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 Keep a tender distance [Sirgo McTurner]

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Marry me a little

Avec Simon McDermott


"Marry me a little
Love me just enough
Cry, but not too often...
"


Malgré les années passées, les paroles et la mélodie étaient toujours là, gravées au sein de ma mémoire. Je chantais, mais je n'étais pas sur scène. C'était à un jeune bellâtre d'assurer le rôle de Bobby, au sein de la comédie musicale Company. Je ne me donnais plus en représentation. Je n'étais plus que spectateur, désormais.

Dire que la scène ne me manquait pas serait un mensonge. J'étais né pour danser, pour chanter, pour incarner tous ces personnages sous les yeux admiratifs du public. J'y serais probablement encore, si le destin n'en avait pas décidé autrement. Si Mei n'en avait pas décidé autrement, devrais-je plutôt dire... Vengeresse petite Mei...

Une grimace déforma brièvement mon visage lorsque l'interprète de Bobby se fendit d'une mauvaise note. Il n'avait guère que ses charmes pour lui, pauvre garçon... Délicieux garçon. A défaut d'être plaisant à écouter, il était agréable à regarder. Je passais une langue avide sur mes lèvres.

Profitant d'une pause musicale, je cessais de fredonner et murmurais à l'oreille de mon garde du corps, Simon McDermott :

"La représentation achevée, j'ai dans l'intention de me rendre en coulisses afin de "féliciter" Mr Holmes pour son interprétation pour le moins orginale. Vous comprenez bien que vous devrez vous faire... discret."

Ceci déclaré, je reportais mon attention sur la représentation, fredonnant à voix basse les chansons, laissant les doux souvenirs s'emparer de mon esprit. Je pouvais me permettre de rêver : Simon était là pour me protéger.

Depuis quatre années, il était à mes côtés et il était diablement efficace. Pour preuve, j'étais toujours en vie après toutes ces années. Je ne manquais pourtant pas d'ennemis, loin de là... Mais il était expérimenté et je ne m'imaginais guère accompagné d'un autre "gorille". Celui-ci était parfait. Discret. Efficient. Que demander de plus ?

Quand la représentation fut terminée, je fus le premier à applaudir, un sourire aux lèvres. Les représentations de Broadway me mettaient toujours de bonne humeur, même si elles n'avaient pas la chance de bénéficier de mon incroyable talent et d'approcher alors de la perfection. Quel dommage... Quelle perte pour le monde du spectacle...

Prenant appui sur ma canne, je me redressai lentement, gardant mon regard sur ma cible, ce cher Mr Holmes. Il avait une certaine ressemblance avec Harry Osborn, ce même charme juvénile... Il n'était guère plus qu'un vague sosie, mais cela serait suffisant pour me distraire.

Il ne se refuserait pas à moi. Personne ne le faisait. En particulier s'ils tenaient à réussir dans le monde impitoyable de Broadway, dont je continuais à tirer les ficelles à distance...  

"Je me doute que le spectacle n'était pas des plus réjouissants pour vous, Simon. Ce pauvre Mr Holmes est bien loin d'égaler la perfection de mes vocalises. Vous aurez le privilège d'assister à votre propre représentation privée, une fois que nous serons rentrés. Il serait dommage que vous ne puissiez pas apprécier Company à sa juste valeur..."

Sur ces paroles, je lui fis signe de garder ses distances, me dirigeant d'un pas empressé jusqu'aux coulisses. J'avais une leçon à donner à ce piètre interprète... Elle serait longue. Longue, dure et impitoyable.

Mauvaise idée.

Quelque chose ne tournait pas rond. Un mauvais pressentiment... Peut-être vaudrait-il mieux rebrousser chemin. Oh, c'était ridicule. Je ne voyais pas ce qu'il pourrait m'arriver de mal dans les coulisses de cet établissement. J'étais ici chez moi. Tout le monde me connaissait et m'offrait le respect que je méritais.

J'aurais probablement dû écouter mon instinct. Retourner chez moi, effectuer ma petite représentation pour Simon et me glisser dans mon lit. Appeler un de mes petits "chéris" pour prolonger la nuit d'une façon agréable... Oui, il aurait probablement été plus avisé d'agir de la sorte.

Mais je n'eus cette pensée que bien trop tard. Le danger était déjà là, une menace discrète, silencieuse, efficace. Je n'eus pas vraiment le temps de comprendre ce qui m'arrivait. Un instant, j'étais dans les couloirs, cherchant à rejoindre la loge de Mr Holmes. L'instant d'après, j'étais agrippé par deux bras puissants, tiré dans une loge vide, un chiffon imbibé de chloroforme plaqué contre mon visage.

Je n'avais même pas pu voir son visage ni laisser échapper la moindre exclamation. J'étais probablement la proie d'un mutant, un mutant très rapide... Mes propos critiques à leur égard et ma notoriété faisaient de moi une cible idéale. Personne n'avait sûrement eu le temps de voir quoi que ce soit.

Mes doigts se détendirent et relâchèrent ma canne, qui tomba au sol dans un bruit sourd. Des étoiles défilèrent devant mes yeux. Vraiment ? C'était ainsi que tout cela allait se finir ? C'était le comble du ridicule. Largo Turner, piégé par son appétit pour la chair fraîche...

Les magazines allaient s'en donner à coeur joie. Enfin, si qui que ce soit venait à apprendre le fond de cette histoire... Peut-être que je me contenterais de disparaître. De mourir silencieusement. Sans personne pour me chercher. Personne pour réellement me regretter. Mourir. S'évanouir dans la nature. Etre oublié, peu à peu...

J'avais tenté de lutter, mais il était trop fort et le chloroforme me brûlait les sens, embrumait mon esprit, endormait mon corps. Je n'étais pas en mesure de me battre ou de m'échapper. Sans ma canne pour me soutenir, de toute manière, je n'étais pas en capacité de faire plus de quelques pas... J'étais fichu. Définitivement fichu.

Mes yeux se fermèrent et l'inconscience me saisit peu à peu. Je réalisais à peine que la porte s'était ouverte et que mon sauveur était là, prêt à intervenir...

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Largo ✧ Simon
Je me faisais chier, c’était cru et profondément grossier mais ça résumait totalement cette situation. Oh, j’avais l’habitude d’être trainé à Broadway par mon patron, ça ne m’avait pas fait plus apprécié les comédies musicales, je commençais même à avoir une envie furieuse de foutre le feu à tout le quartier pour ne plus vivre ça. Toutefois, je suis sûr que M. Turner trouvera un moyen de me trainer ailleurs contre ma volonté. Bon, je faisais mon travail et ça pourrait être dix fois pire. Mon patron était un homme détestable, arrogant et méprisant autant dire que je l’appréciais beaucoup. Et je ne le disais même pas ironiquement, je vous assure.

J’avais même fini par créer une sorte d’obsession envers lui. Pour ma défense, en 4ans de service, j’avais eu très peu l’occasion de coucher avec quelqu’un et la personne que je voyais plus de 12h par jour était Largo Turner, je commençais à être légèrement frustré. Dès que j’avais essayé d’avoir un moment pour moi, sortir dans un bar, trouver quelqu’un à ramener dans ma chambre, j’avais été interrompu. Mon patron est un homme très exigeant et il faut tout abandonner dès qu’il appelle. Frustrant. Alors, j’avais développé ma petite obsession, appelons un chat : un chat. J’étais trop professionnel pour tenter quoi que ce soit mais ce n’est pas l’envie qui me manque.

Je pouvais entendre mon voisin chantonner dans sa barbe depuis le début de la représentation et je me retrouvais là, à fixer un coin de la scène sans détourner le regard, revoyant mes choix de vie. J’aurais pu, par un concours de circonstances, être en train d’élever des lamas au Pérou, avoir un doberman, manger des escargots à Paris ou que sais-je ? A la place, je me retrouvais là, assis si immobile qu’on aurait pu me confondre avec une statue, à écouter un show sans intérêt et supporter les marmonnements de M. Turner. J’avais fait des mauvais choix à un moment de ma vie mais quand ?

Un souffle chaud près de mon oreille vient interrompre la réévaluation de ma personne et je retiens un frisson d’abord de plaisir puis de dégoût en entendant les paroles de mon employeur. Je serre les mâchoires si fort que j’ai peur l’espace d’un instant de me faire sauter les dents sous la pression. « Féliciter » Je savais exactement ce que cela signifiait. J’allais devoir faire le guet à la porte pendant qu’il ferait des choses plus ou moins catholiques à la jeune star. C’était toujours assez désagréable, surtout qu’il était plutôt vocal et avait apparemment un nombre de kink impressionnant. J’aurais pu vendre toutes ces infos à un journal et devenir riche. « L’interview exclusive du garde du corps de Largo Turner, découvrez la face cachée du riche héritier ». C’était presque tentant.

« Bien sûr M. Turner, vous savez que je suis toujours discret » Je lui répondis sans détourner les yeux de la scène, peut-être qu’il croirait que je trouvais enfin cela passionnant. Une passion secrète découverte en une nuit.

La performance terminée, je réprime un souffle soulagé tout en applaudissant hypocritement mais personne ne s’en rendra compte avec l’enthousiasme de mon voisin. Je me doute que les siens aussi sont hypocrites après tout je sais que pour lui personne ne lui arrive à la cheville et qu’il adore s’entendre parler et chanter. Je ne pouvais pas l’en blâmer, il s’assumait et savait qu’il était le meilleur dans ce qu’il faisait. Comme moi.

Sa phrase suivante ne fit que confirmer mes soupçons. J’aurais dû suivre le show avec plus d’attention, j’aurais su ce que « cette représentation privée » impliquait. Pas de lapdance en tout cas, je m’en serai souvenu.

Dommage. Je n’avais, de toute façon, pas vraiment le choix. Je tenais à garder mon travail qui était extrêmement bien payé. Je me demandais parfois s’il avait le sens de la valeur de l’argent ? Peut-être que oui et qu’il me payait ce qu’il pensait que je valais ce qui était très flatteur. Peut-être que non et dans ce cas, il ne se rendait même pas compte du zéro en trop de mon salaire ce qui m’arrangeait. A son petit signe, je le laisse partir quelques instants avant de le suivre discrètement. Cet homme est un véritable aimant à problèmes. Il a beaucoup d’ennemis et j’avais du sauver ses fesses un trop grand nombre de fois. Ça me rendait méfiant et paranoïaque. Alors si je devais supporter d’entendre ses gémissements bizarres pour ne pas perdre mon travail, je le ferai.

En passant un couloir, je perds M. Turner des yeux. La loge de la jeune star est trop loin, il n’aura pas pu l’atteindre avec sa démarche surtout accompagné de sa canne. Ou non, un objet brillant attire mon attention et je la trouve sur le sol près d’une porte. Heureusement qu’il adore les choses brillantes, il est comme une pie. J’ouvre la porte devant laquelle elle se trouve et le spectacle auquel j'assiste me monte très rapidement les nerfs. Avant que l’homme qui tient un chiffon près du visage de mon patron ne puisse réagir, j’abats la canne d’un mouvement sec sur l’arrière de son crâne et le pousse d’un coup de pied au torse afin qu’il ne tombe pas sur l’homme qu’il attaquait.

Je referme la porte brutalement avec la paume de ma main, m’avançant vers l’homme au sol qui est à peine conscient. Je prends le chiffon en main et l’approche de mon nez. Chloroforme. Ça pourrait être pire. Je m’agenouille à côté de lui et lui relève la tête, il est à peine conscient mais l’effet ne durera pas. L’autre homme a vraiment eu la main légère. Je claque des doigts près de l’oreille de Largo.

« Je n’avais pas réalisé que « féliciter » impliquait du chloroforme, patron. Un peu trop kinky même pour vous. Et je suis à peu près sûr que la brute au sol n’est pas votre jeune éphèbe. Reste à savoir qui il est. » Je n’étais même pas sûr qu’il m’entendait mais je ne pouvais m’empêcher de faire mes petites remarques.

Quelqu’un ouvrit soudainement la porte mais avant d’avoir pu entrer, mon pistolet est hors de sa cachette et braquait dans la direction. Une jeune fille que je pense être maquilleuse fait une expression complètement paniquée, les yeux et la bouche grands ouverts.

« Dehors, immédiatement et tu n’as rien vu, compris ? »

Elle balbutie une réponse positive avant de refermer la porte et probablement de courir. J’ai l’habitude d’être dans les coulisses des shows à force de suivre mon patron à toutes les représentations. La plupart d’entre eux savent qui je suis, la grande majorité même. Ceux qui ne m’ont jamais vu, ont au moins une idée de ma réputation. J’avais cassé quelques nez par-ci par-là dans l’exercice de mes fonctions. Je retournais mon pistolet à sa place avant de faire un tour sur moi-même et vérifier l’état de M. Turner.

« Patron ? J’aimerai éviter de devoir vous porter hors des coulisses, ça ne ferait pas beaucoup de bien à votre réputation. »
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Marry me a little

Avec Simon McDermott


Un claquement de doigts dans mes oreilles, bruit ordinaire aux proportions extraordinaires. Une grimace s'étira lentement sur mon visage, tandis qu'un faible grognement s'extirpait de mes lèvres entrouvertes. Mes paupières battirent, tandis que la voix de Simon me parvenait au travers de mots auxquels je peinais à donner un sens.

Ma vision était trouble. J'avais l'impression désagréable d'être victime d'une atroce gueule de bois. Bien sûr, cela n'était rien d'aussi trivial. On avait essayé de me kidnapper. Un mutant, si j'en croyais la rapidité dont il avait fait preuve... Mais il avait échoué. J'étais encore en vie. Ma tête était prise dans un étau, je sentais à peine mes membres et ma cervelle me paraissait avoir la consistance d'une gelée royale. J'étais toutefois vivant. Et je ne le devais qu'à l'intervention d'une certaine personne...

Je parvins à remuer mes doigts, secouer ma jambe valide, refermer mes lèvres qui étaient restées entrouvertes jusqu'alors. Ma respiration était lente, pénible. Je pouvais presque humer les effluves du chloroforme, bien que le produit ait prudemment été éloigné par Simon. J'aurais dû suivre mon instinct... Je sentais bien que quelque chose d'étrange se tramait... Tout en moi me criait de rebrousser chemin. Les charmes de Mr Holmes m'avaient détourné de mon intuition pour le moins affûtée... Cela ne se reproduirait plus.

La porte s'ouvrit. Je tournais la tête vers cette dernière d'un mouvement brusque, une vague de douleur m'envahissant à la suite de ce geste soudain. Est-ce que la moindre surprise allait me faire souffrir de la sorte ? Cette nuit allait s'achever sur une note pour le moins désagréable... Les mots de Simon commencèrent à faire sens dans mon esprit brumeux et je compris qu'il venait de chasser la jeune curieuse qui avait fait son entrée. Bon travail.

Mais je n'étais pas d'humeur à le féliciter. Même s'il avait fait honneur à sa réputation et au prix cher que je payais pour l'avoir constamment à mes côtes... J'étais sous le choc. Hagard. Apeuré sans vouloir l'admettre. Quelques secondes de plus et il aurait peut-être été trop tard... J'ignorais ce que mon ravisseur me voulait, mais ce n'était certainement rien de sympathique. J'avais probablement échappé de peu à la torture, à la mort ou que savais-je encore. Quelques secondes...

La voix de Simon se fit encore entendre. Elle me rassurait. Je n'étais pas seul. Je n'étais pas sans défense. J'étais protégé. Difficilement, je portais une main à mes yeux, les frottant pour tenter de dissiper le brouillard qui obscurcissait ma vue. Les lumières trop vives, les couleurs trop chaudes... Trop, tout simplement.

Il avait raison. Je ne pouvais pas rester là et je ne pouvais pas non plus le laisser me soutenir comme un infirme ou un ivrogne à la vue de tous. Ma réputation était loin d'être immaculée, mais je ne permettais à personne de croire que je puisse faire preuve d'une quelconque faiblesse. Largo Turner. Riche et détestable. Homme d'affaires impitoyable. Chanteur émérite. Un être que l'on devait craindre et non mépriser... Tel était mon souhait. Tel était mon objectif.

Mes lèvres s'ouvrirent à nouveau. Une sonorité rauque s'en échappa, qui se mua en une brève toux, avant que je ne parvienne à articuler tant bien que mal :

"M... Ma canne."

Il fallait que je me relève. Que je reprenne pied. Je pouvais le faire. Ce n'était qu'une petite tentative d'enlèvement. Pas de quoi paniquer. Pas de quoi être effrayé. Ce coeur qui battait trop vite, ce n'était qu'un effet indésirable du chloroforme. Je n'avais pas peur. Ce monstre avait été maîtrisé. Simon était à mes côtés. Tout allait bien. J'étais en vie.

Ma canne entre les mains, je vérifiais qu'elle n'avait pas été rayée ou abîmée, jetant un regard éloquent à Simon. Il se doutait probablement que la moindre égratignure lui serait reprochée et retenue sur son salaire. Je tenais à ma canne comme à la prunelle de mes yeux. Ce n'était pas peu dire. Fort heureusement, il semblait qu'elle était intacte. Simon pouvait conserver l'intégralité de sa paie indécente.

Précautionneusement, je m'efforçais de me relever. Je dus me résoudre à m'appuyer sur mon garde du corps pour parvenir à me redresser complètement, tenant difficilement sur mes jambes tremblantes. Ma canne m'était plus indispensable que jamais.

La peur était toujours là, sous-jacente, insidieuse. Mon regard se posa sur mon ravisseur, un regard empli de haine et d'un profond dégoût. Dans quel genre de monde vivions-nous ? Un monde habité par des monstres aux pouvoirs inimaginables... Qui savait de quoi celui-ci était réellement capable...

Une autre toux m'agita. La migraine qui me possédait s'accentua encore, me poussant à masser ma tempe de ma main libre. Je n'avais encore jamais été confronté aux joies du chloroforme. J'espérais que cette expérience ne se reproduirait plus. J'avais l'impression que ma tête était prise dans un étau.

"J'irais "féliciter" Mr Holmes un autre soir. Cette nuit, je..."

Un gloussement incontrôlé m'échappa à la pensée qui m'avait saisi, probablement dû à l'état de semi-hébétement dans lequel l'inhalation forcée m'avait plongé. Pas ce soir, j'ai la migraine... C'était ridicule. Délicieusement ridicule. Je me laissais aller à un ricanement, peinant à éclaircir mon esprit. J'avais besoin de boire... Ce que je signalais à Simon, indiquant clairement qu'il s'agissait là d'un ordre et non d'une suggestion ou d'une invitation :

"Sortons d'ici. Conduisez-moi à l'endroit habituel. Je paierais le nécessaire."

Lorsque je ne finissais pas ma nuit dans les bras d'un bel éphèbe, je la terminais dans un bar de haut standing, un établissement de Broadway dans lequel j'avais mes quartiers. J'étais un client fidèle et généreux. Pour cette raison, ils prenaient particulièrement soin de moi et c'était tout ce que je leur demandais. Tout ce dont j'avais besoin actuellement.

Sans aide, je fis un pas. Mon équilibre précaire me trahit et je manquais de trébucher, les battements de mon coeur s'accélérant. Inspirer, expirer... Lentement, tranquillement... Je me redressais, droit et fier, mon poing serré sur le pommeau de ma canne pour dissimuler un tremblement nerveux. Et je fis une nouvelle tentative. Un pas, deux pas, trois pas... Pas de chute. Pas d'étourdissement.

Je me tournais vers Simon, dardant un regard éloquent sur mon garde du corps. Je n'étais pas très versé dans le compliment à outrance, en particulier auprès du petit personnel. Mais il savait ce que je pensais de lui. Son salaire et ses primes le témoignaient assez. Une fois encore, il m'avait préservé. Un "Merci" m'arracherait probablement la gorge. Mais je pouvais lui offrir quelques verres...

"Partons."

Je n'avais pas besoin de dire plus. Il savait où nous nous rendions. Que son pas devait se calquer sur le mien. Proche, protecteur, indispensable. Cette ombre dont je ne devais jamais me séparer. Ma canne frappait le sol avec détermination. Personne ne devait savoir à quoi je venais de réchapper. Personne ne devait deviner la peur.


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Dernière édition par Largo Turner le Jeu 17 Déc - 18:23, édité 1 fois
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Largo ✧ Simon
Après quelques nouveaux instants de silence, la voix de mon patron se fait entendre dans un son rauque et maladif qui me fait serrer les dents encore plus fort. J’accède rapidement à sa demande, non sans essuyer discrètement la petite trace de sang présente sur sa canne. Je sais ce qui arriverait si je l’avais abîmée, je ne comprenais pas vraiment son problème avec cet objet. Ce n’était qu’une canne et il pourrait sans doute s’en acheter 10 de la même qualité sans dépenser une goutte de sueur. Une obsession bizarre, mais je ne pouvais pas réellement le juger. Je profitais de son observation minutieuse pour planter mon genou dans le dos de son agresseur et lui lier les mains avec la cravate que j’avais portée autour de mon cou toute la soirée, prenant soin de faire un nœud solide qui lui couperait la circulation.

J’avais du améliorer ma garde-robe avec ce travail afin de ne pas faire tâche dans le paysage, j’avais de toute façon maintenant les moyens de m’acheter quelques vêtements de qualité même si ce n’était rien comparé aux costumes de mon patron. Le plus calmement possible, je me relevais de ma position, bien tenté de mettre un coup de pied à l’homme à sol pour lui casser une ou deux côtes avant d’écouter M. Turner. Au moins, je ne serai pas forcé d’écouter mon patron en plein ébat avec son jeune artiste. Comme quoi, les kidnappings avaient du bon, en tout cas les tentatives…

Je hochais la tête après avoir entendu son ordre. Pas vraiment convaincu de l’idée de boire avec les effets du chloroforme, mais laissant cela passer. Il ne m’écouterait sans doute pas de toute façon, si quelque chose se passait mal, je l’emmènerai à l’hôpital et ça serait tout. Je ne pense pas qu’il apprécierait de se faire ordonner par « le petit personnel ». Je savais exactement où il voulait que je l’emmène, c’était son coin habituel après une performance. Enfin, quand il ne rentrait pas avec sa conquête du soir.

Je m’approche presque inconsciemment quand il essaye de se lever. Prêt à l’aider, mais sachant pertinemment qu’un homme comme Largo Turner n’apprécierait pas mon aide. À sa place, j’aurais probablement fait pareil, plutôt me relever avec la grâce d’un phoque sur la banquise que d’accepter la main de quelqu’un. Je restais néanmoins à proximité, manquant de l’attraper par le bras quand je le vois partir en avant, mais me retenant à la dernière minute. S’il devait tomber, il tomberait. Qu’il se casse le nez au passage, ça le ferait peut-être se méfier la prochaine fois. Pour un homme avec un parfait instinct en affaire, il me faisait souvent rouler des yeux par son manque de prudence. Je ne suis après tout chargé que de sa sécurité par rapport aux autres, s’il se fait du mal tout seul, c’est son problème.

Je le regarde m’observer, je sens qu’il ne me dira rien. Après tout, je fais mon travail et il me paye suffisamment pour ne pas avoir à me dire merci. Nous étions assez semblables sur certaines choses et ne jamais dire merci en était une. Je me calquais sur son pas et si j’étais un peu plus proche de lui en marchant, personne ne pouvait vraiment me blâmer. La manche de mon bras frôle doucement la sienne alors qu’il avance et je prends un pas en avant de lui pour être sûr que personne ne viendra l’importuner. Je connais mon patron et je sais qu’en plus d’être un lâche, il est aussi très peureux. Cela me fait beaucoup rire personnellement, toutefois c’est aussi mon travail de préserver son image. Alors je marche la tête haute bloquant au maximum la vue des gens sur lui, le laissant au besoin avoir un peu de temps pour que son visage redevienne le plus neutre possible.

Je ne suis pas bien grand et je n’ai pas une carrure de colosse, mais l’air antipathique que j’ai sur le visage semble fonctionner et les gens s’écartent en nous voyant marcher dans le couloir menant vers la sortie. Arrivée près de la porte des artistes, j’attrape fermement mais néanmoins doucement le bras de l’homme de sécurité avec qui j’ai déjà pu discuter.

« Un homme dans la première loge du croisement ? J’ai besoin que tu me le gardes au chaud. » A l’expression sceptique du colosse, j’ajoute : « c’est un mutant et j’ai un compte à régler avec lui. » Son expression de dégout me confirme ce que je savais déjà, il avait la même opinion que moi sur ces abominations et il m’aiderait. Sans doute que cette fois-ci mais c’est tout ce que je lui demandais.

Je relâche son bras et ouvre la porte avant de laisser mon patron me passer devant. La voiture n’est pas très loin et je le suis de près, nos ombres se confondent sur le sol et nos bruits de pas sont synchronisés. Parfois, il se déplace avec un chauffeur mais pour ce genre de petite sortie privée, je sers de conducteur au volant d’une luxueuse voiture qui ferait rougir certaines stars. Je ne me plains pas vraiment, j’aime assez conduire. Je lui ouvre la porte avant de prendre place à l’avant du véhicule, jetant un regard dans le rétroviseur pour l’observer quelques instants.

« Mary m’a dit avoir rempli le mini bar de la voiture si vous avez besoin de quelque chose… » …pour calmer vos nerfs, j’ajoute dans ma tête, ne voulant pas me mettre mon patron à dos en paraissant trop personnel.

Arrivé devant le fameux bar, je coupe le contact, envoie les clés au voiturier qui vient de m’ouvrir la porte et jette un regard à mon patron qui sort de son côté avec l’aide d’un jeune employé encore boutonneux pour lui ouvrir la portière. Un bar avec un service de voituriers oui. La première fois que je suis venu, j’ai dû me retenir de rouler des yeux si fort que ça en devenait douloureux. J’avais l’habitude des bars glauques, sombres et mal famés pas de cette parade luxueuse et de tous ces secrets cachés derrière des meubles hors de prix et des pots de vin.

J’escorte mon patron à l’intérieur où on l’accueille avec de grands éclats et beaucoup de léchage de bottes pour finir par le conduire vers « sa » table. Alors que je m’apprête à m’assoir à ma place habituelle, pas trop loin de Mr Turner pour l’aider en cas de problème mais suffisamment pour qu’il puisse se retrouver avec un jeune homme sur les genoux si l’envie l’en prenait, un jeune homme m’arrête et je quitte quelques secondes mon patron des yeux pour savoir ce qu’il me veut.

« Vous êtes Simon n’est-ce pas ? J’ai entendu votre… boss vous appelez comme ça l’autre jour ? » Il me dit avec un petit sourire en coin mais un air nerveux. Je hoche la tête me demandant toujours ce qu’il me veut et il s’approche un peu de moi, j’entends la voix d’une serveuse demander sa commande à mon patron. « Je… si vous avez le temps, je pourrais vous payer un verre et on pourrait se voir plus tard ? »

Je laisse échapper un petit rire à sa proposition. Bien sûr, celui qui est attiré par les hommes plus âgés dans cette salle se retrouve avec un jeune homme à peine majeur collé à lui. Pas vraiment intéressé.

« Désolé, je suis en service » Je dis tout simplement sans élaborer avant de faire un pas sur le côté, plus loin de lui, plus proche de Mr Turner. Sa main se saisit de la mienne et avant que je puisse réagir, un peu choqué par la tournure des événements, il gribouille un numéro sur ma main, me fait un petit sourire et s’en va.

Levant un sourcil étonné avant de le baisser rapidement et d’enfin prendre ma place assise. Je sais que je suis attirant, je possède après tout un miroir mais on ne voit pas souvent derrière le charisme et l’aura de pouvoir et de luxe de mon employeur. Le luxe et le charisme sont authentiques mais le pouvoir me fait souvent presque sourire en pensant à certaines situations auxquelles j’ai assisté. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre, je sais juste que Largo Turner est un homme très bavard et qu’il « s’abaisse » souvent à me parler quand il n’a personne d’autre avec qui le faire. Je souris, je hoche la tête, très souvent honnêtement, en tout cas beaucoup plus avec le temps. Au début, j’avais tendance à l’écouter d’une oreille mais les choses changent.

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Avec Simon McDermott


Comme il était supposé le faire, Simon prit soin de la basse besogne, s'assurant que le mutant ne représente plus une menace, me préservant du regard des autres le temps qu'il fallait pour que je recompose mon masque de sérénité cynique.

Non pas que cet événement m'ait particulièrement effrayé, je n'étais tout de même pas apeuré pour si peu. Mais les effets du chloroforme peinaient à se dissiper complètement et je n'étais pas tout à fait dans mon assiette. Rien qu'un bonne coupe de champagne ne saurait arranger...

Enfin, nous étions sortis de la salle de spectacle. Je regrettais quelque peu Mr Holmes, n'ayant guère l'énergie de lui prodiguer la leçon qu'il méritait pourtant amplement, mais j'aurais d'autres occasions de revenir, d'entendre son chant ridicule, sa voix dénuée de talent en comparaison de mon timbre émérite. J'espérais que ses petits cris seraient plus mélodieux...

Cette pensée agréable m'aida à regagner un semblant de calme, bien que mon coeur continuait de battre à vive allure. Simon m'ouvrit la porte de mon véhicule, me permettant de me réfugier à l'intérieur.

Ici, je me sentais en sécurité. Nous n'étions que nous deux et j'avais une entière confiance en Simon. Aucun danger ne saurait m'atteindre tant qu'il était à mes côtés.

Un sourire s'étira sur mes lèvres à sa remarque. Un petit remontant me ferait le plus grand bien. Ignorant délibérément les risques que pouvait éventuellement présenter le mélange alcool/chloroforme, je me servis un petit verre de Brandy, sirotant une gorgée avec délectation.

Mes yeux se dirigèrent vers le rétroviseur, captant brièvement le regard de Simon, tandis que je déclarais d'un ton que j'espérais dégagé :

"Après pareille représentation, il est vrai que j'ai grand besoin d'un verre pour me sortir cette pitoyable sonorité de la tête. Je n'oublie pas le spectacle privé que je vous dois, Simon, mais nous nous réserverons ce délicieux plaisir pour un autre soir."

Je n'étais pas sûr de parvenir à chanter sans laisser transparaître l'angoisse qui continuait à m'étreindre, cette angoisse dont je me refusais obstinément à admettre l'existence, en particulier à Simon. Il en avait conscience, je savais qu'il en avait conscience et pourtant, je persistais dans cet inutile déni. Un reste de fierté, probablement...

Je terminai mon verre de Brandy à l'instant même où Simon arrêtait la voiture. Nous étions arrivés à destination. Ma canne serrée entre mes doigts, j'attendais que l'on m'ouvre la porte, comptant mentalement les secondes nécessaires au petit personnel pour exécuter leur besogne.

Beaucoup trop longtemps à mon goût. Néanmoins, j'adressais un bref sourire au jeune employé boutonneux qui avait accompli sa tâche, m'efforçant de rester dans les bonnes grâces du personnel. Un travailleur satisfait gagnait généralement en efficacité.

Si je n'étais pas toujours tendre avec mes employés de maison, je faisais preuve d'un peu plus de clémence envers le personnel qui n'était pas sous ma responsabilité. Une manière pour moi de rester dans leurs mémoires et d'obtenir de leur part un meilleur service lors de notre prochaine rencontre... Non pas que j'insinuais que qui que ce soit puisse oublier d'avoir croisé mon chemin... Cette idée était profondément ridicule.

Les employés étaient aux petits soins pour moi et c'était une attention que j'appréciais grandement, tout particulièrement après les événements mouvementés qui avaient suivi cette désastreuse représentation.

Certains se courbaient tant sur mon passage que leur front en venait presque à effleurer le sol. Mon ego en était des plus satisfaits. C'était là ce que je méritais, en vérité. Dévotion, respect, servilité. La parfaite trinité des sentiments à éprouver à mon égard.

Le sourire qui était accroché à mes lèvres disparut à l'instant où un impertinent osa aborder Simon, détournant son regard de ma personne. Qui était ce jeune imbécile qui pensait me retirer mon garde du corps ? Il n'appartenait à nul autre qu'à moi. Je n'allais pas autoriser le premier idiot venu à disposer de lui sur ses heures de travail. J'étais prêt à quitter la table où j'avais pris place, profondément contrarié, lorsque Simon eut la décence de le rejeter. Je notais mentalement de l'augmenter pour cette diligente décision.

Cela n'empêcha toutefois pas le jeune bellâtre de s'emparer de sa main et de gribouiller son numéro dessus, une vision qui me fit froncer les sourcils. Ne voyait-il pas que Simon était occupé ? Qu'il avait un travail à faire dont il le distrayait sans vergogne ? A la première occasion, je figurerais l'identité de cet idiot et je m'empresserais de le faire renvoyer, quel que soit son travail. On ne badinait pas ainsi avec mon personnel, encore moins sans mon explicite autorisation.

Je fis signe à Simon d'approcher, de prendre place en face de moi, sans chercher à dissimuler mon exaspération. Pourquoi le ferais-je ? Mon agacement n'avait rien d'incongru, il avait été distrait inutilement dans son travail. Qui sait ce qu'il pouvait arriver dans l'espace de ces quelques secondes où son esprit avait été ailleurs ? J'aurais très bien pu me faire kidnapper encore !

Après avoir passé commande, ordonnant une coupe de champagne pour moi-même et un verre de whisky irlandais pour Simon, je sortis mon gel désinfectant que je tendis expressément à mon garde du corps, déclarant à celui-ci :

"Je ne tolérerais pas de distraction inutile. Effacez ce numéro et sortez ce jeune abruti de votre esprit. Je doute que vous puissiez effectuer correctement votre travail si toutes vos pensées vont à un bellâtre sans intérêt. C'est un ordre."

La coupe de champagne fut déposée devant moi et je la bus d'une traite, grimaçant quand les bulles firent trop rapidement leur effet, accentuant ma migraine déjà fort présente. Enervé ? Moi ? Voyons, ce n'était guère plus qu'une petite contrariété... Et j'avais très soif, voilà tout. Pourquoi serais-je immodérément agacé par le fait que mon garde du corps ait été reluqué sans pudeur aucune par un jeune crétin ? Une idée bien stupide...

Je réclamais un alcool un peu plus fort au premier serveur passant à proximité, décidé à profiter du reste de la nuit autant que possible. Tant pis pour le lendemain, j'en assumerais les conséquences. J'avais envie de boire. Pas besoin, envie. C'était très différent...

Mon regard ne quittait pas Simon. Je voyais bien qu'il était d'humeur distraite et je n'avais pas l'intention de laisser passer la moindre incartade de sa part. J'avais failli être kidnappé, tout de même. J'étais encore sous les effets du chloroforme. J'estimais mériter un minimum d'attention de sa part, tout de même. C'était pour cela que je le payais aussi cher. Pas pour qu'il se laisse séduire par le premier idiot venu...

"Vous le connaissez, cet imbécile ? Ca ne m'étonnerait guère qu'il se serve de vous pour m'atteindre, Simon... Les personnes comme lui ont régulièrement recours à des méthodes aussi méprisables que pitoyables. Faites preuve d'un peu plus de méfiance et de bon sens, Simon, c'est pour ces qualités-là que vous avez le droit à votre salaire."

Je ne pouvais pas me sortir ce jeune abruti de la tête. A coup sûr, il mijotait quelque chose. Et s'il était de mèche avec ce mutant ? Non, vraiment, il fallait tout dire à ce pauvre Simon... Heureusement qu'il faisait preuve d'un peu plus de jugeote, habituellement...





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Largo ✧ Simon
J’étais habitué aux mouvements d’humeur de mon patron, il était après tout extrêmement capricieux. Je suivais ses ordres bon gré mal gré de façon général. C’était après tout mon travail et on me payait grassement pour cela. Parfois, j’avais tout de même envie de lui mettre mon poing dans le nez pour l’obliger à arrêter de parler ou de faire n’importe quoi. Mais il aurait été dommage d’abimer un si bel appendice. J’avais discrètement roulé des yeux en voyant la quantité de bave utilisée par les employés de cet établissement pour lui lécher les bottes.  C’était tout bonnement indécent, n’avaient ils aucune fierté ? J’avais beaucoup de défaut moi-même mais celui-ci n’en faisait pas vraiment parti.

Je lève un sourcil interrogateur en voyant l’irritation de mon patron. La nuit n’a certes pas été bonne, toutefois les personnes de ce bar font des pieds et des mains pour caresser son égo dans le sens du poil depuis son arrivée. Je suis tout de même son geste impatient et m’installe à ma place habituelle sans prononcer un mot. Je hoche légèrement la tête un petit sourire aux lèvres en l’entendant me commander un verre de whisky. Je ne suis pas supposé boire pendant que je travaille mais un verre me fera du bien et il a, après tout, été payé par mon patron. Comment pourrais-je dire non à un verre de si bonne qualité ? Presque inconsciemment, j’attrape l’objet qu’il me tend avant de l’identifier. Je reste quelques secondes perplexe face au gel désinfectant que Mr Turner vient de me donner. Je n’ai rien touché d’exceptionnellement sale ou dérangeant.

Mes interrogations trouvent leurs réponses dans les propos de mon patron et je me braque. Je n’ai jamais vraiment aimé les ordres mais j’ai appris à les accepter comme une partie de mon travail. Cependant, celui-là est différent et totalement injustifié. Je fixe un regard froid sur mon patron, attrapant mon verre de whisky pour calmer mes nerfs avant de faire quelque chose que je pourrais regretter. Il n’avait aucun droit de me demander cela, je n’avais jamais trahi sa confiance, j’avais toujours fait mon travail parfaitement et ce sans me préoccuper des distractions aux alentours. Le fait qu’il soit encore en vie ne le prouve-il pas ? Je n’avais pas eu l’intention de garder le numéro du jeune bellâtre ou de l’appeler mais l’idée devenait de plus en plus tentante. Prenant un grand souffle d’air afin de réfléchir avant de parler, je repose doucement mon verre sur la table et fait rouler le gel jusqu’à Largo.

« Sans vouloir vous manquer de respect patron, j’ai toujours fait mon travail et ce malgré les distractions. Je n’effacerai pas ce numéro, il pourrait m’être utile pendant mon temps libre et il ne vous concerne absolument pas tant que je continue à faire mon travail correctement. » Je lui assène d’une voix terne en le fixant.

Après tout, rien dans mon contrat ne l’autorisait à disposer de ma vie privée comme il le souhaitait. Je faisais déjà beaucoup de sacrifice pour ce travail et pour le garder en vie, si j’avais envie d’une distraction qui était-il pour m’en empêcher ?

« Quant à ce jeune homme, non je n’ai aucune idée de qui il est même son nom m’échappe. Je n’ai pas l’habitude de me concentrer sur les personnes que je pense inoffensives. Ce n’est pas ce genre de visage que je souhaite retenir. »

Sans compter qu’il est bien trop jeune pour déclencher mon intérêt d’une autre manière. Un seul visage semblait m’obséder ces derniers temps, celui d’un quadragénaire grincheux, arrogant et actuellement très irritant. Serrant les dents un peu plus fort, je reprends :

« Et aussi étonnant que cela puisse vous paraitre, patron, avec votre goût très prononcé pour les jeunes hommes, je plais de façon tout à fait régulière sans qu’on ne m’utilise pour vous atteindre. »

Ces dernières remarques m’avaient un peu vexé, je devais me l’avouer. Ne voyait il pas l’exceptionnel spécimen qu’il avait sous les yeux tous les jours? J’avais pourtant déjà été surpris en train de me servir un verre d’eau torse nu à 5h du matin ou sortant de ma douche avec une serviette autour des reins. Qu’il ne me trouve pas attirant même après ça me titille. Je sais ce que je vaux et ce n’est pas quelques années en plus qui changent cela. Irritablement, je prends une nouvelle gorgée de ma boisson, serrant un peu trop le verre et ne savourant pas cet excellent whisky. Tous mes ancêtres doivent être en train de se retourner dans leur tombe.

« Ne vous en faites pas pour moi, j’ai un très bon jugement sur les personnes que je croise. L’expérience sans doute. Ce jeune homme n’a l’air de vouloir de moi rien qui vous concerne mais certainement juste une partie de jambe en l’air dans une ruelle sombre. »

Et l’idée est de plus en plus tentante. Histoire de dépenser toute cette adrénaline que j’ai accumulée depuis le début de la nuit et de passer mes nerfs d’une façon plus lucrative pour tout le monde. Enfin, surtout pour moi et le jeune homme qui avait écrit son numéro sur ma main sans ma permission. Une leçon s’imposait sans doute et je n’avais pas goûté au plaisir de la chair depuis si longtemps. Si je n’étais pas encore en service mais avec des amis, j’aurais certainement disparu. Les amis ne courent, cependant, pas les rues et je suis coincé dans ma position de garde du corps pour la soirée. Aujourd’hui plus qu’un autre jour, je ne peux me permettre de quitter des yeux Mr Turner. Il faut bien que quelqu’un vérifie son état de santé après sa petite mésaventure avec le chloroforme.
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Marry me a little

Avec Simon McDermott


Je ne payais pas Simon pour faire preuve de naïveté. Il était évident que ce jeune bellâtre comptait m'atteindre, d'une manière ou d'une autre, et qu'il avait l'intention de se servir de mon garde du corps pour cela. Je le sentais. J'étais connu pour ma formidable intuition, après tout. Cet imbécile dissimulait quelque chose et Simon se laissait berner, guidé par ses désirs irrépressibles. Pauvre garçon... Heureusement que j'étais là pour garder la tête froide. On ne m'attraperait certainement pas à me laisser piéger de la sorte...

Mes sourcils se froncèrent, tandis que mon garde du corps refusait de se soumettre à mon ordre, pourtant des plus légitimes. Il semblait décidé à laisser ce crétin poser ses mains sur lui, l'attirer dans son filet... Je ne pouvais pas le laisser commettre cette erreur, indigne de l'homme que j'avais engagé en tant que garde du corps.

"Je ne répéterai pas cet ordre, Simon. Je doute sincèrement que vous soyez en mesure d'effectuer votre travail correctement en gardant en tête les charmes de ce stupide bellâtre. Je suis le seul homme sur cette planète et bien d'autres qui doit retenir votre attention. Ne l'oubliez pas."

Un serveur m'apporta une autre boisson, un peu plus corsée que la coupe de champagne que j'avais commandée précédemment. Je bus une première gorgée, profondément agacé par l'attitude bornée de mon garde du corps. Simon s'enfonçait dans son entêtement et sa naïveté déplacée. Me fallait-il donc désormais garder mon garde du corps ? L'ironie de la situation me tira un ricanement. A moins que ce ne soit les effets mêlés de l'alcool et du chloroforme qui commençaient à se faire sentir...

Ne pouvait-il donc pas cesser de parler de cet idiot ? Je refusais de les imaginer tous deux dans un acte que je jugeais profondément écoeurant. Ce bellâtre se servait de Simon et ce dernier ne le voyait même pas. Mon garde du corps méritait mieux que le premier imbécile venu, en particulier si celui-ci avait l'intention de m'atteindre en séduisant Simon.

"Vous ne reverrez pas ce bellâtre, Simon. Je m'assurerais personnellement qu'il n'ait plus moyen de vous distraire, si cela devait s'avérer nécessaire."

Une autre gorgée. Bien que l'idée d'annihiler cet idiot et de réduire son existence en poussière était très tentante, je n'allais tout de même pas recourir à de telles extrêmités. J'étais un homme d'affaire, pas un génie du mal ou un de ces dingues qui étaient prêts à faire exploser une ville entière pour vendre leur camelote.

Non, je me contenterais de le payer grassement pour qu'il quitte l'Etat et n'y revienne plus jamais. J'avais suffisamment d'argent pour me permettre de l'utiliser de cette façon. Préserver le coeur fragile de mon garde du corps valait bien la peine que je jette quelques billets par la fenêtre...

Une dernière gorgée. Le contenu de mon verre avait disparu, circulant dans mes veines, embrumant mon esprit. Mon regard se posa sur mes doigts, qui frémissaient légèrement. Haussant les épaules, je commandais un whisky, semblable à celui que j'avais payé à mon garde du corps.

J'étais contrarié. Réellement contrarié. Que Simon puisse se laisser charmer de la sorte, alors qu'il était supposé me protéger, n'avoir d'yeux que pour ma personne... J'étais outré. Terriblement outré.

Je n'aurais pardonné cela à aucun autre. Mais Simon était efficace. Il me l'avait encore prouvé en me sauvant de cette tentative de kidnapping. Tout le monde pouvait faire des erreurs de jugement. Il allait bien finir par reconnaître que j'avais raison... C'était généralement le cas.

"Sortez ce jeune crétin de votre tête, Simon. Songez plutôt à la représentation privée que je vous prépare. Peu de gens ont la chance de pouvoir admirer de si près un tel spectacle, en particulier à fortiori... Il est tout de même dommage que cet infortuné incident de chloroforme vous prive d'un tel plaisir."

Le whisky me fut servi. Une gorgée. La brume qui s'emparai peu à peu de mon esprit... Je le cherchais, cet état d'égarement. Il consumerait progressivement l'angoisse, la colère, le souvenir de cette tentative de kidnapping qui, malgré mon attitude bravache, continuait à me tourmenter... Peut-être réussirais-je à oublier cet événement, en buvant suffisamment.

"Vous... Vous valez mieux qu'une "partie de jambes en l'air dans une ruelle sombre", Simon. Ne vous rabaissez pas à... à cela."

Les mots peinaient à s'extirper de ma gorge. J'étais généralement un bon buveur, mais je n'étais probablement pas en état de supporter aussi aisément mon habituelle consommation. Une nouvelle gorgée. Qu'importe. J'avais un souvenir à effacer et assez peu de moyens à ma disposition pour ce faire...

Tapotant mon verre du bout du doigt d'un geste agacé, je plongeais mon regard dans celui de Simon, cherchant à comprendre le raisonnement de mon garde du corps :

"Qu'est-ce que vous lui trouvez à ce... ce bellâtre, franchement ? Ses charmes sont tout à fait ordinaires. Je n'imaginais que vous... que vous puissiez avoir de l'intérêt pour quelqu'un d'aussi... médiocre. Simon..."

Le sourire qui s'étira sur mes lèvres se partageait entre compassion et maladresse. Les muscles de mon visage ne m'obéissaient pas aussi bien que je le souhaitais. Mais, même l'esprit embrumé par l'alcool et le chloroforme, je voyais bien que mon pauvre Simon s'était laissé berner par les atouts somme toute pitoyables de cet imbécile... Ah, quelle tristesse...

"Un autre verre ? Il faut vraiment que vous oubliez ce jeune sot, Simon..."

Et ce n'était pas moi qui ramenais constamment le sujet. Non. Je devais simplement m'assurer que mon garde du corps ici présent prenne conscience de l'étendue de son erreur, voilà tout.






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