontre avec Snow. Cet endroit a une histoire. Une signification. Il y a perdu son âme de gamin, en affrontant Pyro et en manquant de mourir. Il a vu les ravages d’une mutation puissante avec Jean. Il a vu la folie de la Confrérie. Il est hypnotisé par l’endroit. Il ne lâche pas le grand bâtiment du regard. Il se rappelle de ce moment. Il se rappelle de tout. Il a l’impression de tout revivre. De tout ressentir. Un flot de souvenirs qui le submerge. Qui l’embarque. Qui le noie. Il retrouve un morceau de sa mémoire. Un fragment du passé. Un bout oublié. “On va les protéger.” Qui ? Protéger qui ? Et les protéger de qui ? Là est tout le problème. Il faut protéger les innocents du gouvernement et des mauvais mutants. Il faut protéger les mutants de leurs semblables et du gouvernement. Il faut protéger tout le monde de tout le monde. Sans identifier clairement la menace, ils ne peuvent pas établir de stratégie. Ils ne peuvent pas protéger efficacement. Ils ne peuvent pas être partout. “On est une équipe. Et pour fonctionner, on doit connaître l’autre, n’est-ce pas ?” Encore une phrase qu’elle lui ressort. Elle écoute bien, malgré ce qu’elle laisse paraître. Elle écoute même trop bien. Ca en devient presque agaçant. Il faut se connaître, oui. Il faut connaître les faiblesses de l’autre. Il faut connaître ses limites et sa puissance. Mais pas en pleine mission. Pas une fois sur le terrain. C’est en amont qu’il faut parler, qu’il faut s’exprimer. Pour mieux se préparer. Pour mieux anticiper. Pour mieux réagir. Quand ils ont besoin d’improviser, c’est mieux de savoir avec quelles armes ils peuvent le faire. “C’était avant qu'il fallait le faire.” Il bougonne. Il bougonne, mais il se redresse et il se prépare physiquement à la suite. Et là, une sensation étrange le prend au ventre. Comme un stress. Comme une anxiété. Comme une inquiétude de ce qu’il pourrait se passer s’il fautait, s’il ratait, s’il s’élançait. Jusqu’à maintenant, les méthodes des X-Men n’ont pas porté leurs fruits. Ils en avaient l’impression. Et puis, le gouvernement a décidé de changer les règles du jeu. Et puis, les Watchers sont apparus. Et puis, la Confrérie est venue récupérer des pions pour son échiquier. Il craint ce qu’il pourrait arriver ensuite. S’ils persistent dans cette voie. S’ils ne changent pas leur manière de faire. Ils pourraient être l’une des raisons de la descente en enfer des mutants. Ils pourraient donner des raisons aux humains de se plaindre. “Prête-moi ta glace, s’il te plaît.” Il la dévisage. Lui prêter sa glace. C’est inédit pour une cryokinésiste. Elle a pourtant récupéré cette faculté. Elle en a pourtant fait usage il y a peu. Il ne comprend pas où elle veut en venir. Il ne comprend pas ce qu’elle a derrière la tête. Mais ils sont une équipe. Comme elle le lui a rappelé. Ils doivent ne faire qu’un. Ils doivent se faire confiance. Alors, il obéit.
Les molécules gèlent sous l’effet de sa pensée. Il ne sait pas exactement ce qu’il doit faire. Alors, il se contente d’agir comme il a l’habitude de le faire. Il érige des murs de protection. Il lance des attaques. Il retrouve des réflexes endormis depuis plusieurs jours. Il retrouve des aptitudes oubliées. Finalement, ce n’est pas si difficile de reprendre les combats. Ce n’est pas si compliqué de se lancer. Le premier vrai obstacle se présente. L’élément opposé au leur. Le feu. Le Cerebro ne les ménage pas, dès le début. Il n’y a qu’une seule personne à Alcatraz qui pouvait leur opposer les flammes. Pyro. Il est probablement là, derrière le bouclier de glace. Bouclier de glace qui subit les assauts de la chaleur. Bobby revêt sa forme de glace. C’est la seule manière qu’il avait trouvé la première fois pour se débarrasser de son ami de longue date. “Si on n'agit pas ensemble, on perd. Une idée à proposer ?” Il n’en a pas. Pas dans l’immédiat. Il se sent pris au piège dans cette bulle de protection. Il se sent à l’étroit. Il se sent oppressé. Impossible de bouger comme il l’entend. Il a besoin de quitter ce bouclier pour vraiment tout prendre en considération. Tout voir. Tout analyser. Tout comprendre. Il réfléchit à une alternative. Il réfléchit à une solution. Il pourrait geler Snow et la rendre indestructible comme il l’est actuellement. Mais elle aurait peur. Elle n’est pas à l’aise. Il pourrait tenter de se déplacer sur son surf de glace. Là encore, elle n’est pas à l’aise. Alors quoi ? “.. Au centre commercial, on n’a pas su faire ce qu’il fallait..” Il reporte son attention sur Snow. Le centre commercial, c’était différent. Ils ne l’ont pas vu venir. Ils n’étaient pas là pour agir sur une menace. Ils étaient là pour s’éloigner de leur quotidien. Ils étaient là pour un peu de shopping. Ils n’auraient rien pu faire. Ils n’auraient pu épargner personne. La menace était trop importante. Le responsable était trop puissant. Ils étaient trop peu nombreux pour l’identifier et l’arrêter à temps. “Je ne suis pas d’accord avec toi.” Il la contredit doucement. Délicatement. Il ne veut pas la brusquer. Il ne veut pas la heurter. Seulement lui dire ce qu’il ressent, en tant que victime. L’événement a été traumatisant. Il continue à le hanter, à le poursuivre jusque dans ses songes. Ce qui a été traumatisant n’est pas tant la barre dans le ventre que le fait d’être touché dans un lieu public. De ne pas avoir été préparé à ce fâcheux accident. “On n’aurait rien pu faire pour la simple raison que nous ne savions pas. Tu me l’as dit tout à l’heure : nous ne sommes pas des dieux. On ne peut pas tout anticiper, c’est au-dessus de nos forces. Et même si on l’avait pu, on n'aurait pas été préparés à une attaque d’une telle ampleur.” Il reste convaincu qu’ils n’auraient rien pu faire. Il n’y a que le Professeur qui aurait pu prendre le contrôle sur le mental du kamikaze et l’empêcher de tout faire exploser. Les X-Men se seraient contentés d’épargner le plus d’innocents possible. Mais qu’est-ce qu’ils auraient pu faire contre une attaque électrique de cette ampleur ? Rien. Ils auraient été blessés. Même davantage touchés. Même davantage blessés. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient pour évacuer les victimes. Ils se sont assurés de les emmener jusqu’à la sortie. C’est déjà beaucoup.
Il jette un coup d’oeil à travers le bouclier pour s’assurer qu’ils sont plus ou moins tranquilles. Pour l’instant, il n’y a pas de menace directe. Si ce n’est les flammes qui continuent de ronger la glace. Mais ça peut attendre encore quelques secondes. Il prend une inspiration. “Ce n’est pas la blessure qui me hante… j’ai voulu retourner dans un centre commercial l’autre jour. Je n’ai pas réussi à aller jusqu’au bout.” Il ne précise pas que c’est parce qu’il a croisé un fantôme. Il ne précise pas qu’il a failli mourir. Une nouvelle fois. Elle ne le laisserait plus jamais quitter la X-Mansion sans surveillance. Pire qu’une mère-poule. Il le lui dira peut-être un jour. Pour l’instant, il se contente de garder le silence sur cet épisode. Il se concentre sur la situation. Sur Alcatraz. Sur l’attaque qu’ils subissent. Il a trouvé une piste. Il a peut-être un plan. Il baisse le regard sur Snow. “Est-ce que tu peux faire une diversion avec la neige ? On pourrait créer une forme animée pour attirer l’attention ailleurs et attaquer par derrière.” Un espèce de bonhomme de neige qui s’animerait et s’articulerait. Une espèce de silhouette vivante qui attirerait l’attention sur elle. Ce serait un bon début pour contourner le danger.
« This is the end Hold your breath and count to ten Feel the earth move and then Hear my heart burst again. » - Skyfall, Adele.
I
ls ont fait ce qu’ils ont pu, c’est vrai mais Snow ne parvient pas à s’empêcher de culpabiliser, comme si Bobby s’était mis à déteindre sur elle. Son image la hantait aussi sûrement que l’odeur de brûlé, que le goût de sa peau ou ce sang sur ses mains. Tout s’était mélangé, associant les instants de bonheur avec les moments d’horreur, ruinant l’idylle sur une fragrance de souffre. Elle ne se retournait plus sur leur histoire qu’avec le goût d’une erreur, de quelque chose qu’elle aurait raté, déchiré, abîmé, comme chaque homme entré dans sa vie. Elle se sentait fautive, ne dédouanant pas entièrement Bobby mais s’accusant d’une imperfection crasse et d’une incompétence cruelle. Il n’a pas pu retourner dans un centre commercial, ou du moins s’est-il retrouvé d’une manière ou d’une autre à rebrousser chemin. « Pourquoi ? » la question est venue naturellement et si ça n’était pas l’endroit idéal pour discuter, elle trouvait cela plus simple lorsque son esprit était occupé à penser à se défendre plutôt qu’à s’en vouloir. Elle n’aurait rien pu faire pour eux, elle n’aurait rien pu sauver parce qu’il aimait Malicia, c’était aussi simple que cela, et le serrer dans ses bras après avoir manqué le perdre n'aurait pas soigné leurs coeurs. « Est-ce que tu peux faire une diversion avec la neige ? On pourrait créer une forme animée pour attirer l’attention ailleurs et attaquer par derrière. » Il y a les flammes, quelque part. Il y a le feu qui ronge la glace mais la source semble plus éloignée et Snow est parfaitement incapable de déterminer si le mutant responsable est devant ou derrière eux.
Elle obéit pourtant. Elle s’approche du bord du bouclier pour forger une forme humaine, une silhouette féminine qu’elle bouge comme on manipulerait une marionnette. Elle ne sait pas bien si c’est utile. Si elle a demandé à emprunter sa glace pour forger la bulle, c’est parce qu’elle sait combien il peut lui devenir difficile d’en émettre lorsque la forme liquide prend le dessus. Elle se sent telle une cryokinésiste en sursis. Ca va aller, elle peut gérer, si le feu dévore, elle survivra. Elle ne doit pas trembler devant un souvenir, n’est-ce pas ? Ils ne peuvent pas se laisser dévorer par le passé, c’est comme ça.
Le bouclier s’effondre, craque et s’évapore. La marionnette disparaît quand la silhouette aqueuse remplace la peau, protection contre laquelle elle ne peut rien, contre laquelle elle ne sait pas lutter. La diversion a eu le mérite d’écarter d’eux la plupart des ennemis lambda. Reste la démarche trop familière de Pyro. Reste sa chaleur étouffante qui fait reculer Snow. Il était donc devant, pas derrière. Il est donc programmé pour s’en prendre à eux, malgré la ruse. John, la méthode brutale, leur Nemesis par nature, et si Bobby a appris depuis longtemps à ne pas se laisser impressionner, ça n’est pas son cas. Est-ce qu’elle peut s’évaporer ? Est-ce qu’elle peut juste disparaître ? Elle finit par se dissimuler derrière l’homme de glace, le rythme cardiaque en proie à un affolement incontrôlable. Elle n’a jamais été qu’une victime face à lui, de la même manière qu’elle l’avait été avec Axel. Pauvre petite fille incompétente.
Elle disparaît, la flaque s’échappe, semble prendre la fuite. Si on n’agit pas ensemble, on perd a-t-elle souligné. Et elle se sermonne. Elle se sermonne durant cette foutue minute qui s’écoule avant qu’elle ne reprenne forme juste derrière l’assaillant pour coller une main aqueuse dans le dos du pyrokinésiste. Combien de fois s’est-elle répétée Je n’ai pas peur entre l’instant de ce contact contre l’hologramme et le gel qui l’a figé, entièrement, statue glacée dans le décor de chaos ? Trop de fois. Et elle a toujours peur. Il aurait été réel qu’elle n’aurait jamais eu ce courage.
« On ne tourne jamais le dos à l’ennemi, chérie. » Elle a traversé la distance dans un vol plané qui aurait pu être mémorable s’il n’avait pas été douloureux et l’atterrissage aux pieds de Bobby s’est fait dans un craquement sonore dérangeant. La combinaison blanche, les cheveux blonds et le regard froid sont aussi familiers qu’atrocement perturbants. Ils rejouaient une pièce de théâtre glauque, un souvenir qu’on aimerait relayer dans un cachot, l’y enfermer à double tour. La Prudence en combinaison noire venait de se faire évincer par son propre passé avec une facilité déconcertante. « Laisse donc jouer les grandes personnes. » Cérébro n’avait jamais joué à ce jeu là. Cérébro n’avait jamais ramené à la vie cette donnée, pour la simple et bonne raison qu’elle ne devait pas faire partie de son équation mais de celle du psychologue. Charmant. Vraiment. Si Snow essayait de se souvenir ce qui suivait son propre échec à cette époque, la douleur dans son poignet l’empêchait surtout de réfléchir. Ca allait passer. Il lui suffisait de retrouver sa forme aqueuse, si elle en trouvait le courage. Il lui suffisait de refroidir pour être son propre liquide de soin. La théorie était sympathique : en pratique, elle ne parvenait pas à grand chose.
“Pourquoi ?” Une très bonne question. Pourquoi est-ce qu’il n’est pas allé jusqu’au bout de sa démarche. Il aurait pu. Il était bien parti. Il était à deux doigts d’y arriver. Mais il a fallu qu’un visage familier se dresse sur sa route, qu’un politicien meurt. Il a fallu qu’il laisse parler son coeur et peut-être, qu’il se trouve une excuse pour ne pas aller jusqu’au bout. Il ne peut pas en parler à Snow. Pas tout de suite. Pas tant qu’il n’a pas décidé de la marche à suivre. Il lui faut encore du temps pour prendre une décision. “J’ai eu un petit contre-temps. Rien de grave.” Un contre-temps qui en a eu après sa vie. Un contre-temps qui a failli le tuer. Un contre-temps qui fait resurgir des émotions, des souvenirs. Un contre-temps dont il se serait bien passé. Mais on ne choisit pas toujours. Sinon, ce ne serait pas un contre-temps. Il préfère se concentrer sur le moment présent. Sur cette simulation qu’ils doivent terminer, s’ils veulent sortir de là. Sur cette simulation qu’ils doivent réussir, si Snow veut être certaine qu’il est dérouillé. Il lui propose une idée. Quelque chose de simple et de compliqué, en même temps. Elle a l’habitude de créer des formes avec sa glace. De sculpter à même sa mutation. Elle n’a encore jamais articulé une de ses formes pour lui donner la vie. Il ne s’essaye pas à cet exercice. Elle a bien plus d’expérience. Il se concentre plutôt sur le maintien du bouclier. Sur l’avancée de la situation. A travers la glace, il voit les silhouettes s’éloigner. Se rapprocher de la création de Snow. Bien. Très bien. Au moins, ça fonctionne. Mais d’un coup, leur protection disparaît. Détruite par un manque de concentration. Il se tourne vers son acolyte pour s’assurer qu’elle va bien. Elle a l’air d’avoir vu un fantôme. Du genre vieux démon qui ne vous lâche pas. Pyro. Il se dresse sur leur passage comme un obstacle à franchir. Cerebro veut qu’ils l’affrontent. En tout cas, que Snow l’affronte. Pour Bobby, la méthode est déjà connue. Il s’en souvient parfaitement. Ce moment où les flammes lèchent sa peau et forcent la glace à le protéger. Ce moment où la chaleur est étouffante et où la glace semble étouffer sous le feu. Et puis, le corps glacé. Ce moment où il lui suffit de se redresser, de saisir ses poignets pour arrêter l'incendie. Pour couper les flammes. Aussi simple que cela. Aussi simple que la glace. Affronter un ami est la pire chose qui puisse arriver. Surtout quand on est jeune. C’est une trahison, une blessure, un défi. Il y est parvenu.
Bobby le dévisage. Pyro n’a pas pris une ride. Il a toujours la même coupe affreuse. Il a toujours son regard mauvais. Il a toujours son sourire sadique. Il est resté jeune pendant que Bobby vieillissait. Sauf que la personne qui se trouve devant lui n’est qu’un hologramme. Une représentation de ses souvenirs. Il l’imaginerait avec des cordes que Cerebro les ferait apparaître. Derrière lui, il sent Snow. Cachée. Camouflée. Protégée de sa grande peur. Il ne se décale pas, sachant très bien qu’elle cherche un endroit tranquille où se réfugier. Un endroit tranquille où chercher le courage d’agir. Pyro n’attend pas. Alors, Bobby choisit d’agir. De l’occuper. De le retenir. Pas de l’abattre. Pas de s’en débarrasser. Ce n’est pas à lui de le faire. Ce serait trop facile, sinon. Il dresse la main pour l’attaquer avec le givre. Comme autrefois. Pyro y oppose ses flammes. Un duel d’éléments. Une confrontation entre le chaud et le froid. Bobby n’a plus la peur qu’il pouvait ressentir en étant gamin. Il n’a plus cette crainte de blesser un ami. L’homme qui lui fait face à depuis longtemps cessé de l’être. Il y avait toujours de la méchanceté, de l’agressivité et de la violence en lui. Au contact de Magneto, ce sombre potentiel s’est développé, s’est dévoilé. D'un coup, Snow apparaît dans le dos du mauvais mutant. Alors, Bobby peut arrêter. Il peut stopper sa glace pour la laisser agir librement. L’hologramme disparaît, battu par un élément plus fort que le sien. Elle a réussi. Elle est parvenue au bout de son combat intérieur. Il esquisse un sourire. Il fait un mouvement de la tête. Elle est douée. Elle doit juste vaincre sa peur. Dit ainsi, cela semble terriblement simple. Et ça l’est. Quand on a la force mentale et le courage nécessaires. “On ne tourne jamais le dos à l’ennemi, chérie.” Snow est projetée dans les airs. Froidement. Violemment. Il fait un pas en avant. Il crie un ‘Snow’ perdu dans le bruit de la bataille. La scène est atroce. La scène est effrayante. Un cauchemar réel. Cerebro a perdu la tête. C’est ce qu’il pense. C’est ce qu’il imagine. Elle atterrit. Vulgaire poupée de chiffon. Vulgaire jouet. La glace cède la place à la chair. Il n’est plus qu'un homme. Il s’agenouille à ses côtés. Il passe un bras dans son dos pour la redresser. Pour s’assurer qu’elle va bien. Pour vérifier qu’elle n’est pas blessée. “Est-ce que ça va ?” Les dommages causés par la Salle des Dangers peuvent être fictifs ou réels. Mais après une chute pareille, ses douleurs ne peuvent qu’être vraies. Le regard posé sur elle est trop inquiet pour que ce soit celui d’un simple psychologue. Un regard semblable à celui qu’elle a posé sur elle au centre commercial. Il la quitte des yeux. Pour les poser sur la menace directe. La responsable de ce vol plané.
Il se fige. Son vieux démon. Ce n’est pas tant de la peur qu’il a. Parce qu’il sait ce dont elle est capable. Il sait qu’elle peut lui geler le coeur. Il sait qu’elle est intrépide, sans limites. Rien ne peut l’arrêter. Sauf quelqu’un de plus fort qu’elle. Il reprend sa forme glacée. Il repose la X-Woman sur le sol. Doucement. Délicatement. Et il se relève. Déterminé. En colère, aussi. Cette silhouette blanche, représentation d’une Snow Queen d’un autre temps, avait été sa première confrontation avec la cryokinésie. Une même mutation aux propriétés et aux capacités différentes. Elle avait touché là où ça faisait mal. Le coeur. S’insinuant dans son corps. Lui opposant son propre élément. L’arrachant à la vie par le froid. Il était parvenu à s’en sortir. De justesse. Se protégeant avec une faculté qu’il venait tout juste de découvrir. Et les revoilà. Cette menace a continué de planer. Au fil des rencontres. Puis, quand elle est arrivée à la X-Mansion. Enfin, il y a encore quelques semaines. Un traumatisme. Une réelle peur. Mourir par le froid, alors que l’on est le froid. Un comble. Un échec. Il n’a pas peur. Parce qu’il sait ce qui se cache derrière cette dureté, cette insensibilité. Déjà à l’époque, il voulait y croire. Il voulait penser à sa générosité, à sa bonté, à sa gentillesse. L’histoire lui a prouvé qu’il avait raison. Non, il n’a pas peur. Il a appris à gérer ses attaques insidieuses. Il a appris à les contrer. Il a appris à s’en protéger. Mais ce qui lui fait peur, c’est de s’en prendre à Snow. De dévoiler une rancoeur profonde. De se découvrir des instincts violents, meurtriers, envers elle. Envers la version réelle qui est à ses pieds. Tuer Snow Queen serait comme tuer Snow. Ce serait lui refuser toute chance de devenir meilleure. Cerebro est bien loin de ces considérations. Ou alors, peut-être que si. Un jour, Bobby devra peut-être affronter Snow. Peut-être qu’ils devront se battre l’un contre l’autre. Comme au bon vieux temps. Et alors là, l’hésitation ne pourra plus avoir lieu. Finalement, il n’a pas peur de Snow Queen, il a peur de lui-même. De blesser la Snow qui sommeille en son adversaire. De déborder et de perdre le contrôle. “Laisse donc jouer les grandes personnes.” Son ton froid lui rappelle de mauvais souvenirs. Des combats où il essayait de dialoguer, de comprendre. Des phrases cinglantes et cruelles qu’elle lui balançait. Des moments qu’il préfère oublier, mettre de côté. Snow a réussi à se défaire de Pyro. Il doit réussir à se débarrasser de la Confrériste. Il peut le faire. Il l’a réussi de nombreuses fois. Sans jamais aller jusqu’à la mort, cependant. Il contourne la X-Woman pour se déplacer lentement. Pour s’éloigner de Snow, tout en la gardant à l’oeil. Pour se rappeler que ce n’est pas elle qu’il va affronter, seulement son double diabolique. Il ne veut pas faire la discussion à Snow Queen. Il ne veut pas qu’elle essaye de rentrer dans sa tête ou qu’il se court-circuite lui-même. Plus il attendra, plus difficile ce sera. Il n'a jamais vraiment tenté de la battre. Il n'a jamais établi de stratégie. Lui offrant seulement la glace à l'état pur, à chaque fois. Pas aujourd'hui. Il fait naître un premier mur de glace grâce à son givre. Juste le temps de l’occuper pour qu’il se déplace librement, pour qu’il s’élève sur son surf de glace et qu’il l’attaque d’en-haut. Elle peut le sentir à sa température, il le sait. Raison pour laquelle il brouille les pistes avec un mur de glace. Aussi froid que lui. Un mur qui subit les offensives de Snow Queen. Dès qu’il est à découvert de sa construction, il s’empresse d’attaquer l’hologramme. De lui opposer leur élément. Il lui tourne autour, sans jamais faiblir, sans jamais baisser en intensité, sans jamais ralentir. Bientôt, les traits de Snow Queen se couvre de givre, puis de glace. Il n’y a qu’à un moment où il doute, il hésite. Il a retenu ses coups tant de fois. Il a diminué sa puissance à plusieurs reprises. Il n’est jamais allé jusqu’au bout. Il a finalement balayé ses inquiétudes. Ce n’est qu’un hologramme. Alors, il peut continuer. Il peut sortir toute la haine, toute la colère, toute la rancoeur qu'il peut avoir contre la Confrériste. Une personne qui s'est tant amusée avec son coeur. Une personne qui a trouvé tant de plaisir à le voir souffrir. La fausse Prudence finit par exploser, disparaître. Vaincue.
Il y a une sorte de soulagement à le constater. A s’être débarrassé d’elle. Fini la peur d’avoir le coeur gelé. Fini la peur de cette combinaison blanche. Il revient sur la terre ferme. Il prend quelques secondes pour récupérer son souffle, pour se libérer de ses émotions. Il rejoint finalement la X-Woman, tandis que le décor disparaît. Simulation terminée. “Ne m’oblige jamais à te tuer, d’accord ?” Cette unique fois est suffisante. Il n’a pas besoin de le vivre réellement. Il n’a pas besoin de vraiment la geler. Il a juste besoin de la savoir de son côté. Il a juste besoin de la savoir bienveillante. Rien de plus. Il pose un regard inquiet sur le poignet qui semblait la faire souffrir tout à l’heure. “Ça va ton poignet ou il faut aller à l’infirmerie ?” Elle se régénère, mais il sait combien il est difficile de changer de forme quand on souffre. Il n’a pas tellement suivi ce qu’elle faisait pendant qu’il s’en prenait à sa version démoniaque. Trop absorbé par son combat contre lui-même. En relevant les yeux de son poignet, il croise son regard. Un regard bleu. Un regard tellement plus chaleureux que celui qu'il a vu tout à l'heure, en affrontent à Snow Queen. Un regard qu'il apprécie toujours autant.
« But I'm only human And I bleed when I fall down I'm only human And I crash and I break down Your words in my head, knives in my heart You build me up and then I fall apart 'Cause I'm only human » - Human, Christina Perri.
F
aire face à soi-même n’est pas l’expérience la plus simple à gérer. Il y a quelque chose d’horrible à revoir ce monstre de sang froid et de détachement, cette étrange créature sans amour et sans compassion. Et il y a des remords sans fin quand elle constate la colère de Bobby, ce qu’il dégage en luttant contre cette Snow Queen pour qui le terme ‘pitié’ ne fait pas partie du dictionnaire. Il la déteste, par tous les pores de son corps de glace. Il la déteste, jusqu’au fond de son regard et elle ne peut plus rien contre cela, parce qu’elle l’a maltraité durant des années, parce qu’elle a été cet être qu’elle hait à son tour. Non, elle ne la hait pas, elle la craint. Prudence craint l’obscurité de son esprit, ce qu’il peut en résulter lorsque la glace comprime le coeur jusqu’à le figer dans l’infinie indifférence. Son manque d’empathie passé est encore là, à la surface, lorsqu’elle se sent blessée ou impuissante. Vaut-elle mieux que cette jeune femme là ? Celle qui, à dix-huit ans à peine, avait déjà la mort au bout des doigts ? Toujours au sol, le poignet cassé, elle fixe le spectacle sans être capable d’agir, vieux cauchemar que Cérébro fait renaître. Bobby avait sans doute raison : ils ne pourraient jamais plus être ensemble, ils ne le seraient plus non pas parce qu’il pourrait la briser mais parce qu’elle pourrait le tuer, dans un moment d’égarement. Elle pourrait arracher de sa poitrine un dernier souffle glacé, en le regardant dans les yeux, sans trembler ni hésiter. Cette partie d’elle, si mauvaise, pourrait resurgir et il la déteste. Elle sait qu’il ne supporte pas ce qui se cache au fond des tiroirs sombres de son esprit, derrière les barrières de Charles Xavier, derrière la retenue à laquelle, parfois, elle doit se forcer. En voyant l’hologramme exploser et disparaître, elle a l’impression que c’est elle qui vient d’être détruite, si bien qu’elle en a oublié son poignet, qu’elle a laissé la douleur de côté.
« Ne m’oblige jamais à te tuer, d’accord ? » Il est soulagé d’un poids. Elle en ressent à nouveau un, étouffé sous son manque de réaction. Il a déchargé cette rancoeur, il a vaincu quelque chose qui dormait dans ses souvenirs. Elle réalise tout le mal qu’elle a pu lui faire, cette menace toujours au-dessus de lui, à attendre un instant de faiblesse pour geler le myocarde agité, à souffler cette neige virevoltante pour détourner l’attention. Elle comprend qu’il est passé au-delà de ces évènements pour l’aider, dans une négation absolue de lui-même. Ca lui arrache un frisson d’effroi. « Ça va ton poignet ou il faut aller à l’infirmerie ? » Le regard croise celui, si clair, du psychologue. Mille pardons dans le fond des prunelles trop bleues, mille confessions muettes au bord de ses lèvres entrouvertes.
Gémissement douloureux lorsque l’eau prend le pas sur la chair, lorsque le corps refroidit, formant des éclats glacés à la surface. Deux ou trois fois. Instabilité criarde. L’os retrouve sa place avec douleur quand, finalement, le corps se fixe, retrouve un semblant de normalité. Physiquement, elle va bien, elle régénère. N’est-elle pas le liquide froid ? Elle n’était toutefois pas prête à parier qu’un trou béant dans la poitrine se serait refermé de cette manière.
La blonde se relève sans trop de mal, s’appuie contre le mur le plus proche pour reprendre l’habitude de respirer, pour inspirer l’air qui semble lui manquer. Angoisse montante. « Tu la détestes.. » Ca n’est qu’un souffle, l’ombre d’un sombre constat. Il a arraché du silence tout ce qu’elle pense qu’il tait depuis trop longtemps. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il était parti et pas vraiment pour Malicia, pas vraiment pour protéger l’amour de sa vie mais pour se protéger lui-même de ce qu’elle pouvait être. « .. tu me détestes. » La différenciation ne se fait plus. Il avait peut-être fait d’elle quelqu’un de meilleur mais cette simulation lui rappelait qu’elle n’était qu’un fragment, qu’un éclat de la personne totale, beaucoup moins douce, beaucoup moins aimante. Elle n’était qu’un éclat lumineux dans toute la cruauté dont elle pouvait être capable si on se mettait en travers de sa route. Ils s’étaient disputés, ils ne s’étaient pas accordés parce qu’il ne pouvait pas accepter la totalité de sa personnalité, y compris celle qui avait été élevée par Mystique, celle dont on ne pouvait pardonner ni les réflexes ni les opinions tranchées.
La programmation de Cérébro avait extirpé de vieux démons. Les X-Men n’étaient-ils pas sensés résister à tout, même aux attaques psychologiques, même à ce qui se cachait dans le fond de leurs pensées ? La déflagration gelée cristallise les molécules de l’air, relâche avec violence une pression dont elle n’était pas conscientes. Il y avait trop de remords, trop de regrets, trop de choses à taire, trop de peur à tuer.
Fuir. C’est tout ce qu’elle a en tête. Sortir de là. Elle reconstitue le masque du calme assez de temps pour sortir de la Danger Room vidée de tout décor. Elle va se glisser dans les vestiaires, s’asseoir à même le sol, se cacher derrière une porte et ne plus bouger. Retrouver une paix relative, c’est tout ce qui compte. S’éloigner de cet amour déraisonnable dont se défaire est le pire défis qu’elle ait à relever. Snow n’a jamais été assez bien pour cet homme profondément généreux, doux et compréhensif. Elle n’a jamais été à la hauteur de son affection et de sa bienveillance parce qu’elle serait toujours, quelque part, la Snow Queen à la combinaison blanche et au regard de glace. Lui demander pardon ne suffirait pas. S’éloigner était difficile. Elle était parvenue à jouer sa partition à merveille, jusque là, les notes de l’amitié capable d’écouter et de comprendre. Elle y arriverait à nouveau. Juste quelques minutes. Juste quelques petites minutes pour retrouver la clé, pour aligner la factice mélodie de la femme assurée qui tourne la page. Il n’insistera pas : il la déteste, n’est-ce pas ?
Il ne voit pas tout de suite le changement dans son regard. Trop soulagé d’avoir vaincu son propre démon. Trop heureux d’être capable de se débarrasser d’une Snow Queen trop encombrante. Trop content d’avoir vaincu un traumatisme. Il n’aura plus peur à l’avenir. Si Snow doit lui geler le coeur. Si elle doit s’amuser à utiliser sa mutation sur lui. Il ne sera plus marqué par ce fantôme blanc. Il ne sursautera plus lorsqu’elle s’habillera de blanc. Il ne sera plus tendu quand il sentira son souffle froid geler son sang. C’est fini. Il sait comment s’en protéger. Il sait qu’opposer la glace à la glace est la seule solution. Et la confiance. Une incroyable confiance en elle. Elle ne le lui fera plus, à moins de l’avoir mérité. À moins de l’avoir fait souffrir. Ce qui n’arrivera plus, non plus. Il s’en est fait la promesse. Ce n’est que lorsqu’elle ignore sa question, qu’elle passe d’un état à l’autre et qu’elle se réfugie contre le mur qu’il comprend qu’elle ne va pas bien. Qu’elle est touchée. La raison, il ne la saisit pas. Il n’a pourtant rien fait. Il la dévisage. “Tu la détestes..” Il fronce les sourcils. Détester est un grand mot. Il n’a jamais connu Snow Queen, sauf comme une combattante. Il ne l’a jamais jugée, il ne l’a jamais considérée comme une personne détestable ou adorable. Ils n’ont jamais pris le temps de discuter à une table, tranquillement, posément. Ce n’était pas possible. Mais il a toujours vu de la bonté en elle. Il a toujours cru qu’elle ferait de plus belles choses, si seulement elle se libérait de l’emprise de la Confrérie. Il ne l’a jamais détestée. Si il est allé jusqu’au bout aujourd’hui, c’est parce qu’il le devait. Elle ne l’aurait pas laissé tranquille si il ne l’avait pas fait. Elle s’en serait prise à Snow. Elle aurait usé de ses faiblesses contre lui, jusqu’à le pousser à bout. Jusqu’à le forcer à se bouger. Il faut faire des choix. Sauver un proche ou le laisser périr. Il a choisi. C’était Snow Queen, mais ça aurait pu être n’importe qui. “.. tu me détestes.” Ses épaules s’affaissent. La douleur vrille dans son coeur. Comment peut-elle penser une chose pareille ? Elle ne voit donc rien ? Absolument rien ? Même pas ses regards. Même pas ses attentions. Même pas son inquiétude. Il lutte tous les jours contre ses sentiments à son égard. Parce qu’il lui a promis de ne plus la blesser. Parce qu’il lui a promis qu’il ne jouerait plus avec son coeur. Mais c’est avec le sien qu’il joue. Il martyrise son propre myocarde, le frustre, le rend malheureux. Dans le vain espoir que Snow retrouve le bonheur ailleurs. Il tente de s’effacer pour lui donner la chance de vivre une vie heureuse. Une vie qu’il n'a pas réussi à lui offrir parce qu’il a été con. Elle ne voit rien. Aucun de ses efforts. Aucun de ses gestes. Elle n’entend même pas ses mots, ses paroles. Totalement hermétique.
La détester. Cette idée ne lui viendrait même pas à l’esprit. Alors, pourquoi le penser ? La Snow Queen qu’il a affronté n’a rien à avoir avec la Snow qui est devant lui, blessée, touchée. Une Snow qui essaye de faire bonne figure. Comme d’habitude. Forte. Insensible. Elle peut jouer la comédie autant qu’elle le souhaite, Bobby n’est pas aveugle. Elle s’enfuit. Abandonnant les restes de son ancienne vie pour vivre avec l’idée qu’il pourrait la tuer. Faux. Totalement faux. Il ne pourrait jamais le faire. Il ne pourrait jamais lever la main sur elle. Il ne pourrait jamais observer la lueur de vie s’éteindre. Il ne pourrait pas la tuer. En le pensant, elle leur fait du mal à tous les deux. Elle les blesse. Elle les heurte. Elle les condamne. Il la rejoint dans le couloir. Il enchaîne les pas pour l’atteindre. Pour attraper son bras. Pour la retenir. Elle ne peut pas le penser. Elle ne peut pas le croire. Elle ne peut pas l’accepter. Il ne la laissera pas faire. “Comment tu peux croire une seule seconde que je te déteste, Snow ?” Finalement, c’est la colère qui éclate. Parce qu’elle le blesse en le pensant capable de la haïr. Parce qu’elle le touche en imaginant qu’il ne peut pas l’aimer. Il a envie de lui hurler toute sa colère. Toute son impuissance. Toute sa frustration. Il a envie de lui exprimer tout son désarroi. Il ne sait pas quoi faire quand il s’agit de Snow. Il ne sait jamais comment se comporter, comment agir. Il ne sait pas si il doit se tenir éloigné ou si il doit être proche d’elle. Il ne le sait jamais. Toujours entre deux extrêmes. Toujours entre deux positions. Aujourd’hui, il ne choisit pas. Il laisse simplement exploser. En se fichant de la distance. En se fichant des mots. En se fichant de tout. Tant pis qu’ils soient dans le couloir. Tant pis si ils peuvent être surpris, entendus, observés. Il s’en fiche tellement. Tout ce qui compte, ce sont les deux prunelles au bleu surchargé. “Arrête de penser que je ne peux pas t’aimer ! Arrête, je t’en prie…” La suite s'évanouit. Les mots ne sortent pas. Les mots restent bloqués dans sa gorge. Il ne peut pas le lui dire. Il ne peut pas. Il se détesterait de lui dire qu’il peut encore y avoir quelque chose entre eux, alors que la première fois, il lui a brisée le coeur. Alors que la première fois, il a été sans pitié. Il ne peut pas lui faire ça. Il lui lâche enfin le bras. Mais il se rapproche. Au plus près. Pas pour la menacer. Juste pour retrouver cette proximité qu’ils avaient. “Je t’ai promis de ne plus te blesser. Peut-être que je m’y prends mal, peut-être que je suis un crétin de première… j’en sais rien !” Qu’est-ce qu’il en sait ? Il n’a pas d’expérience. Il n’a pas d’histoires remarquables. Il a seulement eu des histoires d’adolescent, avant de passer à une longue histoire qui n’a été qu’une question de privation et de jalousie. Et puis, il y a eu Snow. Il a tué Snow Queen. Oui. Elle s’en est prise à quelqu’un qu’il aime. Elle a essayé d’atteindre une faiblesse. Il ne pouvait pas rester les bras ballants. Il a protégé Prudence. Il l’a protégée d’elle-même. Il a fait le nécessaire pour sauver une vie.
Il est censé être doué pour guider les autres. Il est censé arriver à orienter les gens, à les faire parler, à trouver des solutions. Il est censé être le guérisseur du cerveau. Il n’est rien de tout cela avec lui-même. Il n’est qu’un homme qui affronte des sentiments contradictoires. Un homme qui veut protéger celle qu’il aime de ce qu’il est capable. Il pourrait lui piétiner le coeur une deuxième fois. La première, il a failli la perdre. Elle a failli partir, tout laisser en plan. Elle s’est raccrochée de justesse. Il ne peut plus faire la même erreur. Il ne peut plus ravir son coeur et le lui rendre en piteux état. “Tout ce que je sais, c’est que je tiens à toi.” Quelqu’un l’aime. Quelqu’un tient à elle. Est-ce si dur à concevoir pour Snow ? Elle connaît l’amour des enfants. Elle connaît l’affection de quelques Confréristes. Elle connaît l’amitié d’Aneliese. Elle sait ce que c’est. Sauf quand il s’agit de Bobby. Deux incompétents des émotions quand ils sont ensemble, dans la même pièce. “Alors, je t’en supplie… arrête.” Il n’en peut plus de la voir se déprécier. Il n’en peut plus qu’elle se déteste et qu’elle se pense détestée. Il en a assez. Tout doit cesser. Maintenant.
« But I'm only human And I bleed when I fall down I'm only human And I crash and I break down Your words in my head, knives in my heart You build me up and then I fall apart 'Cause I'm only human » - Human, Christina Perri.
B
obby l’empêche de fuir, il l’attrape par le bras et l’arrache à son espoir de disparaître, la retient à sa peau, l’attache à ce coeur qui bat trop vite et menace d’éclater, de briser tous les efforts faits jusque là. « Comment tu peux croire une seule seconde que je te déteste, Snow ? » La tension à fleur de peau. Il est en colère, il laisse éclater ce qui ronge, les sentiments s’engouffrant dans les failles. Et Snow ne voit rien. Elle est aveugle à sa douleur parce qu’elle étouffe la sienne, parce qu’elle se soigne avec les enfants, parce qu’elle tue dans l’oeuf les désirs de révolte. Comment est-ce qu’elle peut croire qu’il la déteste ? C’est ce qu’elle voit, c’est ce qu’elle perçoit quand il la repousse, quand il devient le professionnel distant, chaque jour un peu plus. Elle l’aime comme elle n’a jamais aimé personne mais la réciproque n’est pas vraie. « Arrête de penser que je ne peux pas t’aimer ! Arrête, je t’en prie… » Un non de la tête. Elle ne peut pas. Il a les mots au fond de la gorge mais elle a les larmes coincées dans le froid de ses yeux. Il n’y a plus rien à pleurer, elle a déjà trop versé de larmes inutiles. Il n’y a que cette rancoeur innommable qui surgit de l’ombre. Il n’y a que l’infinie amertume qui se défait de ses silences. « Tu oses poser la question ? » Le ton est dur. Il n’y a plus la douceur de la femme aimante, il n’y a que le fantôme de cette Snow Queen qu’il vient de terrasser. Elle n’est jamais qu’un être humain, elle ne peut pas résister à toutes les tempêtes sans en payer le prix. Et son ouragan le plus violent se trouve au fond des prunelles claires de Bobby Drake.
« Je t’ai promis de ne plus te blesser. Peut-être que je m’y prends mal, peut-être que je suis un crétin de première… j’en sais rien ! » Il s’y prend de la pire façon et elle se défait de sa prise, elle se défait de sa présence en reculant d’un pas, sur la défensive, les paumes dégageant une aura de glace, de ce froid perceptible à l’oeil nu. « A quoi est-ce que tu t’attendais ?! Je ne suis pas Malicia. » Chaque syllabe s’est détachée des autres, a été prononcée de sorte qu’elles soient toutes décryptées par l’oreille qui devait les recevoir. Toute sa colère envers la brune pouvait paraître injustifiée mais dans les blessures du coeur, le rationnel n’avait pas toujours sa place. « Je ne romps pas, je ne remplace pas et je n’oublis pas. » Il devait le savoir, il était là lorsqu’elle s’est souvenue d’Axel, de cet homme violent qu’elle a tout de même voulu sauver, pour qui son inconscient a continué à culpabiliser. Elle a parfois de l’admiration pour Malicia, si apte à donner l’image d’une page tournée. Elle n’est pas télépathe, elle ignore s’il s’agit d’une vérité ou d’un jeu d’apparences. « Tout ce que je sais, c’est que je tiens à toi. » Les yeux trop bleus détaillent le visage masculin dans une violente incompréhension, la perdant entre les extrêmes de ses sentiments. « Alors, je t’en supplie… arrête. »
« Toi, arrête ! » Elle a presque crié. Le ton est monté pour le faire taire, pour qu’il cesse cette absurdité sans nom. « Arrête de me repousser, arrête de me montrer cette indifférence, arrête de me fuir et arrête de tenir cette promesse absurde ! » La température descend, elle chute drastiquement autour d’eux, ne passe pas les degrés de transition, comme si elle était en train de figer l’instant, de les figer eux dans un décor où chaque souffle émet de la buée, témoigne de leur état. « Fais un choix Bobby. Fais-le. » C’est un ordre, c’est une supplique, c’est toute la douleur qu’elle ressent dans ces quelques mots. Les seules larmes qui s’échappent se cristallisent sur ses joues. Elle est devenue aussi froide que l’environnement mais elle ne tremble pas, si ce n’est de colère, si ce n’est de révolte. « Tu veux me protéger ? Embrasse-moi. Dis-moi ce que tu ressens vraiment ! » Ca la libère. La pression s’évapore doucement autour de ses poumons, elle relâche ce qu’elle contient depuis des semaines. Peut-être que c’est brutal, peut-être que c’est un peu trop le mélange du passé et du présent mais c’est finalement ce qu’elle est. « J’en ai rien à foutre que tu partes un jour, que ça ne dure pas toute la vie, que tu puisses arrêter demain ou dans dix ans. Tu sais pourquoi ? Parce que je te veux toi, et personne d’autre, avec tous tes doutes et tes défauts. » Elle s’est adoucie. Progressivement, la voix a repris des teintes plus familières, une sorte de tendresse. « Je.. je veux bien une histoire carrément clichée ou .. attendre nos 80 ans pour prendre une décision importante. J’m’en fous Bobby. Laisse-nous une chance.. »
Il neige. C’est improbable parce qu’il fait bien trop froid pour que la neige puisse apparaître et pourtant sa cryokinésie est en train de traduire la dualité de ce qu’elle ressent. Il neige comme les enfants aiment le voir, il neige de la même manière que pour faire rêver la petite Jade. Le corps aqueux prend le dessus. La peau s’efface sous le liquide, doucement, et la combinaison fusionne avec cette forme. Elle reste là, immobile, à le regarder de ses yeux translucides. Elle a perdu le contrôle sur tous les aspects de sa mutation mais elle ne semble ni en souffrir ni en avoir honte. Elle se sent mieux. Elle se sent libérée de quelque chose de lourd et si elle est l’eau, elle sait qu’il est la glace, qu’ils se complètent et que ça n’est pas cela qui l’empêchera d’agir dans un sens ni dans l’autre. C’était sa dernière supplique, leur ultime chance. Après cela, elle ne se battrait plus, elle ne chercherait plus à vaincre ses réticences. Elle vivrait juste avec cette attraction étouffante. Inutile de lui dire qu’elle l’aime, il le sait et les mots sur sa langue ne veulent plus glisser. Elle laissait entre les doigts de Bobby les éclats de son coeur en morceaux. Et qu’est devenue la reine des neiges, Prudence ? lui avait-on un jour demandé. Pouvait-elle encore répondre qu’on l’avait simplement oubliée ?