Clara parvint à faire tomber Clyde sur le tatami après de longues minutes qui n'avaient abouti à rien, si ce n'est tourner en rond. Le jeune homme laissa échapper un grognement de mécontentement et resta quelques instants allongé sur le tapis, les yeux fermés. « Connasse. » L'adolescente haussa un sourcil, puis donna un léger coup de pied à son frère qui rouvrit les yeux, faisant la navette entre la main qu'elle lui tendait afin de l'aider à se relever et son visage illuminé par le sentiment de victoire qui l'assaillait soudainement. « Ça fait un an que je t'apprends le français en vain, mais ce genre de mots tu retiens. »   Il attrapa finalement la main de Clara et se redressa d'un simple bond, un sourire narquois dessiné sur ses lèvres, malgré la défaite cuisante à laquelle il devait faire face. « Pour ta gouverne, je drague les filles en français, je suis donc plus doué que tu crois. Tu veux entendre comment... » Elle pivota vers lui et lui lança un regard glacial en échange duquel il leva les mains, comme pour s'innocenter. « j'la boucle, ok. » Après avoir quitté les vestiaires, Clyde tâtonna les poches de son jeans, puis de sa veste à la recherche des clés de sa voiture. Les sourcils froncés, il tourna son regard empli d'incompréhension en direction de Clara qui se mit à jouer avec l'objet en question qu'elle s'amusa à balancer du bout de l'index, se forçant à ravaler le sourire supérieur qu'elle mourrait d'envie d'arborer. A nouveau, l'incompréhension tordit les traits du jeune homme qui lui lança un regard lourd de sous-entendus. « Quoi ? Mais comment tu ? C'est bon, tu conduis. » En presque huit ans, elle avait réussi à amadouer Clyde comme elle ne pensait jamais pouvoir le faire. Plutôt du genre à cacher son côté docile par de la brutalité, elle avait rapidement compris qu'aller dans son sens pour ensuite le ramener à la raison était le meilleur moyen de l'avoir dans sa poche afin de pouvoir se dresser contre Jack qui lui donnait largement plus de fil à retordre. Jack qui la considérait toujours comme inférieure, Jack qui avait toujours écouté leur père et ses propos machistes placés inaperçus au sein d'une conversation, Jack qu'elle ne pourrait jamais raisonner.

« Tu as pris contact avec ta mère ? » Son père était si rouge qu'il menaçait d'exploser à tout instant. Sans doute un verre d'eau en pleine figure pourrait lui remettre les idées en place. Le calmer, elle en était beaucoup moins certaine. Clara ne répondit cependant rien, continuant de faire des allers-retours de son placard à sa valise qui lui semblait plus petite que d'ordinaire. Elle ne comptait pas emporter grand-chose, ne le faisait jamais lorsqu'elle partait en voyage, à la différence près que cette fois-ci, elle ne comptait plus revenir. « techniquement parlant, c'est elle qui a pris contact avec moi et non l'inverse. » Des pays, elle en avait vu et elle avait cessé de les compter bien des années auparavant ; tout était prétexte pour s'y rendre, dès que l'occasion se présentait. Émerveillée au début par ces paradis dont on vantait la beauté sur internet ou sur papier glacé, elle en connaissait à présent les moindres parcelles, pas toujours très jolies à voir. « Impossible », railla-t-il en croisant les bras et en s'appuyant contre le chambranle de la porte. Ses sourcils se froncèrent à l'instant-même où elle releva les yeux dans sa direction, le mettant au défi de ne pas la croire d'un simple battement de cils, comme elle le faisait toujours. Il ne l'avait jamais prise au sérieux, lorsqu'elle avait décrété quelques années plus tôt que sa mère finirait par la chercher et retrouver sa trace. Qui l'aurait fait ? Elle-même n'y croyait pas forcément : à l'époque, ça relevait plus de l'espoir que d'une réelle affirmation. « Tu es occupée à me dire que ta mère, qui s'est évaporée dans la nature en prétextant un voyage humanitaire il y a presque vingt ans est réapparue ? », lui demanda-t-il en s'avançant dans sa direction, un sourire dessiné au coin de ses lèvres. Clara ne le regardait pas, elle se refusait de la faire, sentant la tension prendre une trop grande place au sein de la pièce. Sans doute aurait-elle voulu ne jamais lui en avoir parlé. « Je ne te crois pas », continua-t-il en laissant un rire lui échapper. Puis, il se mit à arpenter la chambre de sa fille en long, large et en travers et secoua la tête de façon négative. « Pourquoi toi ? » C'était là toute la question, depuis le début, depuis qu'elle était gosse. Cette compétition silencieuse afin de savoir qui aurait des nouvelles d'une femme-fantôme et qui resterait sur le bas-côté, dans l'oubli. La jeune brune releva le regard et osa enfin croiser celui de son père dans lequel brillant une lueur qu'elle ne réussit pas à identifier. Il était plus que temps qu'elle quitte la demeure. « Et pourquoi pas ? » Elle referma la valise, puis s'avança de quelques pas vers la porte, jusqu'à-ce que son père se dresse devant elle. Elle l'observa quelques instants, peut-être pour être sûre de ne pas oublier à quoi il ressemblait : de grands yeux bleus, aussi blond que le blé, que ses frères et sa belle-mère, là était la portrait de famille idyllique. Portrait auquel elle n'avait jamais appartenu, même après s'être battue de longues années. « Si tu t'en vas, Clarence... », lui dit-il en cherchant à lui attraper le poignet, emprise qu'elle évita sans la moindre difficulté. « Je sais », murmura-t-elle en quittant la pièce ; elle était arrivée à un point de non-retour et son père ne lui pardonnerait jamais, rancunier et fier comme il l'était.

« Tu... Quoi ? », questionna Clara en fronçant les sourcils avant de repousser son assiette encore à moitié pleine. Sa mère, qui se trouvait juste devant elle, pinça les lèvres, puis échangea un regard en coin avec son collègue qui sortit de la poche intérieure de son costume, qui lui donnait des airs d'agent du MI6, une carte rectangulaire. Il la glissa dans sa direction et Clara la saisit afin de l'examiner de plus près. Nom, prénom, numéro de téléphone. « Tu sais comment nous joindre, une fois que tu auras réfléchi à la question », murmura son interlocuteur en quittant la table, avant quoi il sortit son portefeuille et laissa quelques billets sur la table du diner où, soit dit en passant, la nourriture n'était pas au top. Lorsque la vieille dame vint les débarrasser de leurs assiettes et demanda aux deux jeunes femmes comment elles avaient trouvé les plats, Clara fût cependant incapable de lui dire la vérité et se fendit en un sourire jusqu'aux oreilles : « c'était très bon ! » Sous la table, sa mère lui attribua un léger coup de pied, juste de quoi attirer son attention vers elle. Un sourcil haussé, elle lui lança un sourire narquois qui lui fit lever les yeux au ciel, légèrement agacée. Pour une fois, certainement la première de sa vie, elle se sentait complète, en parfaite harmonie avec elle-même. « C'est que je perds de plus en plus la tête, fort heureusement ce n'est pas arrivé avec vous. La dernière fois j'ai versé le triple de la dose de sel que je devais mettre dans un plat », confia la vieille dame sous les yeux grands ouverts de Clara qui feignait la surprise, tandis qu'en face d'elle, sa mère paraissait de plus en plus amusée. « Fort heureusement, ce n'est pas arrivé avec mon plat », confirma la jeune brune. Non, pour son plat elle s'était contentée de verser la double dose de poivre, ça aurait pu être pire. La serveuse leur attribua un dernier sourire, puis les laissa seules, mais sa mère avait déjà le regard rivé sur son téléphone portable, l'air anxieux. « Quoi ? » Son interlocutrice releva le regard, légèrement perdue durant quelques secondes, à peine, avant de se lever de table. « Je dois y aller », lui confia-t-elle en lui embrassant le front, paralysant Clara de la tête aux pieds par ce simple geste. « Je suis certaine que tu feras le bon choix. » Au moins, ça avait le mérite d'être clair, elle savait ce qui lui restait à faire. Si ça pouvait continuer de lui assurer ce sentiment de plénitude et d'harmonie totale, alors elle n'avait même pas à réfléchir à la question. De toute façon, n'était-ce pas ce qu'elle avait cherché depuis toujours ? Se sentir utile pour la population, que ce soit sur le continent africain, européen ou américain ?

Comme tous les agents présents au sein du shield, elle s'était donnée corps et âme pour accomplir différentes tâches. Parce qu'elle se sentait utile, parce qu'elle savait qu'elle faisait le bien autour d'elle, parce qu'elle en avait besoin. Le shield, c'était le but après lequel elle avait couru depuis qu'elle était gamine sans le savoir, alors maintenant qu'elle en avait conscience, elle ne le laisserait pas lui glisser entre les doigts. Même après la trahison de certains collègues qu'elle n'aurait pas vu une seule seconde dans le camp ennemi, même après leur chute terrible. Ils tentent de se relever et elle sait que c'est le principal. « Tu tires une de ces têtes », railla-t-elle en s'appuyant contre le bureau de son amie qui roula des yeux, se laissant glisser contre le dossier de sa chaise. « C'est l'effet paperasse qui fait ça, tu connais pas ? » Clara haussa délicatement les épaules, une moue dessinée sur le visage. « C'est l'effet superhéro qui doit faire ça. » Cette fois-ci, Kate laissa un sourire se dessiner sur ses lèvres, à son tour, tandis que Clara levait les yeux au ciel, voyant la réflexion de son amie arriver d'avance. « Oh, nous n'avons pas tous le privilège de fréquenter les hommes et femmes les plus sexy au monde. » Elles rigolèrent de bon coeur. Avec la trahison des certains membres pour Hydra, elle ne se souvenait plus quand elle avait échangé ce regard complice avec Kate, mais bon sang, ça faisait du bien.